15 Mai 2013
Ellen Johnson Sirleaf, la présidente de la République du Libéria
Nos doutes sur la capacité du modèle occidental de la démocratie à construire l’Etat de droit en Afrique subsaharienne et nos certitudes sur ses éternelles nuisances sur le tissu social africain ne datent pas d’aujourd’hui.
Dès le discours présidentiel du 24 avril 1990, pendant que 99,9% de nos compatriotes applaudissaient frénétiquement et se cassaient en quatre au rythme du Mutwashi puisque se voyant déjà vivre dans un paradis à l’issue de premières élections pluralistes qui s’en suivraient, nous avions la nette impression que le président Mobutu venait de commettre une grosse erreur en voulant tenter de nouveau l’expérience du multipartisme.
Nous ne nous étions pas contentés de nos impressions. Nous avions vérifié leur validité en faisant des recherches. Au cours de celles-ci, grande fut notre surprise d’apprendre qu’au lendemain des indépendances, des professionnels de la pensée s’étaient déjà penchés sur l’échec du premier processus de démocratisation du continent.
Leur conclusion était unanime : la démocratie conflictuelle n’est pas faite pour des sociétés dans lesquelles l’identité liée à l’Etat central coexiste avec bien d’autres fortement ressenties par des segments entiers de la population.
Nos recherches nous avaient également permis de mieux observer le pouvoir, tel qu’il se pratique en Afrique, et de dessiner les contours d’une alternative à la démocratie conflictuelle et d’un processus électoral inédit puisque ne connaissant pas de réel perdant au niveau de l’élection la plus meurtrière, celle du président de la république.
Depuis lors, nous vulgarisons nos idées avec les faibles moyens à notre disposition. A cet égard, il nous arrive souvent de tomber sur une préoccupation analogue à celle exprimée par Joseph M. Uchudi qui, réagissant à notre analyse de la création du Caucus des Bakongo, nous demande si les grands de ce monde verraient d’un bon œil que les pays africains adoptent des formules de gouvernance d’un type nouveau tel qu’un régime politique consensuel, rassembleur et vraiment responsable.
Cette préoccupation mérite qu’on s’y arrête un instant d’autant plus que dans ses écrits, notre compatriote Mbelu Babanya vante souvent les mérites de la démocratie participative qu’il oppose à la démocratie dont les puissances occidentales semblent assurer la promotion. Que se passerait-il si jamais un Etat africain se lançait dans une aventure aussi salvatrice ?
Cas d’initiative de démocratie participative
Première nation d’Afrique à avoir obtenu son indépendance en 1847 après avoir été fondée en 1822 par une société américaine de colonisation, pour y installer des esclaves noirs dont la moitié sera constituée des Bakongo, le Liberia a déjà répondu à cette préoccupation à l’avènement, le 16 janvier 2006, de la première femme du continent à avoir été élue à la tête d’un Etat.
Après la formation de son premier gouvernement, Ellen Johnson Sirleaf avait nommé la plupart des gouverneurs de province et les commissaires de district suivant une approche participative que nous avons expliquée dans notre article sur la part de l’homme dans la gouvernance. Elle devait ensuite élaborer le plan de développement national.
Pour la toute première fois dans l’histoire de l’Afrique indépendante, un chef d’Etat décidait que ce plan ne serait rédigé ni par des experts installés confortablement dans leurs bureaux climatisés quelque part en Occident, ni par les hauts commis de l’Etat basés dans la capitale Monrovia.
Ellen Johnson Sirleaf parla alors de « Bottom to top approach » (Approche de bas en haut), qui devint le leitmotiv de sa politique. Le peuple libérien devait rédiger lui-même le plan de développement national. Quelle fut l’attitude de la communauté internationale ?
Réaction de la communauté internationale
La communauté internationale parla d’une seule et même voix. Non seulement elle mobilisa les fonds nécessaires à l’exécution du processus devant conduire à l’élaboration de ce plan par le peuple libérien lui-même, mais en plus les experts internationaux déployés dans chaque province dans le cadre de la restauration et de la consolidation de l’autorité de l’Etat furent chargés de piloter cette nouvelle démarche de démocratie participative.
La rédaction du plan de développement national se déroula en quatre étapes commençant au niveau du district et culminant au niveau national, avec deux passages obligés au niveau provincial et à celui du regroupement régional des provinces. Les fonds mobilisés par la communauté internationale servirent à payer les frais de transport et de logement ainsi que le per diem des participants et les travaux de secrétariat.
