jeudi 6 décembre 2012

La perspective d’une intervention militaire au Mali divise les Africains

6 décembre 2012

Dakar, envoyée spéciale à Africités

Grande fête des pouvoirs locaux en Afrique, le sommet « Africités » qui se réunit cette semaine à Dakar, a permis à quelque 5000 élus, maires, conseillers municipaux, gouverneurs de provinces, de réaffirmer que l’essor du continent partira de la base, de ces territoires et municipalités qui forment la trame sur laquelle se développent projets et chantiers.

Mais en marge de cette rencontre foisonnante, quelques vétérans de la politique africaine ont tiré un bilan plus mitigé de l’état du continent. Commissaire de l’Union africaine chargé de la paix et de la sécurité, M. Ramtane La-Mamra a constaté qu’il y avait, certes, amélioration apparente : une trentaine de conflits ouverts au début des années 90, une quinzaine « seulement » aujourd’hui, dans lesquels l’Union africaine est plus impliquée que par le passé.

Non seulement elle a mis en place un système d’alerte précoce afin d’intensifier la prévention, mais surtout elle poursuit la constitution d’une force militaire africaine, qui a déjà été déployée avec succès dans quatre pays, Burundi, Darfour, Comores et Somalie (un pays où militaires burundais et ougandais, malgré des pertes importantes, ont réussi à faire reculer les milices islamistes.)

Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, Saïd Djinnit, après une longue carrière à l’Union africaine, devait se montrer plus pessimiste : « un demi siècle après le temps troublé des indépendances, force est de constater que chaque fois que nous croyons qu’un conflit se termine, un autre foyer de tension apparaît : voyez la Côte d’Ivoire, à peine était elle pacifiée que le Sahel, Mali en tête, a commencé à flamber… »

Plus sceptique encore, et plus incisif, l’ancien président sud africain Thabo Mbeki devait déplorer ouvertement la manière dont Laurent Gbagbo avait été traité en Côte d’Ivoire, traqué militairement puis expédié à la Cour pénale internationale tandis que, quelque temps plus tard, le président Kadhafi était, -littéralement-, assassiné.

Et de se demander, à la lumière de la guerre au Kivu et des opérations qui s’annoncent au Mali, si « on n’assiste pas à un nouveau scramble (partage) de l’Afrique, à une nouvelle ère de domination des anciennes puissances coloniales… »Tout en constatant que « aussi longtemps que les Africains demeurent incapables de financer leurs opérations militaires, ils sont, face aux nouveaux défis stratégiques, entièrement dépendants de l’Occident… »

L’essayiste malienne Aminata Traoré, violemment opposée à une intervention militaire dans le nord de son pays, (voir interview ci contre) se fit applaudir en s’écriant « non à une guerre par procuration, à une guerre dite de basse intensité, dans laquelle aucune goutte de sang blanc ne sera versé… »

A l’heure où se précisent les contours d’une intervention militaire au Mali, voulue par la France, le malaise des Africains est perceptible : il est clair que l’Union africaine ainsi que plusieurs pays comme l’Algérie, préconisent une solution négociée et espèrent réussir à dissocier les Touaregs maliens d’Ansar Dine, revendiquant plus d’autonomie, de leurs dangereux alliés d’Aqmi (Al Qaida au Maghreb islamique).

Le président tchadien Idriss Deby lui-même, sortant de l’Elysée, devait qualifier de « confusion totale » l’attitude de la communauté internationale face à la situation du Nord du Mali.

En effet, si l’Union africaine se tient en retrait, par contre la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, présidée par l’Ivoirien Alassane Ouattara, s’aligne sur la position française et encourage les préparatifs de guerre d’ici le premier trimestre de 2013.

Lorsque Thabo Mbeki s’exclame « l’Afrique doit se réapproprier les processus de paix et imposer aux Etats le respect des résolutions de l’Union africaine », son accent est celui d’un vieux sage désabusé : « force est de constater que la génération issue des luttes d’indépendance et de libération a disparu, et que même la relève s’essouffle… »Trop brièvement évoqué, l’exemple du Congo n’a pas suscité plus d’optimisme que celui du Mali…

5 décembre 2012


Quelques questions à Aminata Traoré, écrivain et altermondialiste malienne

Au cours d’une session sur l’Afrique des conflits, organisée par Africités, vous vous êtes opposée à la guerre qui se prépare dans le Nord du Mali. Pourquoi cette opposition alors que le nord de votre pays est occupé par des islamistes ?

