lundi 10 septembre 2012

4 janvier 1959: que s'est-il réellement passé à YMCA ?

Nous sommes tombés sur un document inédit relatif aux événements du 4 janvier 1959 lorsque la « colonie modèle » s’ébranla tout d’un coup. Les émeutes durèrent trois jours.

La police s’avéra incapable de ramener l’ordre.

C’est grâce à la Force publique, l’armée coloniale, que la situation fut maîtrisée.

A ce propos, nous avons découvert deux rapports sur les incidents survenus sur la place YMCA aujourd’hui Place du 4 janvier.

Le premier est celui de l’ABAKO elle-même, tandis que le second est celui d’un administrateur belge témoin devant l’histoire du début des échauffourées entre les Congolais assoiffés de liberté et le pouvoir colonial belge décidé à maintenir le statut quo.

Ces deux textes nous donnent une idée des faits et nous éclairent sur le début de ce qui deviendra une véritable insurrection populaire.

Aussi vu leur importance, nous avons jugé nécessaire de mettre les deux rapports à la disposition des Mbokatiers tout en y ajoutant des photos de ces événements afin d’illustrer cette journée mémorable. Elles sont tirées du site kasa-vubu.org. Voici donc noir sur blanc le récit des uns et des autres.

Samuel Malonga

Rapport de l'Abako sur les incidents de Léopoldville

La section de Kalamu, en date du 4 janvier 1959, devait tenir une réunion sectionnaire. A cette occasion, elle avait tenu au courant le premier bourgmestre ainsi que les membres.

Samedi 3 janvier, veille de la réunion, vers midi, le président de la section, revenant de service, recevait une lettre de M. Tordeur, premier bourgmestre, s'opposant à cette réunion. Son opposition fut tardive, vu que samedi 3 janvier aucune presse ne pourrait communiquer le changement de la date.

Le même soir le comité de ladite section remit la lettre de M. le premier bourgmestre au comité central incomplet. Ce dernier consentit le transfert de la réunion à la date du 18 janvier 1959. Le 4 janvier 1959, les membres se sont rendus à l'endroit où devait se tenir la réunion (Home Y.M.C.A.).

Le président de la section connaissant l'histoire s'est rendu sur place pour aviser les membres que, par ordre de M. Tordeur, premier bourgmestre, la réunion était différée au 18 janvier 1959. Après avoir rempli sa mission le comité sectionnaire s'est retiré de la place.

Vers deux heures, les membres ne connaissant aucun démenti, se groupèrent. M. Hubert, adjoint au premier bourgmestre, se trouvait lui aussi en place. La tension des hommes, apprenant que la réunion était annulée, fut agitée. Les membres crurent que le comité avait joué une comédie.

Tout à coup arrivait M. Duvivier, inspecteur des YMCA , arrivée de Joseph Kasa-Vubu. Il y est follement acclamé.


Associations, qui devait assister à cette réunion. Celui-ci déclara aux membres qu'il n'y avait aucun obstacle pour tenir la réunion. Les membres enthousiasmés par les dires de M. Duvivier se regroupèrent.

M. Kasa-Vubu J, président général, habitant à quelques mètres du Home Y.M.C.A. accompagné de M. Nzeza-Nlandu Bd. et de M. Kingotolo A. respectivement fondateur et secrétaire général prirent la décision d'évacuer la foule en lui disant quelques mots en français, en lingala, en kikongo et en kikongo ya Bula Matadi.

« La réunion sectionnaire d'aujourd'hui est reportée au 18 janvier 1959. Vous avez tous le grand désir d'attendre l'essor de votre destinée. Vous avez demandé l'indépendance. Le Gouvernement belge nous fera sa déclaration le 13 courant. Ayez confiance. Les Représentants étudieront la réponse du Gouvernement belge. Partez et ayez foi en votre demande ». Tous crièrent Vive l'Abako! Vive l'indépendance.

Après quoi les hommes se dispersèrent. Tout cela ne dura pas plus de quinze minutes. Tout à coup survinrent trois commissaires et une foule de policiers armés. Ceux-ci commencèrent par les arrestations des hommes qui criaient Vive l'indépendance. La foule s'indigna.

Pas seulement les arrestations, un commissaire, par l'ordre du premier bourgmestre, revolver en main, tire sur la masse désarmée. Voyant les hommes abattus, la masse employa les pierres pour se défendre, Voilà le fait le plus grave et incivique qui a provoqué les désordres et les incidents de Léopoldville.

Le manque d'une collaboration franche et étroite, pendant 80 ans, dans la gérance administrative, sociale et économique. Subir toujours un régime administratif dictatorial. Considérer les habitants du pays comme simples esclaves.

Le Noir ne peut pas jouir de l'égalité des droits de l'homme, principe humanitaire. Tout Belge, quel que soit son rang social, est considéré comme un commandant. Telles étaient les pensées agitées dans les esprits des Congolais voyant cette scène de tuerie provoquée par les commissaires belges.

Rapport d’un administrateur belge sur la manifestation

« Abako-Kalamu» du dimanche 4 janvier 1959

Arrivée à I'YMCA, Av. Prince Baudouin à 14 h. 00.Foule houleuse en bordure du trottoir; cris et injures au passage des voitures, Attitude menaçante. Entrée de M. R. et moi-même, désignés pour assister à la réunion, dans la parcelle de l'Ymca. Mouvements en sens divers.

