lundi 20 mai 2013

Confusion autour du projet Grand Inga

C’est à Paris, loin de Kinshasa, que le gouvernement a choisi de conclure, le week-end dernier, l’accord portant mise en œuvre du projet hydroélectrique Grand Inga. Sans tambour ni trompette.


Pourquoi le gouvernement joue-t-il au cachotier ? Y aurait-il des intérêts que les signataires ne voudraient pas révéler au grand public ? Porteur de grands espoirs aussi bien pour la RDC que pour toute l’Afrique, le projet Grand Inga nage toujours dans une confusion et au finish, pourrait décevoir.

L’épilogue du projet hydroélectrique d’Inga dans la province du Bas-Congo est loin d’être dénoué. Après avoir débouté ses amis de la SADC associés dans le cadre du Westcor pour la mise en œuvre du potentiel hydroélectrique d’Inga, suivi quelques mois plus tard par le retrait du géant minier BHP Billiton, c’est finalement vers l’Afrique du Sud que la RDC s’est tournée pour le développement du projet Grand Inga, avec possibilité de produire dans sa phase de production près de 40 000 Mégawatts (MW). 

Le projet de traité de coopération énergétique a été signé entre la RDC et la République Sud-africaine 7 mars 2013 à Lubumbashi. Quoi de plus normal que la prochaine étape ait pour cadre le pays de Nelson Mandela. Mais, c’est plutôt à Paris, loin de la terre africaine et, partant, des regards indiscrets de l’opinion publique, que les deux parties se sont donné rendez-vous avec d’autres partenaires pour poursuivre leur deal.

Le communiqué publié à l'issue d'une réunion entre les parties impliquées dans le dossier à Paris, dont l’agence belge Belga s’est procurée une copie, le projet Grand Inga est en voie de connaître son début d’exécution. Un accord, indique la même source, a été signé samedi dernier, à Paris, entre l’Afrique du Sud et la RDC pour la construction de ce qui devait être le plus grand barrage hydroélectrique du monde.

La RDC aurait fixé à octobre 2015 le début des travaux. « La RDC relance le processus de sélection du développeur et fixe l'objectif de pose de la première pierre du Grand Inga en octobre 2015 », rapporte note Belga citant le dit communiqué qui renchérit en disant que « la première phase de la construction de la plus grande centrale hydroélectrique du monde démarrera en octobre 2015 sur les rives du fleuve Congo ».

Selon la source, « avec une production de 40 000 MW, le projet Grand Inga fournira à terme en électricité la moitié du continent africain ». Toutefois, le projet, dans sa première appelée Inga 3 Basse Chute, produira 4 800 MW. Le communiqué final relève dans la foulée que « Par ces ententes de coopération, l'Afrique du Sud prévoit d'acheter une part conséquente de la production d'électricité du nouveau barrage, s'affirmant ainsi comme un partenaire clé ».

Qu’est-ce à dire ? Les partenaires répondent «  L'Afrique du Sud prendrait ainsi 2 500 MW des 4 800 MW de la puissance de la future centrale Inga 3 Basse Chute, devenant de fait l'acheteur de référence ».

Pour la mise en œuvre de ce méga projet, un consortium géant réunit la RDC, l’Afrique du Sud, l’Espagne et la Chine, sous l’égide de la Banque mondiale (BM), la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque européenne d’investissement (BEI). Les firmes EDF et GDF Suez sont associées au projet pour tout ce qui concerne l’ingénierie.

Belga rapporte que trois groupements participent en tant que candidats au processus compétitif de sélection du développeur : les Chinois Sinohydro et Three Gorges Corporation, exploitants du barrage chinois des Trois Gorges; les Espagnols Actividades de Construccion y Servicios (ACS), Eurofinsa et AEE; et les Coréo-canadiens Daewoo, Posco et SNC Lavalin.

Dans la première phase de sa mise en œuvre, Inga 3 devait donc s'ajouter aux deux barrages Inga existants (Inga 1 et Inga 2). Selon des estimations, Grand Inga, ce gigantesque ouvrage hydroélectrique, pourrait fournir 40% de l’électricité en Afrique. La puissance de 40 000 Mégawatts attendue à terme, pourrait coûter 80 milliards Usd.

Le projet Grand Inga sera d’une taille presque deux fois supérieure au barrage des Trois Gorges situé sur le fleuve Yangtsé en République populaire de Chine - le plus grand ouvrage hydroélectrique actuellement en service dans le monde.

