Mercredi 15 mai 2013
… Une fillette de six ans violée par les soldats gouvernementaux, un homme attaché et battu pour l’empêcher de s’opposer aux soldats qui violent sa femme dans la pièce attenante, un garçon de 14 ans tué par balles par les soldats pour lui voler sa chèvre, des déplacés de guerre attaqués et pillés dans les camps de fortune par les soldats gouvernementaux,…
La tragédie de Minova
C’est une effroyable litanie des horreurs que décrit le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme (BCNUDH)[1] dans son rapport sur le déchainement des violences contre la population avant, pendant et après l’occupation de la ville de Goma par l’armée rwandaise et ses protégés du M23 en novembre 2012.
Que des hors-la-loi ou des soldats étrangers (armée rwandaise) s’en prennent à la population, cela n’a rien d’étonnant[2], et c’est la raison qui pousse les populations à fuir devant les armées d’agression. Mais que cette population subisse des exactions de la part des soldats gouvernementaux, dans de telles proportions[3], il y a lieu de s’interroger sur ce qui reste de la notion de l’« Etat congolais ».
Car les évènements de Minova sont révélateurs de « quelque chose de cassé » au plus profond de la nation congolaise. Bien entendu, et il convient de le rappeler, toutes les unités de l’armée congolaise n’ont pas été impliquées dans les atrocités de Minova. Mais tout de même…
Patriotisme et fraternité…
Le contexte était celui d’une population fuyant l’avancée d’une armée ennemie, ce qui n’a rien d’exceptionnel. Cette population n’a pas pu être protégée par l’armée nationale qui avait déserté la ligne de front, ce qui peut arriver à n’importe quelle armée.
La population, en fuite, n’a pas été protégée non plus par les casques bleus de l’ONU qui sont restés fusils au pied pendant que le M23 s’emparait de la ville de Goma. L’inaction des casques bleus est aussi quelque chose d’assez courant.
Il ne restait à la population congolaise qu’un seul rempart : les soldats congolais, même en fuite. Eux au moins n’étaient pas des étrangers (casques bleus, soldats rwandais) et auraient dû se conduire en « fils du pays ».
C’était des soldats congolais, des CONGOLAIS-de-souche, des « compatriotes », les « grand-frères » de ces enfants congolais, filles et garçons, les « frères » de ces femmes congolaises qui fuyaient le M23 et l’armée rwandaise…
Les seules personnes sur qui, raisonnablement, les civils congolais, en détresse et sans défense, auraient pu compter en dernier recours. A la place, ils les violent, tabassent leurs maris, tuent leurs enfants et pillent leurs biens…
Une légèreté coupable
Il y a quelqu’un à Kinshasa qui a estimé que des individus comme ceux-là méritaient de porter une arme et il la leur a donnée. Un autre a considéré qu’ils méritaient de porter l’uniforme de l’armée nationale et les a envoyés dans le Kivu pour défendre l’honneur du peuple congolais et le territoire de la Patrie de Lumumba. On en est donc là…
Dans son rapport, le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme souligne les « mauvais antécédents » de l’armée congolaise en matière de respect des droits de l’Homme.
« Le manque de discipline des militaires et des officiers résulte en partie de l’intégration récurrente d’anciens rebelles dans l’armée nationale sans formation régulière ou mécanisme de contrôle permettant de garantir leur responsabilité.
Les FARDC ne disposent pas du matériel et des moyens logistiques de base ; les salaires versés aux militaires sont insuffisants et irréguliers, alors que les allégations de corruption se multiplient, notamment parmi les officiers supérieurs »[4].
Le problème est donc connu, et les autorités prennent régulièrement l’engagement d’y remédier. Visiblement, sans résultat ; mais il y a pire[5].
Difficile de mesurer l’impact psychologique des évènements aussi traumatisants que ceux de Minova ont subis. Demain, un Congolais ordinaire, citoyen honnête, dans son propre pays, va devoir cacher sa femme et ses filles à l’approche des soldats gouvernementaux. Il va devoir cacher ses biens.
Pire, il va devoir se cacher lui-même à l’approche de l’armée nationale, qui, pourtant, a pour mission de le protéger, de protéger sa famille, ses biens et l’intégrité du territoire national (article 187 de la Constitution de la RD Congo). Il ne s’agit plus d’un Etat, d’une nation.
On est plus proche d’un régime d’occupation, les autorités militaires se comportant avec la population comme en territoire conquis.
Un passé pourtant glorieux
L’armée congolaise n’a pas toujours livré une image aussi sombre. Le Congo a même contribué de façon décisive à bien des victoires qui ont façonné l’histoire du siècle dernier telle que nous la connaissons.
