vendredi 5 octobre 2012

RD Congo : nommer le Rwanda comme agresseur est insuffisant

Au fur et à mesure que les années passent, l’amnésie gagne les cœurs et les esprits et les acteurs pléniers de la guerre de basse intensité imposée à notre pays s’enfoncent de plus en plus dans l’ombre et leurs marionnettes deviennent de plus en plus visibles sur le devant de la scène mondiale. Un débat houleux mobilise certains milieux politiques et citoyens après le discours prononcé par Joseph Kabila à l’Assemblée générale de l’ONU à New-York le 25 septembre 2012. Il est reproché à ce dernier de n’avoir pas cité nommément le Rwanda comme pays agresseur du nôtre comme l’attestent les différents rapports rédigés par les experts de l’ONU et surtout les annexes du rapport publiées au mois de juin 2012.Ce reproche fait au «président de fait» du Congo étonne. Et cela pour plusieurs raisons.

Il fait fi du fait que Joseph Kabila est «un cheval de Troie» du Rwanda. Lui demander de couper la branche sur laquelle il est assis serait l’acculer au suicide. Si nous soutenons qu’il est « un président de fait », c’est parce qu’il est le produit d’un hold-up électoral qu’il a orchestré avec plusieurs membres du CNDP/M23 jouissant du soutien du Rwanda.

Nommer le Rwanda comme agresseur de notre pays serait, pour lui, cracher sur les secrets ayant conduit au hold-up électoral (ayant eu lieu après les élections de novembre et décembres 2011). Aussi, le Rwanda de Paul Kagame, le CNDP/M23 et le clan kabiliste sont-ils « les créatures » des initiateurs de la guerre de basse intensité imposée à notre pays depuis la chute de Mobutu (et même bien avant, depuis l’assassinat de Lumumba le 17 janvier 1961).

Un petit rappel historique. L’assassinat de Lumumba, Premier ministre élu au suffrage universel, mettait fin au début d’un processus de démocratisation de notre pays après une longue période coloniale et préparait notre pays à vivre sous le joug de la dictature de Mobutu à partir de 1965. Au début du mois de mai 1997, ses « créateurs » l’ont disqualifié après avoir noué une nouvelle alliance avec le duo Kagame-Museveni. La lettre de « révocation » de Mobutu écrite par Bill Clinton lui fut remise par Bill Richardson avant qu’il ne démissionne le 17 mai 1997 et prenne le chemin de l’exil. Mobutu était sommé de démissionner s’il ne voulait pas que son cadavre puisse être traîné dans la rue par les chiens. Pour ses « créateurs », il était devenu « une créature de l’histoire ».

Pourquoi y a-t-il eu ce changement d’alliance ? Mobutu était malade et ses
«créateurs» doutaient de ses chances de guérison. Ils devaient mener leur guerre contre le Soudan et ils avaient besoin de la partie Nord-Est de notre pays pour le transit des armes. Ayant soutenu Museveni dans le renversement de Milton Obote et Kagame dans la chute d’Habyarimana, « les créateurs de Mobutu » redoutaient que Tshisekedi ne prenne le pouvoir après la mort de Mobutu et qu’il s’oppose à la guerre contre le Soudan. La nécessité d’avoir un régime militaire allié au duo Kagame-Museveni s’imposait. D’où la guerre de l’AFDL. Pendant longtemps, les suppositions sur « la main invisible » soutenant cette guerre pesaient sur les USA jusqu’au jour où Herman Cohen brisa le tabou. A ce sujet, l’un des connaisseurs de l’histoire de la sous-région de Grands Lacs écrit : « En affirmant, lors d’une interview menée le 16 octobre 2002 en langue française, que c’est une « guerre par procuration » qui se déroule en Afrique centrale depuis 1996, il (Herman Cohen) brise le tabou, ce qu’il aurait dû être fait depuis bien longtemps. » (H. STRIZEK, La situation des droits de l’homme au Rwanda. La vie après le génocide, Missio, 2003, p. 30)

La guerre de basse intensité contre le Congo (RD) comme celle menée contre le Soudan participe d’une seule et même stratégie : créer des Etats ratés par des marionnettes interposées et avoir un accès facile aux matières premières stratégiques dont disposent ces pays affaiblis. Cette guerre est aussi la réponse à la question de la création du marché de l’Afrique de l’Est et de la remise aux calendes grecques du panafricanisme des peuples africains. Piller l’Afrique en l’affaiblissant de l’intérieur, en la divisant, en opposant ses fils et filles les uns aux autres et en cultivant une haine tenace entre eux, telle est « la politique » pratiquée par l’élite anglo-saxonne et ses alliés en Afrique centrale et en Afrique de l’Est. (Pour approfondir cette question, il serait intéressant de lire C. Onana, Menaces sur le Soudan et révélations sur le procureur Ocampo. Al-Bashir et Darfour. La contre-Enquête, Paris, Duboiris, 2010)