Une partie de la foule se retire en injuriant l'autorité et les Européens, croyant la réunion interdite par M. le Premier Bourgmestre. Interrogeant quelques passants et apostrophés par d'aucuns, nous déclarons venir assister à la réunion qui n'a nullement été interdite. Injures personnelles à l'égard de M. Tordeur.

« Si on n'obéit pas à ce que nous voulons, pas de travail demain, «Indépendance ». Nous constatons l'absence totale de police. Les organisateurs de la manifestation sont introuvables. Retour en masse de la foule dans la cour intérieure de l'Ymca.

L'entrée est absolument libre et environ 4.000 Congolais s'y entassent jusque sur les balcons et le toit reliant les deux ailes du bâtiment. Nous sommes les seuls Européens (à part un Blanc non identifié dans la foule) à participer à ce rassemblement. Attente et mouvements divers dans la foule; arrivée de M. le bourgmestre Ngoma.

Le journaliste Mobutu, son photographe et M. Lumumba vendant des cartes MNC sont au restaurant. Nous rencontrons également MM. Hubert, Celles, Jessaert au restaurant où ils ont assisté à un dîner des Bateke. Un autre dîner réunissait les dirigeants du Mouvement jeunesse africaine.

Les participants à ces deux dîners n'ont pris aucune part à ce qui se passait au dehors du restaurant. Nous nous rendons au domicile de M. Kasa-Vubu et y interrogeons Mme et des Invités, Ils déclarent que Kasa-Vubu est absent et doit se trouver à la réunion; la mauvaise foi des réponses est évidente. De retour à l'Ymca nous attendons jusqu'à 14 h 45' et assistons dans la foule à l'arrivée fortement ovationnée du leader de l'Abako, accompagné de M. Nzeza-Landu.


Dans l’enceinte de l’YMCA, Joseph Kasa-Vubu est entouré des autres leaders de l’Abako

Nous rencontrons le représentant de la Section Ngiri-Ngiri disant ne pas être seul représentant de section à être étonné de ne rencontrer aucun membre organisateur de la réunion. Leur speech habituel est d'ailleurs prêt. Pas de micro, d'estrade, de place réservée aux dirigeants et délégués.

Au centre de la foule dont une partie s'éloigne déjà faute d'entendre un seul mot, Kasa-Vubu et Nzeza-Landu prennent successivement la parole pour haranguer leurs partisans; seuls les rangs immédiatement proches d'eux les comprennent. (...) de l'assistance hurle « Indépendance » que le restant de la foule reprend en choeur.

Kasa-Vubu est reconduit à sa voiture sous les acclamations de la foule et notamment «Roi ». Dispersion de l'assistance à 15 h 15'. Les quolibets fusent à notre adresse et à celle de M. Tordeur. Voici de quoi donner le ton : « Macaque », « Nyama Flamand », « Les indigènes en Belgique », « Appliquez l'indépendance », « F... le camp », « Bande de salauds ».

Nous subissons bousculades, coups de coude volontaires, crachats à nos pieds, refus de céder le chemin. Nous arrivons à approcher M. N. qui nous dit avoir compris ceci. Allocution Kasa-Vubu : « Nous allons construire notre home. Inutile de discuter longuement aujourd'hui puisqu'on nous a promis une grande déclaration pour le 13.

De toute façon, nous n'acceptons que l'indépendance immédiate ». Allocution Nzeza-Landu, répétition des dires de Kasa-Vubu en kikongo : « De plus l'Abako n'est pas réservée aux seuls bakongo. C'est un mouvement politique ouvert à tous les Congolais.

Nous voulons nous entendre avec tous les autres mouvements à condition qu'ils définissent clairement leurs intentions pour le moment où l'indépendance aura été acquise.


Scène d’émeutes dans les rues de Léopoldville (Photo AFP)

D'autre part, le tribalisme est un acquis culturel congolais qu'il n'est pas question de renier quoique les grands problèmes doivent se résoudre sur le plan général ». A la sortie la foule se rassemble à nouveau en bordure de l'av. Prince Baudouin et insulte les voitures européennes qui passent.

Une voiture non identifiée rangée et qui prenait le départ reçoit quelques pierres. Restés, malgré la hargne des gens qui nous entourent, quelque temps sur le trottoir, nous voyons que le monde se disperse peu à peu. La police est toujours absente.

Rentré à mon habitation, je tâche d'obtenir le commissariat de Kalamu sans succès. Au Central le commissaire de garde ne peut nous donner aucun renseignement sur les ordres reçus éventuellement ultérieurement depuis ce matin. La moindre réplique ou réaction de notre part à la grossièreté de la foule aurait certainement sur le champ déclenché une émeute.

Nous apprenons par le Commissariat de police que la police s'est rendue sur place après la manifestation pour disperser la foule qui lancerait encore des pierres.

Il semble que ce déroulement inhabituel de la réunion est dû au fait que craignant passer outre à l'avertissement de l'Administration et ne voulant pas d'autre part décommander la réunion pour une question de prestige, les dirigeants se sont abstenus de paraître tout en laissant la foule s'amasser au lieu convenu, ce qui ne pouvait que la dépiter, l'inquiéter et l'énerver en se retournant contre l'inévitable sabotage de l'Administration.

D'autre part, n'ayant pas pris directement part à cette réunion publique, les organisateurs se croient à l'abri de toute accusation et sanction.

Tiré de ABAKO 1950-1960, Centre de Recherche et d'Information Socio-Politique in Le Potentiel

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