Les experts de l'ONU viennent de rendre public leur rapport sur les violations de l'embargo sur les armes. Le document accuse ouvertement Kigali d'appuyer la rébellion du M23 qui se bat contre l'armée congolaise dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC).
L'annexe de 43 pages du rapport, que nous nous sommes procurés, sonne comme un véritable réquisitoire contre l'ingérence du Rwanda en RDC. Changera-t-elle la donne au Nord-Kivu ? Pas dans l'immédiat.
Le doute n'est plus permis. L'implication rwandaise auprès des rebelles du M23 en RDC était encore, il y a encore quelques mois, un secret de polichinelle. Aujourd'hui les preuves sont couchées noir sur blanc et signées des Nations unies.
Le rapport de l'ONU révèle les relations ambiguës entre le Rwanda et la République démocratique du Congo autour de la mutinerie lancée il y a deux mois par le général rebelle Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI).
Au coeur des révélations du groupe d'experts : le soutien matériel, financier et humain aux rebelles du M23 qui affrontent l'armée régulière congolaise (FARDC) au Nord-Kivu depuis mai 2012.
"Assistance directe au M23"
Le rapport, dont vous pouvez consulter l'annexe en français (à télécharger ici), détaille par le menu de nombreuses preuves du soutien du Rwanda au M23. Les experts ont collecté un ensemble impressionnant des documents officiels, d'interceptions de communications radio, des rapports internes de l'armée congolaise, de photos, de cartes, mais également de plus de 80 témoignages directs de déserteurs du M23.
Les experts de l'ONU dénoncent :
"- l'assistance directe à la création du M23 en facilitant le transport des armes et des troupes à travers le territoire rwandais,
- le recrutement de jeunes rwandais,
- la fourniture d‟armes et de munitions au M23,
- les interventions directes des Forces rwandaises de défense (FRD) sur le territoire congolais afin de renforcer le M23,
- l'appui à plusieurs autres groupes armés".
Makenga à Gisenyi ?
Le rapport retrace chronologiquement l'assistance rwandaise au M23 : "le 4 mai, Makenga (le chef rebelle du M23) a traversé la frontière de Goma pour Gisenyi, au Rwanda, et a attendu que ses soldats à Goma et à Bukavu le rejoignent (…)
Le commandant de la Division de l'ouest des FDR (armée rwandaise), le général Emmanuel Ruvusha, a accueilli Makenga lors de son arrivée à Gisenyi. Les mêmes sources ont indiqué que durant les jours qui ont suivi, Ruvusha a tenu une série de réunions de coordination à Gisenyi et à Ruhengeri, avec des officiers du FDR et avec Makenga (…)
Toujours le 4 mai, les colonels Kazarama, Munyakazi, et Masozera, et près de 30 soldats fidèles à Makenga ont quitté Goma et ont traversé la frontière vers le Rwanda à travers les champs proches de la frontière Kanyamuyagha".
Les experts de l'ONU détaillent également les différents points de transit et de recrutement des rebelles du M23. Et c'est au Rwanda qu'ils en trouvent les traces, à Kinigi, situé à 5 petits kilomètres de la frontière congolaise.
"Certaines recrues déclarent avoir reçu un repas à l'Hôtel Bishokoro, qui appartient au général Bosco Ntaganda et son frère à Kinigi. Ensuite, les soldats des FRD (armée rwandaise) escortent des groupes importants de nouvelles recrues à la frontière et les envoient en RDC", note le rapport.
Kabarebe et Nkunda à la manoeuvre
Révélations plus embarrassantes pour Kigali, 5 officiers de l'armée rwandaise dont le ministre de la Défense James Kabarebe, le chef d'état-major Charles Kayonga, l'ancien chef des renseignements militaires Jacques Nziza, et Célestin Sendoko (l'assistant personnel de Kabarebe) sont accusés d'être les principaux responsables de l'appui rwandais aux rebelles de l'Est congolais.
Le 23 mai 2012, Sendoko, le bras droit de Kabarebe, a "organisé une réunion, avec la participation d‟officiers du FRD (armée rwandaise) et 32 chefs de communauté, principalement des cadres CNDP, à Gisenyi à la résidence du membre du CNDP Gafishi Ngoboka.
Senkoko s'est présenté comme un représentant de Kabarebe et a relayé le message que le gouvernement rwandais soutient le M23, dont la nouvelle guerre a pour objectif d'obtenir la sécession des deux Kivus.
Après avoir montré le territoire qui devait être libéré sur une carte, il a donné l'instruction aux hommes politiques de convaincre tous les officiers rwandophones dans l'armée et opérant dans les Kivus de rejoindre le M23".
Le rapport de l'ONU note que pendant que les combats font rages au Nord-Kivu, "Ntaganda et Makenga ont régulièrement traversé la frontière avec le Rwanda pour participer à des réunions avec chacun des hauts officiers FRD (armée rwandaise) à Kinigi afin de coordonner les opérations et le ravitaillement".