A chaque étape, les experts internationaux assurèrent la transparence dans l’identification et la sélection des représentants des organisations des jeunes et des femmes, des associations de la société civile, des pouvoirs traditionnels et des administrations locales.
Lors des travaux, le peuple ainsi représenté décida de ce qu’il voulait que le gouvernement fasse dans les domaines de la sécurité, de l’éducation, de la santé et des infrastructures, notamment en matière de transport et communication.
Les priorités définies par les districts étaient consolidées au niveau provincial. Celles retenues à ce niveau étaient structurées au niveau des regroupements régionaux des provinces. Enfin, l’exercice se clôtura au niveau national par les mêmes catégories de participants mais en nombre plus réduit et toujours avec l’apport de l’expertise des Bula Matadi internationaux.
La présidente du Liberia voulait un plan de développement national rédigé librement par son peuple. Consciente de la justesse de sa démarche, la communauté internationale mit à sa disposition tous les moyens nécessaires afin de matérialiser cette approche éminemment digne de la bonne gouvernance.
Appui au plan de développement du peuple
Le plan de développement national ainsi défini, Ellen Johnson Sirleaf innova une fois de plus innové au chapitre de la gouvernance. Pour la toute première fois dans l’histoire du Liberia, le gouvernement central alloua un budget aux administrations provinciales afin que celles-ci exécutent certaines priorités de développement à leur niveau pendant que le gouvernement central se concentrerait sur l’exécution des priorités d’intérêt national et régional.
Ainsi, chaque province était dotée d’un County Development Fund pour concrétiser les rêves populaires contenus dans son County Development Agenda. Pour encadrer cette nouvelle vision, Ellen Johnson Sirleaf avait une fois de plus fait appel à d’autres experts internationaux qui avaient travaillé conjointement avec son administration pour établir les règles du jeu dans le choix des projets à exécuter, l’utilisation des fonds, les mécanismes de contrôle et de sanction. Concernant les deux derniers aspects, la présidente du Liberia mit en place la General Auditing Commission.
Comme nous l’avons expliqué dans un article précédent, quand on veut un audit ou contrôle efficace, on donne au contrôleur un salaire qui ne l’expose pas facilement à la corruptible. Où Ellen Johnson Sirleaf pouvait-elle trouver les moyens financiers devant satisfaire cette autre exigence de la bonne gouvernance ?
Auprès de la communauté internationale qui prit entièrement en charge les salaires des membres de cette commission, l’auditeur général allant jusqu’à toucher des émoluments supérieurs à ceux d’un ministre, en attendant que les caisses de l’Etat soient en mesure de prendre la relève.
Appui aux droits des communautés locales
Plus tard, après que le pays se soit doté de nouveaux codes minier et forestier conformément aux standards internationaux conçus par la communauté internationale non pas dans son intérêt mais dans celui des communautés locales face aux entreprises dont les multinationales, toute compagnie concessionnaire désireuse d’investir au Liberia devait, en plus des redevances à verser à l’Etat dont 60% allaient au gouvernement central, 30% à la province et 10% dans un fonds de solidarité avec les autres provinces, signer un contrat social avec la communauté sur les terres de laquelle serait basée son exploitation.
Les moyens financiers de la communauté internationale et l’expertise de Bula Matadi internationaux chargés de la restauration et de la consolidation de l’autorité de l’Etat étaient une fois de plus mis à contribution pour faciliter les négociations entre les communautés locales et les entreprises afin de garantir la transparence et le sérieux des processus devant aboutir à la signature des contrats sociaux.
Ceux-ci tournaient généralement autour des routes de desserte agricole, des ponts, des écoles, des centres de santé et des marchés que les communautés locales souhaitaient réhabiliter ou construire ainsi que des préférences en matière d’embauche et le déboursement des fonds pour l’exécution d’autres projets de développement décidés par ces communautés et à exécuter par elles-mêmes.
Notre équipe, sur laquelle nous reviendrons plus loin, avait ainsi facilité les négociations entre différentes communautés locales et une compagnie minière, Putu Iron Ore du géant russe Severstal Resources, et quatre compagnies forestières également à capitaux occidentaux.
Lors de toutes ces négociations, les Libériens n’en revenaient pas d’avoir leur mot à dire dans ce domaine qu’ils croyaient totalement étranger à leur pouvoir de décision. Après 159 ans d’indépendance !