Dans la préface d’un autre livre de Charles Onana, Cynthia McKinney, ancienne congressiste du parti démocrate et envoyée spéciale de Bill Clinton dans les Grands Lacs Africains en 1997, soutient que notre pays subit les conséquences de la mauvaise politique des USA et de leur alliance militaire avec le Rwanda de Paul Kagame. (Lire cette préface dans C.Onana, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Pairs, Duboiris, 2009, p. 7-17)

Quatre autres titres aideraient à mieux approfondir cette question et de nous réaliser qu’au-delà du Rwanda, il y a les USA, la Grande-Bretagne, Israël et leurs firmes privées qui jouent le rôle d’acteurs pléniers dans la tragédie que connaît toute la sous-région des Grands Lacs : J.-P. Badidike, Guerre et droits de l’homme en République démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan, 2009 ; A. Deneault, D. Abadie et W. Sacher, Noir Canada. Pillage corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Ecosociété, 2008, F .Hartamann, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales, Paris, Flammarion, 2007 ; P. Péan, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010. Nous pouvons ajouter à ces quatre, Les crimes organisés d’Honoré Ngbanda.

Pour certains compatriotes, revenir sur ces livres, c’est reconduire des lieux communs. A notre avis, cette reconduction nous semble indispensable au niveau des efforts que nous avons à conjuguer pour organiser notre pensée en vue d’approfondir la connaissance que nous avons de notre véritable adversaire. Mais aussi des conséquences que nous avons à en tirer pour l’avènement d’une autre Afrique.

Il est un fait que Paul Kagame est un criminel de grand chemin et qu’il doit à tout pris être mis hors d’état d’agir. Lui et ses escadrons de la mort. Néanmoins, oublier que ce monsieur est un « paralytique » s’amusant en dessous d’un arbre avec des feuilles vertes parce que ses amis anglo-saxons les lui jettent, c’est courir le risque d’embrasser, demain, dans la sous-région des Grands Lacs, « un autre paralytique » au service de la même élite à la place de Kagame pour perpétrer la même politique. Donc, nommer Kagame dans les débats portant sur la guerre de basse intensité imposée à notre pays ne suffit pas si cela ne nous permet pas d’identifier les acteurs pléniers opérant à partir de « véritables cercles de pouvoir mondial ».

Revenir sur les quelques livres susmentionnés est une invitation à nous livrer régulièrement à une bonne cure contre l’amnésie. Elle peut conduire à, la confusion et rendre l’organisation de notre pensée inefficace. Une bonne cure contre l’amnésie peut nous aider à questionner l’hégémonie culturelle occidentalisante nous conduisant à vanter les mérites de « vielles démocraties du marché » pendant qu’elles mènent des politiques économiques militaristes nocives pour l’avenir de l’Afrique et de l’humanité.

Une bonne cure contre l’amnésie nous semble être l’une des options pouvant nous engager sur la voie de l’éthique de la responsabilité tournée vers le passé et de l’éthique de la réconciliation tournée vers l’avenir. Nous aurons beau accusé les autres, mais sans une autocritique permanente sur nos trahisons, nos cupidités, sur nos faux-semblants, sur nos replis ethno-communautaires, sur nos manques de mise sur pied de grands mouvements sociaux et des partis politiques capables de travailler en synergie, nous n’arrêterons pas de tourner en rond. Nous n’aurions pas par exemple été vaincus par « le petit Rwanda », si nous avions une armée professionnelle et non-tribalisée. (cfr l’interview du général Paul Mukobo à Congoindependant du 09 août 2012)

Oui. Une éthique de la réconciliation avec nous-mêmes et avec nos voisins est indispensable pour l’avènement d’un panafricanisme des peuples capable de résister contre la politique du « diviser pour régner » à laquelle recourt l’élite angolo-saxonne pour nous rendre corvéables à souhait. A ce point nommé, les efforts timides mais louables déployés par certains d’entre nous et certains patriotes rwandais pour travailler ensemble et traduire Paul Kagame, « son cheval de Troie au Congo » et ses autres escadrons de la mort en justice sont à encourager. Une éthique de réconciliation ne devra pas faire l’économie d’une justice juste et suffisamment réparatrice. Elle devra aussi contribuer à sauver la sous-région des Grands Lacs du processus d’ensauvagement entretenu par initiateurs de la politique du « diviser pour régner » et déclarer absurde une guerre de prédation dressant les Africains les uns contre les autres par une élite prédatrice appartenant aux nations ayant réussi à aplanir leurs différents et à se constituer en de grands ensembles.

Mbelu Babanya Kabudi
© Congoindépendant

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