« Les Occidentaux se préparent à nous aider, mais en refusant d’engager des troupes au sol. Et cela pour une guerre qu’ils ont eux-mêmes créée en violant la résolution 1973 des Nations Unies. Je considère qu’ Obama, Sarkozy et Cameron se sont moqués de nous en intervenant en Libye et maintenant nous, dans la sous- région, nous en payons les conséquences…

On veut corriger les conséquences d’une guerre injuste, par un autre conflit, tout aussi injuste…Au Mali, les gens ont faim, ils émigrent, les hôpitaux sont des mouroirs, nous avons une guerre à mener, mais pas celle-ci…

Les Occidentaux estiment qu’on ne peut se permettre de laisser subsister ce foyer d’instabilité qu’est devenu le Nord du Mali ? Leur donnez vous tort ?

Je leur renvoie la question : d’ où est venu ce foyer ? Il s’agît ici de ramifications d’un phénomène beaucoup plus large : n’a-t-on pas dénombré 15.000 salafistes en France ? Là bas, ce n’est pas à coups de bazookas qu’on aborde le problème.

Pourquoi faudrait-il privilégier chez nous le recours à la violence armée? Cette guerre, si elle se déclenche, va coûter cher et durer longtemps…Le Mali, en fait, a droit à une réparation car mon pays est une victime collatérale de l’intervention de l’OTAN en Libye. Ce qui se prépare c’est une guerre non conventionnelle, dont nous n’avons pas les moyens, contre un ennemi dont nous ne connaissons pas le visage et pour des enjeux qui vont au-delà de la lutte contre le terrorisme…

A vos yeux, quel est le véritable motif de la guerre qui se prépare au Mali ?

Ce qui se joue, c’est la lutte pour le positionnement militaire dans la sous région, compte tenu des enjeux économiques. L’uranium du Niger, essentiel à l’approvisionnement énergétique de la France, n’est pas loin et c’est pour cela que la France, qui fait appel à la solidarité de l’Europe, assure que le Sahel, c’est son nouvel Afghanistan…

L’uranium du Niger est aussi convoité par la Chine, de même que le pétrole… C’est tout cela qui entre en jeu…

Pour régler la question, voyez vous une autre issue que la guerre ?

Je cite François Hollande, candidat, qui disait à propos de l’Afghanistan qu’il faut savoir mettre fin à une guerre. Aujourd’hui, le président qu’il est devenu ouvre un autre front…Les Européens vont détourner vcrs la guerre chez nous des ressources dont ils auraient grand besoin sur leur propre front, qui est social.

La situation de mon pays représente une blessure narcissique pour la communauté internationale qui a construit l’image d’un Mali qui gagne, sans tenir compte des immenses problèmes en interne. Même quand on vantait notre démocratie, on ne demandait pas notre avis…

Aujourd’hui encore, on va partir en guerre en notre nom, mais sans nous consulter…Les Maliens n’ont pas voix au chapitre, nous sommes pris en otages par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, par l’Union africaine et par l’ONU, même si elle recule face au coût humain que représentera cette opération ; c’est un engrenage monstre qui se prépare…

En réalité, il faut être attentif à la situation qui se développe sur le terrain : elle est en train de changer. Après tout ce qui s’est passé, je ne sais pas si ceux qui, au Nord, voulaient le séparatisme tiennent encore réellement à l’Azawad, cet Etat touareg indépendant.

Les Touaregs, il est vrai, se sont alliés à Aqmi, (Al Qaida au Maghreb islamique) qui a pris le dessus sur l’armée malienne. Mais la donne change : les Touaregs se rendent compte qu’ils ont été instrumentalisés. Aujourd’hui Ansar Dine, qui est la composante malienne des belligérants du Nord met beaucoup d’eau dans son vin et assure même qu’elle veut renoncer à la charia…

Des brèches s’ouvrent, il y a moyen de parler, de trouver des solutions locales, ce n’est pas une intervention militaire qui va régler le problème…

La gestion des rebellions touarègues a toujours trouvé des solutions qui ont mené à l’accalmie…Je le répète, le vrai problème du Mali est celui du développement…Le chômage, l’exclusion règnent partout, à Kayes et à Sikasso autant qu’à Tombouctou…Notre situation est l’expression africaine, tragique, d’une crise qui est mondiale, systémique et ce n’est pas la guerre qui va la résoudre, ni chez vous ni chez nous…

Propos recueillis à Dakar
Le carnet de Colette Braeckman

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