samedi 18 mai 2013

Les "Nanas Benz", reines déchues du tissu



Depuis que le marché d'Adawlato a brûlé, certaines Nanas Benz tiennent leur stand dans la rue. Photo prise par notre Observateur Gracia Egom Amah.
 
L’incendie qui a ravagé le marché central de Lomé en janvier dernier a porté un coup fatal à l’activité des Nanas Benz, ces célèbres commerçantes dont certaines ont fait fortune dans la vente de pagnes il y a une quarantaine d’années. 
 
Doyenne du mouvement Nana Benz, notre Observatrice nous explique qu’en l’absence d’un lieu digne de ce nom et de plus en plus soumise à la concurrence étrangère, elles ont aujourd’hui recours au système D pour écouler leurs pièces.
 
Au Togo, il est impossible de parler du commerce de tissus sans évoquer les Nanas Benz qui, à partir des années 1970, ont su s’imposer comme de véritables businesswomen. Surnommées ainsi en raison des Mercedes Benz avec lesquelles certaines se déplaçaient, elles sont devenues au fil des années un poids majeur de l’économie togolaise. 
 
Elles ont fait partie des personnalités les plus riches du Togo et leur renommée dépassait les frontières du pays. Le marché d’Adawlato, qui a été réduit en cendres le 12 janvier, a longtemps attiré des commerçants venant de toute l’Afrique de l’ouest en quête de tissu wax hollandais, réputé pour son excellente qualité.
 
Stand sauvage à proximité du marché d'Adawlato dont il ne reste que la carcasse. Photo prise par notre Observateur Gracia Egom Amah.
 
Mais le monopole des Nanas Benz a cependant fini par s'effondrer. Au début des années 1990, d'autres femmes africaines, notamment du Nigeria, se lancent à leur tour dans la fabrication de wax dont elles ont assimilé la technique et qu’elles vendent beaucoup moins cher que leurs homologues togolaises.
 
Au début des années 2000, les Nanas Benz doivent composer en plus avec la concurrence chinoise qui investit massivement le marché togolais, inondant le pays de tissus wax fabriqués à Shanghai et vendus dix fois moins chers. Face à ce constat, les autorités togolaises, de plus en plus dépendantes de l'aide chinoise, semblent impuissantes pour éviter ce déclin.
 
Depuis qu'elle n'a plus de stand, Dédé Rose Creppy vend ses pagnes à son domicile. Photo prise par notre Observateur Gracia Egom Amah.
 
Contributeurs

"Celles qui n’utilisent pas leur maison comme lieu de travail tiennent des stands sauvages dans la rue"

Dédé Rose Creppy, figure historique des Nanas Benz, est présidente de l’Association professionnelle des revendeuses de tissus (APRT). Elle vit à Lomé.
 
La situation que vivent actuellement les Nanas Benz est dramatique. Nous sommes très malheureuses. Bien sûr, avant que l’incendie du marché central ne se déclare, notre activité n’était pas très florissante, mais là c’est encore pire. Les flammes ont réduit à néant une grande partie de mon stock. Pour vendre nos produits, nous faisons désormais appel à la débrouillardise.
 
En ce qui me concerne, j’ai beaucoup de chance car c’est une de mes maisons qui me sert de boutiques. Cela permet à ma clientèle fidèle, ceux qui me connaissent personnellement, de continuer à m’acheter des produits. En revanche, les autres, les badauds, les flâneurs, je les ai tous perdu. 
 
Celles qui n’utilisent pas leur maison comme lieu de travail tiennent des stands sauvages dans la rue – ce qui en ce moment est très compliqué car on est en pleine saison des pluies – ou louent à prix d’or des boutiques à des particuliers [jusqu’à 200 000 FCFA (300 euros) par mois d’après l’Etablissement public autonome pour la gestion des marchés (EPAM), contacté par France 24].
 
"A l’époque je possédais cinq Mercedes et voyageais beaucoup en Europe"
 
Les autorités togolaises nous ont promis qu’un nouveau marché verrait le jour. Des travaux ont même été entamés mais ils avancent lentement. Il est impossible aujourd’hui de savoir quand nous pourrons à nouveau disposer d’un stand.
 
J’ai 79 ans, j’ai commencé à travailler en 1954. L’essentiel de ma carrière est derrière moi. A l’époque, je menais grand train : je possédais cinq Mercedes et je voyageais beaucoup en Europe pour les affaires mais aussi pour le plaisir. 
 
En France, j’ai acheté un appartement à Lyon que d’ailleurs j’ai pu garder. J’adore cette ville, tous mes enfants y ont fait leurs études. Ils n’ont jamais manqué de rien, ils ont eu une enfance très heureuse.
 
Pour les jeunes générations [qui se sont rebaptisées les Nanettes pour se démarquer de leurs devancières] c’est de plus en plus difficile. Pour survivre face à la concurrence, elles sont obligées de se diversifier, de vendre d’autres types de produits qui souvent viennent de Chine.
 
Billet rédigé avec la collaboration de Grégoire Remund, journaliste à France 24.

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