Depuis cinq mois que les islamistes occupent le Nord-Mali, les habitants apprennent à vivre sous le règne de la charia (loi islamique) qui entre parfois en contradiction avec les us et coutumes de la région. L'un de nos Observateurs a filmé un mariage à Gao où, pour ne pas s'attirer d'ennuis, les futurs époux ont troqué les longues festivités traditionnelles contre une unique cérémonie religieuse, célébrée dans la plus grande sobriété.
Depuis qu’ils contrôlent la région, les islamistes ont fait savoir que seuls les couples mariés seraient tolérés. Le 20 juin, à Tombouctou, ils ont puni de 100 coups de fouet deux personnes qui entretenaient une relation hors mariage. Le soir même, ils annonçaient fièrement que les deux jeunes gens étaient désormais mariés, une union célébrée par celui qui avait exécuté la sentence. Un mois plus tard, dans la ville d’Aguelhok, un couple non marié était condamné à la lapidation.
Traditionnellement, les mariages au Mali durent plusieurs jours. Les festivités peuvent même s’étaler sur une semaine chez certaines ethnies. Après la cérémonie religieuse, animée par un marabout choisi par les familles, les mariés et leurs convives chantent, dansent et jouent de la musique une partie de la nuit. Le plus souvent, la fête a lieu au grand air, devant la maison. Puis, la mariée et son époux vivent plusieurs jours dans une maison prêtée par l’entourage, où ils reçoivent des cadeaux durant diverses célébrations. Enfin, les époux regagnent la maison du mari où ils s’installent définitivement.
Mais dans une région où les interdits se multiplient (la télévision, la musique occidentale, le football ou encore la consommation d’alcool et de tabac sont jugés "illicites" par les musulmans extrémistes), les futurs époux font désormais le choix de l’austérité.
Contributeurs
"D’habitude, les gens viennent avec des magnétophones, des haut-parleurs et différents instruments de musique que nous installons dans la rue"
Mahamadou Diya, 28 ans, est enseignant à Gao. Il s’est marié le 27 juillet.
Quand j’ai choisi la date de mon mariage, en juin, je savais qu’il fallait que j’évite tout ce que les islamistes n’aiment pas, c'est-à-dire le bruit, les attroupements, la musique, etc. Nous avons donc uniquement célébré la cérémonie religieuse, et n’avons pas fait la fête, comme le veut la tradition, pendant plusieurs jours.
Nous nous sommes mariés, selon nos coutumes, dans la maison de ma femme [les mariages peuvent aussi avoir lieu dans les mosquées, ndlr]. Un marabout a récité le prêche. Puis, les invités ont traversé la ville pour emmener la mariée dans ma maison. Comme cela se passe généralement, les gens étaient à moto, ce qui a créé de l’agitation. Un de mes amis m’a dit que des islamistes avaient d’abord stoppé le cortège pensant qu’il s’agissait d’une manifestation. Mon ami leur a alors expliqué qu’un couple se mariait. Selon lui, les islamistes semblaient satisfaits d’entendre cela. Ils ont même escorté les invités jusqu’à chez moi. Pour eux, c’est une bonne chose que les gens se marient. Quand ils voient une fille et un garçon côte à côte dans la rue, ils vérifient systématiquement s’ils sont mariés. Sinon, c’est des coups de fouet assurés.
"J’ai tout fait pour qu’ils ne débarquent pas avec leur Kalachnikov et fassent déguerpir tout le monde"
Une fois que tous les gens sont arrivés chez moi, nous avons mangé le repas préparé par les femmes de ma famille. Puis pendant une quinzaine de minutes, certains se sont mis à taper dans les mains, sans musique, pour se divertir. Et c’en était fini des festivités. D’habitude, les gens viennent avec des magnétophones, des haut-parleurs et différents instruments de musique que nous installons dans la rue. On danse alors le takamba [une danse songhaï, une des principale ethnie de la région, ndrl] sur de la musique très forte et pendant plusieurs heures. Mais c’est aujourd’hui impossible. Je mettais d’ailleurs en garde les invités qui se tenaient dehors, devant la maison de ne pas fumer, ni de se tenir à côté d’une personne de sexe opposé. C'était pour ne pas attirer leur attention et d’éviter qu’ils ne débarquent avec leur Kalachnikov et fassent déguerpir tout le monde.
Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Peggy Bruguière, journaliste à FRANCE 24.
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