Limites du visionnaire Ellen Johnson Sirleaf
La démocratie participative est une réalité vivante dans beaucoup d’aspects de la politique libérienne sous l’administration d’Ellen Johnson Sirleaf. Si cette formule de bonne gouvernance tarde à produire les résultats spectaculaires escomptés, ce n’est pas parce que les méchants impérialistes s’y opposent.
C’est parce qu’après avoir compris que la trop grande capacité de patronage que les institutions démocratiques de son pays lui confèrent constitue une plaie que tout leader soucieux du développement se doit de faire disparaitre, Ellen Johnson Sirleaf s’est contentée de se dépouiller volontairement d’une infime partie de cette capacité, laissant toujours la porte grandement ouverte au clientélisme, source par excellence de la culture de l’impunité, de la corruption généralisée et de tous les autres maux qui caractérisent tout Etat de non-droit.
Ainsi, des rapports accablants de la General Auditing Commission tardaient à recevoir le feu vert de la présidente afin d’être publiés tandis que d’autres restaient tout simplement lettre morte après leur publication. Le clientélisme et l’impunité consécutive avaient même fini par obtenir la tête du premier auditeur général, au grand dam de la communauté internationale.
Pour celle-ci, la situation la plus scandaleuse fut sans conteste celle de la province de Grand Gedeh dans laquelle notre équipe avait été transférée en 2007 avec pour mission supplémentaire d’instaurer et de maintenir des relations non-conflictuelles avec le gouverneur.
Lors des élections présidentielles, Ellen Johnson Sirleaf avait fait son score le plus bas dans cette province, territoire de l’ethnie Krahn, avec seulement 3%. Les Krahn l’accusaient d’avoir joué un certain rôle dans la chute de leur frère, le président Samuel Kanyang Doe.
Sans doute dans le secret espoir de mieux les surveiller, la présidente nomma comme gouverneur un jeune Krahn qui avait été rejeté par les siens lors des consultations et sélections populaires des candidats aux postes de gouverneur, vice-gouverneur et commissaire de district.
Ce dernier réussira à induire la présidente en erreur en lui faisant croire que son rejet avait été motivé par le fait qu’il fut le directeur de sa campagne dans la province. C’est ainsi que ce manipulateur devint le gouverneur le plus puissant du pays, le seul qui pouvait accéder au bureau et à la résidence privée de la présidente sans protocole.
Grisé par ce privilège, le gouverneur de Grand Gedeh se plaisait à traiter ses gouvernés, les membres du caucus provincial, les ministres et les membres de la communauté internationale avec arrogance, suscitant de nombreux conflits que notre équipe était appelée à gérer avec finesse. Il violait systématiquement les procédures d’utilisation des fonds publics et utilisait ceux-ci à des fins personnelles.
A la Grand Place de Zwedru, le chef-lieu de la province, par exemple, il avait même investi ces fonds dans la construction d’un dancing club que géraient des membres de sa famille pour eux-mêmes. Les rapports des auditeurs, du caucus provincial, des membres de la société civile, des médias et des Bula Matadi internationaux semblaient se perdre dans un trou noir.
Il aura fallu attendre 2012, alors que nous étions déjà partis du Liberia, pour que la présidente se décide enfin à laisser tomber son encombrant client qu’elle croyait à tort le seul capable de bien surveiller les agitations des anciens rebelles de l’ethnie Krahn.
Aujourd’hui, le gouverneur tout puissant est enfin poursuivi en justice de même que le sympathique vice-gouverneur qui exécutait souvent ses basses œuvres. Entretemps, le gâchis aura été total.
Conclusion
La communauté internationale n’empêche pas les bidonvilles planétaires tel que le Congo d’expérimenter d’autres formules de pouvoir susceptibles d’asseoir la bonne gouvernance et l’Etat de droit.
Au contraire, elle est prête à mettre à leur disposition les moyens financiers nécessaires pour atteindre cet objectif. Par ailleurs, la communauté internationale a conçu plusieurs instruments auxquels les pays africains n’avaient jamais pensé et dont le but est de mieux servir leurs populations.
Pour ne citer que deux exemples, l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) fut lancée en 2002 par un consortium de neuf ONG, toutes occidentales. Aujourd’hui, les pays occidentaux appuient l’ITIE pour avoir établi une norme développée à l’échelle mondiale qui promeut la transparence des revenus à un niveau local. Les entreprises publient les paiements qu’elles effectuent et les gouvernements publient les revenus dans un rapport ITIE.