Autre découverte pour le moins étonnante des experts de l'ONU, la présence le Laurent Nkunda : "l'ancien président du CNDP, le général Laurent Nkunda, officiellement en résidence surveillée par le gouvernement rwandais depuis janvier 2009, vient souvent de Kigali pour participer à ces réunions".
Les points faibles du rapport
Si les preuves sont accablantes et irréfutables, trois petites zones d'ombres viennent tempérer le rapport de l'ONU : la fragilité des témoignages, tous anonymes (et on comprend pourquoi) ; le manque de traçabilité du trafic d'armes et de preuves des flux financiers pour soutenir le M23.
Toutefois, les documents avancés dans ce rapport sont assez nombreux et solides pour démontrer l'ingérence au plus haut niveau de l'Etat du Rwanda en République démocratique du Congo.
Les accusations de l'ONU changeront-elles la donne ?
Sur le plan diplomatique, Kinshasa compte déposer une requête devant le Conseil de sécurité de l'ONU, mais elle a peu de chance d'aboutir, selon un diplomate, interrogé par RFI. Sur le terrain, au Nord-Kivu, le rapport des experts ne changera vraisemblablement rien dans l'immédiat.
Les positions des belligérants sont figées, soldats et rebelles sont retranchés dans une guerre de position qui peut durer des mois. Quant à Kinshasa, elle se retrouve dans une position inédite, qu'elle n'avait pas anticipé : son allié rwandais (depuis 2009) est désormais un "Etat ennemi".
Le scénario de la rébellion du M23 constitue donc une "surprise" pour Kinshasa. Et Joseph Kabila n'a ni les moyens militaires, ni l'envie d'en découdre avec Kigali. C'est d'ailleurs l'un des principaux reproches qui collent à la peau du chef de l'Etat congolais : sa "proximité" avec le Rwanda.
Pour comprendre le "réveil tardif" des autorités congolaises aux ingérences rwandaises à l'Est, il faut lire le communiqué de presse de la Voix des sans voix (VSV), une ONG congolaise des droits de l'homme : "la VSV ne s’explique pas que ce soit la Monusco et Human Rights Watch qui soient les premières à dénoncer l’appui du Rwanda aux mutins alors que notre pays, la RDC, dispose de nombreux services de sécurité civils et militaires auxquels un budget conséquent est toujours alloué chaque année.
Elle pense que le manque, par la RDC, de maîtrise du contrôle des questions de sécurité à ses frontière repose avec acuité la problématique de l’échec depuis plusieurs années de la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire congolais en général et à l’Est de la RDC en particulier"… oui pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Christophe RIGAUD
Photos extraites du rapport de l'ONU © DR
L'annexe de 43 pages du rapport, que nous nous sommes procurés, sonne comme un véritable réquisitoire contre l'ingérence du Rwanda en RDC. Changera-t-elle la donne au Nord-Kivu ? Pas dans l'immédiat.
Le rapport de l'ONU révèle les relations ambiguës entre le Rwanda et la République démocratique du Congo autour de la mutinerie lancée il y a deux mois par le général rebelle Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI).
Au coeur des révélations du groupe d'experts : le soutien matériel, financier et humain aux rebelles du M23 qui affrontent l'armée régulière congolaise (FARDC) au Nord-Kivu depuis mai 2012.
"Assistance directe au M23"
Le rapport, dont vous pouvez consulter l'annexe en français (à télécharger ici), détaille par le menu de nombreuses preuves du soutien du Rwanda au M23. Les experts ont collecté un ensemble impressionnant des documents officiels, d'interceptions de communications radio, des rapports internes de l'armée congolaise, de photos, de cartes, mais également de plus de 80 témoignages directs de déserteurs du M23.
Les experts de l'ONU dénoncent :
"- l'assistance directe à la création du M23 en facilitant le transport des armes et des troupes à travers le territoire rwandais,
- le recrutement de jeunes rwandais,
- la fourniture d‟armes et de munitions au M23,
- les interventions directes des Forces rwandaises de défense (FRD) sur le territoire congolais afin de renforcer le M23,
- l'appui à plusieurs autres groupes armés".
Makenga à Gisenyi ?
Le rapport retrace chronologiquement l'assistance rwandaise au M23 : "le 4 mai, Makenga (le chef rebelle du M23) a traversé la frontière de Goma pour Gisenyi, au Rwanda, et a attendu que ses soldats à Goma et à Bukavu le rejoignent (…)
Le commandant de la Division de l'ouest des FDR (armée rwandaise), le général Emmanuel Ruvusha, a accueilli Makenga lors de son arrivée à Gisenyi. Les mêmes sources ont indiqué que durant les jours qui ont suivi, Ruvusha a tenu une série de réunions de coordination à Gisenyi et à Ruhengeri, avec des officiers du FDR et avec Makenga (…)
Toujours le 4 mai, les colonels Kazarama, Munyakazi, et Masozera, et près de 30 soldats fidèles à Makenga ont quitté Goma et ont traversé la frontière vers le Rwanda à travers les champs proches de la frontière Kanyamuyagha".