Les non-dits

L’opacité dans laquelle cet accord a été signé, et surtout le lieu choisi pour le conclure. L’affaire n’aurait pas fait tiquer si l’accord était scellé en Afrique du Sud, consécutivement à la signature du traité de coopération énergétique intervenue en mars 2013 à Lubumbashi entre les deux pays. Mais que le dévolu soit jeté sur la capitale française, l’opinion se perd dans des conjectures.

Pourquoi Paris alors que la France, moins encore une firme française ne figure au nombre de partenaires impliqués directement dans ce projet ? Fournisseurs des équipements d’ingénierie, EDF et de Suez auraient-ils influencé cette délocalisation ? Difficile à dire pour l’instant.

Toutefois, dans certains milieux spécialisés,  le choix de Paris n’aurait pas été gratuit. Il procéderait d’une logique qui justifie à maints égards la mise en œuvre de ce projet. Ce serait même la preuve évidente de l’intérêt tout particulier que l’Europe accorde au projet Grand Inga.

La capitale française devant servir de point focal pour la collecte des fonds, donnés pour être énormes.  Autrement dit, le marché énergétique de la RDC ou de l’Afrique compterait moins, soutiennent des spécialistes. L’Europe serait la principale destination du projet Inga. 

Dans un document d’enquête intitulé : « Le cauchemar de Conrad. Le plus grand barrage du monde et le cœur des ténèbres du développement », Anders Lustgarten de Counter Balance, une ONG française, présente les vrais enjeux du projet Grand Inga.

D’entrée de jeu, il fait observer que « le projet du Grand Inga concerne avant tout l’approvisionnement d’énergie, de sorte qu’il revêt une importance à la fois vitale et géopolitique. Surtout quand on sait que dans son ensemble, le projet Inga représente deux fois la capacité du barrage des Trois Gorges en Chine et qu’il existe des plans d’exportation de cette électricité vers le reste de l’Afrique et même (et surtout) vers l’Europe ». 

Plus loin, l’auteur note, toujours concernant le projet, que « ce qui motive réellement la construction du Grand Inga (hormis la perspective de profits massif pour les entreprises), c’est la peu des dirigeants de l’Union européenne de manque d’énergie.

Le projet s’intègre dans un ensemble colossal de pipelines et de gazoducs, de panneaux solaires et des lignes haute tension, dont le coût total s’élève à des centaines de milliards de dollars américains, que l’Union européenne cherche à construire en Afrique, en Asie centrale et dans le Caucase afin d’assurer l’approvisionnement en énergie de son territoire ».

Selon l’auteur qui cite la Banque mondiale, le projet Grand Inga pourrait fournir de l’énergie à 500 des 900 millions d’Africains. Mais, compte tenu de grands enjeux politiques et environnementaux qui l’entourent, il se pose la question clé qui consiste à savoir si la population locale, particulièrement celle de la RDC, profitera réellement d’un tel projet. Anders Lustgarten émet de sérieux doutes.

Pression sur Kinshasa

La confusion qui prévaut quant au développement du projet Grand Inga demeure. Elle a longtemps empêché les bailleurs de fonds de se décider à financer le projet. Avec la signature de l’accord de Paris, une lueur d’espoir est permise quant au développement de ce projet, dont le coût global, selon diverses études, pourrait avoisiner les 100 milliards Usd. Il y a donc de gros intérêts à la fois économiques, politiques et environnementaux.

Le barrage de Trois Gorges a été construit au terme d’importants dégâts environnementaux. Qu’en sera-t-il du Grand Inga ? Le plus grand problème dans le développement est l’attitude inconsciente de la RDC qui est prête à s’engager dans toute aventure sans qu’elle n’en saisisse les raisons évidentes, cachées ou non.

La RDC a plusieurs fois hésité, avant de s’allier finalement à l’Afrique du Sud. Mas, à elle seule, l’Afrique du Sud n’est pas en mesure de garantir le développement du Grand Inga. Il faut plus de moyens, de gros moyens pour produire enfin 40 000 MW.

Face à cette situation, Kinshasa doit lever clairement une option et mettre fin à la confusion qu’il entretient délibérément autour du projet Grand Inga.

Anders Lustgarten conclut son enquête en ces termes : « Tant que le gouvernement de Kinshasa se montrera incapable de faire un choix entre les différentes options, les bailleurs des fonds internationaux ne seront pas enclins à investir leur argent dans l’un ou l’autre programme ».

L’on comprend aisément la visite qu’entreprend cette semaine en RDC le président de la Banque mondiale, l’Américain Jim Yong Kim. Ne serait-ce pas pour pousser Kinshasa à accélérer la mise en œuvre de ce projet dans lequel la Banque mondiale est fortement impliquée ?

Wait and see.

Le Potentiel

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