Dans l’intérêt non pas des entreprises, mais des populations locales. Si au Congo il y a des différences entre les chiffres publiés par les entreprises et ceux publiés par le gouvernement, ce n’est pas la faute aux méchants impérialistes occidentaux et à leurs multinationales, mais à la mauvaise gouvernance entretenue par le fait que les institutions du pays placent automatiquement le président de la république au-dessus de la loi.
Deuxième exemple, le processus de Kimberly sur les diamants de conflit fut signé le 1er janvier 2003 non pas par les Etats africains, qui y ont adhéré plus tard, mais par les méchants impérialistes du Canada, des Etats-Unis et des pays de l’Union européenne.
Dans l’intérêt non pas de leurs multinationales, mais de la paix et de la sécurité dans les bidonvilles planétaires, facteurs indispensables à leur développement. Si les Congolais ont mis en place des institutions qui ne leur permettent pas de sanctionner leur président de la république qui ne s’appuie pas sur cet instrument pour mettre un terme au coltan du sang, ce n’est pas la faute à ceux qui en tirent profit même s’il est vrai qui ont une responsabilité morale.
Quand des intellectuels et politiques congolais soutiennent que la communauté internationale ne cherche qu’à nous maintenir dans la misère et que seule la confrontation avec les méchants impérialistes occidentaux permettrait l’émergence de l’Etat de droit dans notre pays, sans par ailleurs indiquer clairement avec quelles armes notre peuple meurtri combattrait ceux-ci, il faut comprendre que ces compatriotes sont animés par le syndrome de la conférence nationale et que du haut de leurs écrits et déclarations, ils sont en quête d’applaudissements idiots.
Comme à la conférence nationale. Le Congo peut très bien se développer dans le cadre de l’ordre ou du désordre mondial actuel, à condition que la loi congolaise devienne opposable à tous, à commencer par le président de la république.
Pour y parvenir, il nous faut des institutions qui minimisent drastiquement sa capacité de patronage dans les différents corps constitués de l’Etat. Il est de notre devoir de concevoir et de lutter pour la mise en place de ces institutions..
Nkwa Ngolo Zonso
© Congoindépendant
Ellen Johnson Sirleaf, la présidente de la République du Libéria
Nos doutes sur la capacité du modèle occidental de la démocratie à construire l’Etat de droit en Afrique subsaharienne et nos certitudes sur ses éternelles nuisances sur le tissu social africain ne datent pas d’aujourd’hui.
Dès le discours présidentiel du 24 avril 1990, pendant que 99,9% de nos compatriotes applaudissaient frénétiquement et se cassaient en quatre au rythme du Mutwashi puisque se voyant déjà vivre dans un paradis à l’issue de premières élections pluralistes qui s’en suivraient, nous avions la nette impression que le président Mobutu venait de commettre une grosse erreur en voulant tenter de nouveau l’expérience du multipartisme.
Nous ne nous étions pas contentés de nos impressions. Nous avions vérifié leur validité en faisant des recherches. Au cours de celles-ci, grande fut notre surprise d’apprendre qu’au lendemain des indépendances, des professionnels de la pensée s’étaient déjà penchés sur l’échec du premier processus de démocratisation du continent.
Leur conclusion était unanime : la démocratie conflictuelle n’est pas faite pour des sociétés dans lesquelles l’identité liée à l’Etat central coexiste avec bien d’autres fortement ressenties par des segments entiers de la population.
Nos recherches nous avaient également permis de mieux observer le pouvoir, tel qu’il se pratique en Afrique, et de dessiner les contours d’une alternative à la démocratie conflictuelle et d’un processus électoral inédit puisque ne connaissant pas de réel perdant au niveau de l’élection la plus meurtrière, celle du président de la république.
Depuis lors, nous vulgarisons nos idées avec les faibles moyens à notre disposition. A cet égard, il nous arrive souvent de tomber sur une préoccupation analogue à celle exprimée par Joseph M. Uchudi qui, réagissant à notre analyse de la création du Caucus des Bakongo, nous demande si les grands de ce monde verraient d’un bon œil que les pays africains adoptent des formules de gouvernance d’un type nouveau tel qu’un régime politique consensuel, rassembleur et vraiment responsable.
