mercredi 23 janvier 2013

RDC : M23 et gouvernement d'accords... sur rien

Les désaccords apparaissent au grand jour entre les rebelles du M23 et le gouvernement congolais. La rébellion a avancé mercredi une longue liste de revendications... immédiatement rejetées par la délégation congolaise. Plusieurs analystes craignent que l'échec prévisible de tout accord ne fasse reparler les armes au Kivu.


Le complexe hôtelier ougandais où se tiennent les négociations à Kampala © DR

Les premières phases de négociations ont démarré péniblement mercredi 16 janvier entre le M23 et Kinshasa. Après plus d'un mois de discussions sur l'ordre du jour des pourparlers, les deux parties ont pu exposer enfin leurs points de vue sur la crise dans l'Est de la RDC. Pour l'instant, les négociations tournent au dialogue de sourds.

Une amnistie des faits de guerre

Dans le "cahier des charges" présenté par le M23, les rebelles insistent tout d'abord sur les concessions qu'ils ont accordé aux chefs d'Etat de la région (CIRGL) en stoppant leur avancée, en se retirant de la ville de Goma et en acceptant le "dialogue avec le gouvernement". Le premier point d'achoppement concerne l'accord que 23 mars, signé par l'ancienne rébellion du CNDP avec Kinshasa. 

Le M23 estime qu'il n'a pas été respecté et demande entre autre : "la reconnaissance des grades" de ses troupes au sein de l'armée régulière, "l'ouverture de la frontière de Bunagana", "l'amnistie générale pour faits de guerre", "la libération des détenus politiques", "la création d'une police de proximité" et "l'organisation d'une commission d'enquête sur les biens mal acquis par les officiers militaires". La rébellion exige enfin, une rémunération "régulière et décente des militaires, policiers et agents de l'Etat".

Un gouvernement de transition

Sur le plan politique, le M23 dénonce "la volonté délibérée du régime de Kinshasa de ne pas organiser les élections aux niveaux local", la "non-effectivité de la décentralisation" et la "xénophobie et la discrimination ethnique". Concernant les élections contestées de novembre 2011, les rebelles accusent le pouvoir en place de "fraudes massives" et d'avoir créé une Commission électorale non-indépendante (CENI), trop proche du parti présidentiel, alors que la Constitution recommandait une "personnalité apolitique". 

Le M23 souhaite donc "l'annulation des élections", "la dissolution du Sénat" et des "assemblées provinciales" et la mise en place d'un "Conseil National de Transition Congolais (CNTC)". Selon les rebelles, un nouveau gouvernement de transition devra être nommé.

Concernant l'économie, le M23 demande "la création d’une commission mixte pour évaluer tous les contrats (miniers, forestiers et pétroliers) et le cas échéant les revisiter", ainsi que "l’annulation de l’ordonnance-loi interdisant l’exploitation et l’exportation de matières précieuses à l’Est de la RDC".

Pas de Conférence Nationale Souveraine bis

Si les revendications catégorielles des militaires du M23 peuvent trouver "un certain écho" côté gouvernemental, il est clair que le reste des exigences politiques de la rébellion semblent "difficiles à satisfaire" pour Kinshasa. 

La réponse des autorités congolaises faite aux rebelles souligne le fossé qui s'est désormais creusé entre les deux parties. Le gouvernement rappelle tout d'abord que les preuves de bonne volonté du M23 restent limitées. Les rebelles devaient en effet se retirer "à au moins 20 km au Nord de Goma", "ce qu'il n'a toujours pas fait", souligne le texte. 

Le gouvernement observe une fin de non recevoir sur les revendications politiques du M23. Pour Kinshasa, "ce dialogue ne peut pas se transformer en une Conférence Nationale Souveraine ou en un Dialogue Inter-congolais bis". 

Et de préciser : "il ne peut pas non plus aspirer à devenir un forum pour aborder et résoudre tous les problèmes du pays". Kinshasa ferme également la porte au "Conseil National de Transition" proposé par les rebelles.

Des FDLR au sein du M23 ?

Sur les accords du 23 mars, le gouvernement se demande en quoi ces revendications "sont suffisantes pour justifier une rébellion armée" et accuse "certains membres du CNDP" d'avoir violés les accords. Kinshasa accuse également les rebelles d'avoir maintenus "des administrations parallèles dans le territoire de Masisi et (des) commandements parallèles dans l’armée". 

Le gouvernement dénonce aussi "la présence dans les rangs du M23 (...) d'éléments FDLR démobilisés" et des combattants de l'aile Mandefu du même groupe. Concernant l'intégration des milices dans l'armée "avec des grades actualisés", les autorités congolaise estime ce procédé "destructurant". 

Et de conclure : "on ne peut vouloir une chose et son contraire. Le M23 ne peut donc en appeler à une réforme de l’armée et demander en même temps que lui soient appliquées des mesures exceptionnelles à l’efficacité à tous égards douteuses".

Sur les revendications politiques, "la quasi-totalité des missions d’observation avaient noté que ces irrégularités n’étaient pas de nature à compromettre les résultats de l’élection présidentielle" précise le gouvernement. 

Un argument pas tout à fait juste, puisque le Centre Carter avait déclaré les résultats "non crédibles". Concernant la réforme de la CENI, Kinshasa affirme qu'elle est "en cours de réalisation". Là encore, on peut ajouter un bémol sur cette affirmation : le "ripolinage" de la Commission est encore très "limité".

Irréconciliables

On le voit à la lecture des deux documents, les désaccords sont nombreux entre le M23 et le gouvernement congolais. Certains connaisseurs du dossier congolais n'hésitent pas à qualifier les deux parties "d'irréconciliables". 

Les revendications des rebelles se sont fortement élargies au cours du conflit, qui a débuté en avril 2012. Les exigences de la rébellion se multipliaient à mesure que le M23 progressait sur le terrain militaire. Il y a donc peu de chance que Kinshasa accepte, ce qui lui semble inacceptable pour l'instant : "partager le pouvoir avec les rebelles". 

Côté rébellion, on voit mal comment le M23 pourrait se contenter de simples accords "corporatistes" concernant ses troupes. Un connaisseur de la région me confiait qu'il voyait mal Sultani Makenga, le chef militaire du M23, réintégrer "comme si de rien n'était" l'armée régulière après la signature d'hypothétiques accords.

Pas de "2009 réchauffé"

Le temps est aujourd'hui à la méfiance. Le M23 craint que Kinshasa ne cherche qu'à gagner un peu temps, en attendant les "renforts" militaires de la force internationale neutre, qui doit se mettre en place prochainement. 

Un membre du M23 me confiait son pessimisme concernant la possibilité d'un accord et craignait simplement du "2009 réchauffé". Les rebelles ne se font guère d'illusion et un expert prévoit un inévitable retour au "rapport de force". Entendez : le retour de la guerre au Kivu et une possible reprise de Goma par les rebelles.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

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