Sur le plan militaire, il faut rappeler que ce sont, par exemple, les soldats congolais qui ont libéré le Rwanda[6] et le Burundi de la domination allemande durant la Première Guerre mondiale.
Les exploits de la Force Publique (ancienne appellation de l’armée congolaise) ne se sont pas arrêtés là. Toujours durant la Première Guerre mondiale, les troupes du Congo-Belge ont libéré un autre pays de la région, la Tanzanie (anciennement appelée Tanganyika).
La campagne a culminé sur la mémorable bataille de Tabora (centre de la Tanzanie) remportée par les soldats congolais[7] en septembre 1916.
Deux décennies plus tard, les Congolais sont partis libérer un autre pays du Continent, l’Abyssinie (actuelle Ethiopie) qui croupissait sous l’occupation militaire de l’Italie de Benito Mussolini.
La campagne d’Abyssinie culmina sur la bataille de Saïo. Le 08 juin 1941, les soldats congolais remportent la bataille face à une armée européenne pourtant supérieure en termes d’effectifs et d’équipement. Neuf généraux italiens[8] se rendent aux Congolais ainsi que 15.000 soldats et officiers subalternes.
Le Congo, oublié dans les manuels de l’histoire en Occident, n’a donc jamais été qu’un pays quelconque sur le plan militaire et stratégique[9], contrairement à l’image aujourd’hui renvoyée sur la face du monde[10].
Et même de nos jours, il arrive aux soldats congolais de s’illustrer au combat comme lors de la bataille de Kibumba, malgré les conditions extrêmes (salaires impayés, faim, soif, trahison dans la hiérarchie,…)
Au final, les évènements de Minova, en dépit de leur gravité, pourraient n’avoir, pour l’essentiel, qu’une explication assez banale, résumée parfaitement par un illustre soldat de la Révolution française, Napoléon Bonaparte : « Il n’y a pas de mauvais soldat, il n’y a que de mauvais officiers ».
Et les officiers, au Congo, sont nommés et révoqués par le Président de la République (article 81 de la Constitution), commandant suprême des Forces armées (article 83).
Boniface MUSAVULI
[1] Cet organisme est né de la fusion entre la Division des droits de l’homme de la MONUC (la MONUSCO aujourd’hui) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
[2] Le même rapport décrit également les violations des droits de l’homme perpétrées par le M23, dont des viols (59 cas relevés).
[3] Le bilan initialement annoncé de 126 cas de viols a été revu à la hausse. Les enquêteurs de l’ONU indiquent qu’« au moins 97 femmes et 33 filles (âgées de 6 à 17 ans) (soit 130 victimes) ont été violées, tandis que cinq autre femmes ont été victimes de tentative de viol à Minova et dans ses environs, territoire de Kalehe, province du Sud-Kivu, plus particulièrement sur l’axe Minova-Ruhunde ». En réalité, le bilan retenu aurait pu être encore pire. Toutes les informations sur les violences sexuelles n’ont pas pu être vérifiées par les enquêteurs de l’ONU en raison du climat d’insécurité et du risque de « stigmatisation associée au viol dans la région et la crainte d’être répudiées par la famille, les victimes se montrant souvent réticentes à dénoncer les cas ».
[4] Rapport, page 8 du rapport.
[5] Comme si les évènements de Minova ne devaient pas servir de leçon, le Congo est en ce moment même en train de réintégrer des centaines des mutins du M23 qui désertent le maquis avant l’arrivée de la brigade de l’ONU chargée de neutraliser les groupes armées (Résolution 2098 du Conseil de sécurité de l’ONU).
[6] L’ironie de l’histoire est que, un siècle plus tard, l’armée congolaise doit battre en retraite devant des combattants rwandais.
[7] Bien entendu sous le commandement du général belge Charles Tombeur.
[8] D. V. REYBROUCK, Congo – Une histoire, Ed. Actes Sud, 2012, p. 205-206.
[9] Le Congo a fourni l’essentiel du cuivre nécessaire à la fabrication des obus, des douilles et des balles durant la Seconde Guerre mondiale, sans lesquels les Alliés auraient probablement perdu des batailles décisives face à la Wehrmacht. En tout cas, sans l’uranium congolais, qui servi à la fabrication des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, et, plus globalement, sans les apports du Congo en hommes et en ressources, l’histoire de la Seconde guerre mondiale aurait sûrement été sensiblement différente de celle que nous connaissons. Le Congo a, par la suite, fourni l’essentiel du cobalt et d’uranium nécessaires à la fabrication des missiles nucléaires permettant aux Occidentaux de remporter la Guerre froide face au Bloc soviétique.
[10] Notamment en appelant à la rescousse de « petits pays » (le Malawi ?) pour appuyer la brigade de l’ONU.
Rapport de l’ONU sur les violences de Minova
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