Cette préoccupation mérite qu’on s’y arrête un instant d’autant plus que dans ses écrits, notre compatriote Mbelu Babanya vante souvent les mérites de la démocratie participative qu’il oppose à la démocratie dont les puissances occidentales semblent assurer la promotion. Que se passerait-il si jamais un Etat africain se lançait dans une aventure aussi salvatrice ?
Cas d’initiative de démocratie participative
Première nation d’Afrique à avoir obtenu son indépendance en 1847 après avoir été fondée en 1822 par une société américaine de colonisation, pour y installer des esclaves noirs dont la moitié sera constituée des Bakongo, le Liberia a déjà répondu à cette préoccupation à l’avènement, le 16 janvier 2006, de la première femme du continent à avoir été élue à la tête d’un Etat.
Après la formation de son premier gouvernement, Ellen Johnson Sirleaf avait nommé la plupart des gouverneurs de province et les commissaires de district suivant une approche participative que nous avons expliquée dans notre article sur la part de l’homme dans la gouvernance. Elle devait ensuite élaborer le plan de développement national.
Pour la toute première fois dans l’histoire de l’Afrique indépendante, un chef d’Etat décidait que ce plan ne serait rédigé ni par des experts installés confortablement dans leurs bureaux climatisés quelque part en Occident, ni par les hauts commis de l’Etat basés dans la capitale Monrovia.
Ellen Johnson Sirleaf parla alors de « Bottom to top approach » (Approche de bas en haut), qui devint le leitmotiv de sa politique. Le peuple libérien devait rédiger lui-même le plan de développement national. Quelle fut l’attitude de la communauté internationale ?
Réaction de la communauté internationale
La communauté internationale parla d’une seule et même voix. Non seulement elle mobilisa les fonds nécessaires à l’exécution du processus devant conduire à l’élaboration de ce plan par le peuple libérien lui-même, mais en plus les experts internationaux déployés dans chaque province dans le cadre de la restauration et de la consolidation de l’autorité de l’Etat furent chargés de piloter cette nouvelle démarche de démocratie participative.
La rédaction du plan de développement national se déroula en quatre étapes commençant au niveau du district et culminant au niveau national, avec deux passages obligés au niveau provincial et à celui du regroupement régional des provinces. Les fonds mobilisés par la communauté internationale servirent à payer les frais de transport et de logement ainsi que le per diem des participants et les travaux de secrétariat.
A chaque étape, les experts internationaux assurèrent la transparence dans l’identification et la sélection des représentants des organisations des jeunes et des femmes, des associations de la société civile, des pouvoirs traditionnels et des administrations locales.
Lors des travaux, le peuple ainsi représenté décida de ce qu’il voulait que le gouvernement fasse dans les domaines de la sécurité, de l’éducation, de la santé et des infrastructures, notamment en matière de transport et communication.
Les priorités définies par les districts étaient consolidées au niveau provincial. Celles retenues à ce niveau étaient structurées au niveau des regroupements régionaux des provinces. Enfin, l’exercice se clôtura au niveau national par les mêmes catégories de participants mais en nombre plus réduit et toujours avec l’apport de l’expertise des Bula Matadi internationaux.
La présidente du Liberia voulait un plan de développement national rédigé librement par son peuple. Consciente de la justesse de sa démarche, la communauté internationale mit à sa disposition tous les moyens nécessaires afin de matérialiser cette approche éminemment digne de la bonne gouvernance.
Appui au plan de développement du peuple
Le plan de développement national ainsi défini, Ellen Johnson Sirleaf innova une fois de plus innové au chapitre de la gouvernance. Pour la toute première fois dans l’histoire du Liberia, le gouvernement central alloua un budget aux administrations provinciales afin que celles-ci exécutent certaines priorités de développement à leur niveau pendant que le gouvernement central se concentrerait sur l’exécution des priorités d’intérêt national et régional.
Ainsi, chaque province était dotée d’un County Development Fund pour concrétiser les rêves populaires contenus dans son County Development Agenda. Pour encadrer cette nouvelle vision, Ellen Johnson Sirleaf avait une fois de plus fait appel à d’autres experts internationaux qui avaient travaillé conjointement avec son administration pour établir les règles du jeu dans le choix des projets à exécuter, l’utilisation des fonds, les mécanismes de contrôle et de sanction. Concernant les deux derniers aspects, la présidente du Liberia mit en place la General Auditing Commission.