Les experts de l'ONU détaillent également les différents points de transit et de recrutement des rebelles du M23. Et c'est au Rwanda qu'ils en trouvent les traces, à Kinigi, situé à 5 petits kilomètres de la frontière congolaise.
"Certaines recrues déclarent avoir reçu un repas à l'Hôtel Bishokoro, qui appartient au général Bosco Ntaganda et son frère à Kinigi. Ensuite, les soldats des FRD (armée rwandaise) escortent des groupes importants de nouvelles recrues à la frontière et les envoient en RDC", note le rapport.
Kabarebe et Nkunda à la manoeuvre
Révélations plus embarrassantes pour Kigali, 5 officiers de l'armée rwandaise dont le ministre de la Défense James Kabarebe, le chef d'état-major Charles Kayonga, l'ancien chef des renseignements militaires Jacques Nziza, et Célestin Sendoko (l'assistant personnel de Kabarebe) sont accusés d'être les principaux responsables de l'appui rwandais aux rebelles de l'Est congolais.
Le 23 mai 2012, Sendoko, le bras droit de Kabarebe, a "organisé une réunion, avec la participation d‟officiers du FRD (armée rwandaise) et 32 chefs de communauté, principalement des cadres CNDP, à Gisenyi à la résidence du membre du CNDP Gafishi Ngoboka.
Senkoko s'est présenté comme un représentant de Kabarebe et a relayé le message que le gouvernement rwandais soutient le M23, dont la nouvelle guerre a pour objectif d'obtenir la sécession des deux Kivus.
Après avoir montré le territoire qui devait être libéré sur une carte, il a donné l'instruction aux hommes politiques de convaincre tous les officiers rwandophones dans l'armée et opérant dans les Kivus de rejoindre le M23".
Le rapport de l'ONU note que pendant que les combats font rages au Nord-Kivu, "Ntaganda et Makenga ont régulièrement traversé la frontière avec le Rwanda pour participer à des réunions avec chacun des hauts officiers FRD (armée rwandaise) à Kinigi afin de coordonner les opérations et le ravitaillement".
Autre découverte pour le moins étonnante des experts de l'ONU, la présence le Laurent Nkunda : "l'ancien président du CNDP, le général Laurent Nkunda, officiellement en résidence surveillée par le gouvernement rwandais depuis janvier 2009, vient souvent de Kigali pour participer à ces réunions".
Les points faibles du rapport
Si les preuves sont accablantes et irréfutables, trois petites zones d'ombres viennent tempérer le rapport de l'ONU : la fragilité des témoignages, tous anonymes (et on comprend pourquoi) ; le manque de traçabilité du trafic d'armes et de preuves des flux financiers pour soutenir le M23.
Toutefois, les documents avancés dans ce rapport sont assez nombreux et solides pour démontrer l'ingérence au plus haut niveau de l'Etat du Rwanda en République démocratique du Congo.
Les accusations de l'ONU changeront-elles la donne ?
Sur le plan diplomatique, Kinshasa compte déposer une requête devant le Conseil de sécurité de l'ONU, mais elle a peu de chance d'aboutir, selon un diplomate, interrogé par RFI. Sur le terrain, au Nord-Kivu, le rapport des experts ne changera vraisemblablement rien dans l'immédiat.
Les positions des belligérants sont figées, soldats et rebelles sont retranchés dans une guerre de position qui peut durer des mois. Quant à Kinshasa, elle se retrouve dans une position inédite, qu'elle n'avait pas anticipé : son allié rwandais (depuis 2009) est désormais un "Etat ennemi".
Le scénario de la rébellion du M23 constitue donc une "surprise" pour Kinshasa. Et Joseph Kabila n'a ni les moyens militaires, ni l'envie d'en découdre avec Kigali. C'est d'ailleurs l'un des principaux reproches qui collent à la peau du chef de l'Etat congolais : sa "proximité" avec le Rwanda.
Pour comprendre le "réveil tardif" des autorités congolaises aux ingérences rwandaises à l'Est, il faut lire le communiqué de presse de la Voix des sans voix (VSV), une ONG congolaise des droits de l'homme : "la VSV ne s’explique pas que ce soit la Monusco et Human Rights Watch qui soient les premières à dénoncer l’appui du Rwanda aux mutins alors que notre pays, la RDC, dispose de nombreux services de sécurité civils et militaires auxquels un budget conséquent est toujours alloué chaque année.
Elle pense que le manque, par la RDC, de maîtrise du contrôle des questions de sécurité à ses frontière repose avec acuité la problématique de l’échec depuis plusieurs années de la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire congolais en général et à l’Est de la RDC en particulier"… oui pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Christophe RIGAUD
Photos extraites du rapport de l'ONU © DR
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