Comme nous l’avons expliqué dans un article précédent, quand on veut un audit ou contrôle efficace, on donne au contrôleur un salaire qui ne l’expose pas facilement à la corruptible. Où Ellen Johnson Sirleaf pouvait-elle trouver les moyens financiers devant satisfaire cette autre exigence de la bonne gouvernance ?
Auprès de la communauté internationale qui prit entièrement en charge les salaires des membres de cette commission, l’auditeur général allant jusqu’à toucher des émoluments supérieurs à ceux d’un ministre, en attendant que les caisses de l’Etat soient en mesure de prendre la relève.
Appui aux droits des communautés locales
Plus tard, après que le pays se soit doté de nouveaux codes minier et forestier conformément aux standards internationaux conçus par la communauté internationale non pas dans son intérêt mais dans celui des communautés locales face aux entreprises dont les multinationales, toute compagnie concessionnaire désireuse d’investir au Liberia devait, en plus des redevances à verser à l’Etat dont 60% allaient au gouvernement central, 30% à la province et 10% dans un fonds de solidarité avec les autres provinces, signer un contrat social avec la communauté sur les terres de laquelle serait basée son exploitation.
Les moyens financiers de la communauté internationale et l’expertise de Bula Matadi internationaux chargés de la restauration et de la consolidation de l’autorité de l’Etat étaient une fois de plus mis à contribution pour faciliter les négociations entre les communautés locales et les entreprises afin de garantir la transparence et le sérieux des processus devant aboutir à la signature des contrats sociaux.
Ceux-ci tournaient généralement autour des routes de desserte agricole, des ponts, des écoles, des centres de santé et des marchés que les communautés locales souhaitaient réhabiliter ou construire ainsi que des préférences en matière d’embauche et le déboursement des fonds pour l’exécution d’autres projets de développement décidés par ces communautés et à exécuter par elles-mêmes.
Notre équipe, sur laquelle nous reviendrons plus loin, avait ainsi facilité les négociations entre différentes communautés locales et une compagnie minière, Putu Iron Ore du géant russe Severstal Resources, et quatre compagnies forestières également à capitaux occidentaux.
Lors de toutes ces négociations, les Libériens n’en revenaient pas d’avoir leur mot à dire dans ce domaine qu’ils croyaient totalement étranger à leur pouvoir de décision. Après 159 ans d’indépendance !
Limites du visionnaire Ellen Johnson Sirleaf
La démocratie participative est une réalité vivante dans beaucoup d’aspects de la politique libérienne sous l’administration d’Ellen Johnson Sirleaf. Si cette formule de bonne gouvernance tarde à produire les résultats spectaculaires escomptés, ce n’est pas parce que les méchants impérialistes s’y opposent.
C’est parce qu’après avoir compris que la trop grande capacité de patronage que les institutions démocratiques de son pays lui confèrent constitue une plaie que tout leader soucieux du développement se doit de faire disparaitre, Ellen Johnson Sirleaf s’est contentée de se dépouiller volontairement d’une infime partie de cette capacité, laissant toujours la porte grandement ouverte au clientélisme, source par excellence de la culture de l’impunité, de la corruption généralisée et de tous les autres maux qui caractérisent tout Etat de non-droit.
Ainsi, des rapports accablants de la General Auditing Commission tardaient à recevoir le feu vert de la présidente afin d’être publiés tandis que d’autres restaient tout simplement lettre morte après leur publication. Le clientélisme et l’impunité consécutive avaient même fini par obtenir la tête du premier auditeur général, au grand dam de la communauté internationale.
Pour celle-ci, la situation la plus scandaleuse fut sans conteste celle de la province de Grand Gedeh dans laquelle notre équipe avait été transférée en 2007 avec pour mission supplémentaire d’instaurer et de maintenir des relations non-conflictuelles avec le gouverneur.
Lors des élections présidentielles, Ellen Johnson Sirleaf avait fait son score le plus bas dans cette province, territoire de l’ethnie Krahn, avec seulement 3%. Les Krahn l’accusaient d’avoir joué un certain rôle dans la chute de leur frère, le président Samuel Kanyang Doe.
Sans doute dans le secret espoir de mieux les surveiller, la présidente nomma comme gouverneur un jeune Krahn qui avait été rejeté par les siens lors des consultations et sélections populaires des candidats aux postes de gouverneur, vice-gouverneur et commissaire de district.
Ce dernier réussira à induire la présidente en erreur en lui faisant croire que son rejet avait été motivé par le fait qu’il fut le directeur de sa campagne dans la province. C’est ainsi que ce manipulateur devint le gouverneur le plus puissant du pays, le seul qui pouvait accéder au bureau et à la résidence privée de la présidente sans protocole.
Grisé par ce privilège, le gouverneur de Grand Gedeh se plaisait à traiter ses gouvernés, les membres du caucus provincial, les ministres et les membres de la communauté internationale avec arrogance, suscitant de nombreux conflits que notre équipe était appelée à gérer avec finesse. Il violait systématiquement les procédures d’utilisation des fonds publics et utilisait ceux-ci à des fins personnelles.
A la Grand Place de Zwedru, le chef-lieu de la province, par exemple, il avait même investi ces fonds dans la construction d’un dancing club que géraient des membres de sa famille pour eux-mêmes. Les rapports des auditeurs, du caucus provincial, des membres de la société civile, des médias et des Bula Matadi internationaux semblaient se perdre dans un trou noir.
Il aura fallu attendre 2012, alors que nous étions déjà partis du Liberia, pour que la présidente se décide enfin à laisser tomber son encombrant client qu’elle croyait à tort le seul capable de bien surveiller les agitations des anciens rebelles de l’ethnie Krahn.
Aujourd’hui, le gouverneur tout puissant est enfin poursuivi en justice de même que le sympathique vice-gouverneur qui exécutait souvent ses basses œuvres. Entretemps, le gâchis aura été total.
Conclusion
La communauté internationale n’empêche pas les bidonvilles planétaires tel que le Congo d’expérimenter d’autres formules de pouvoir susceptibles d’asseoir la bonne gouvernance et l’Etat de droit.
Au contraire, elle est prête à mettre à leur disposition les moyens financiers nécessaires pour atteindre cet objectif. Par ailleurs, la communauté internationale a conçu plusieurs instruments auxquels les pays africains n’avaient jamais pensé et dont le but est de mieux servir leurs populations.
Pour ne citer que deux exemples, l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) fut lancée en 2002 par un consortium de neuf ONG, toutes occidentales. Aujourd’hui, les pays occidentaux appuient l’ITIE pour avoir établi une norme développée à l’échelle mondiale qui promeut la transparence des revenus à un niveau local. Les entreprises publient les paiements qu’elles effectuent et les gouvernements publient les revenus dans un rapport ITIE.
Dans l’intérêt non pas des entreprises, mais des populations locales. Si au Congo il y a des différences entre les chiffres publiés par les entreprises et ceux publiés par le gouvernement, ce n’est pas la faute aux méchants impérialistes occidentaux et à leurs multinationales, mais à la mauvaise gouvernance entretenue par le fait que les institutions du pays placent automatiquement le président de la république au-dessus de la loi.
Deuxième exemple, le processus de Kimberly sur les diamants de conflit fut signé le 1er janvier 2003 non pas par les Etats africains, qui y ont adhéré plus tard, mais par les méchants impérialistes du Canada, des Etats-Unis et des pays de l’Union européenne.
Dans l’intérêt non pas de leurs multinationales, mais de la paix et de la sécurité dans les bidonvilles planétaires, facteurs indispensables à leur développement. Si les Congolais ont mis en place des institutions qui ne leur permettent pas de sanctionner leur président de la république qui ne s’appuie pas sur cet instrument pour mettre un terme au coltan du sang, ce n’est pas la faute à ceux qui en tirent profit même s’il est vrai qui ont une responsabilité morale.
Quand des intellectuels et politiques congolais soutiennent que la communauté internationale ne cherche qu’à nous maintenir dans la misère et que seule la confrontation avec les méchants impérialistes occidentaux permettrait l’émergence de l’Etat de droit dans notre pays, sans par ailleurs indiquer clairement avec quelles armes notre peuple meurtri combattrait ceux-ci, il faut comprendre que ces compatriotes sont animés par le syndrome de la conférence nationale et que du haut de leurs écrits et déclarations, ils sont en quête d’applaudissements idiots.
Comme à la conférence nationale. Le Congo peut très bien se développer dans le cadre de l’ordre ou du désordre mondial actuel, à condition que la loi congolaise devienne opposable à tous, à commencer par le président de la république.
Pour y parvenir, il nous faut des institutions qui minimisent drastiquement sa capacité de patronage dans les différents corps constitués de l’Etat. Il est de notre devoir de concevoir et de lutter pour la mise en place de ces institutions..
Nkwa Ngolo Zonso
© Congoindépendant
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