La fratrie "Kabila" : Zoé, Jaynet et Joseph
La désignation, le vendredi 7 juin, de l’abbé Apollinaire Muholongo Malu-Malu à la présidence du bureau de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) continue à susciter le débat dans les milieux «intellectuels» autant que de l’opposition congolaise.
Une "majorité silencieuse" semble accueillir cette nouvelle avec indifférence.
Une indifférence qui traduit le degré de lassitude atteint par une population qui a perdu toute confiance en ses gouvernants. Des observateurs redoutent que cette lassitude soit en réalité l’expression de la résignation ambiante.
La rédaction de Congo Indépendant a recueilli plusieurs réactions. Un constat : «Joseph Kabila» est «tourmenté» par «l’horizon 2016». C’est le véritable enjeu.
Selon un observateur qui a ses entrées dans le «premier cercle» du pouvoir kabiliste, le retour de Malu Malu aux affaires n’est pas innocent.
«Tel Raspoutine, dit-il, sa mission consiste à trouver des astuces institutionnelles pour permettre à Joseph Kabila de rempiler en 2016. A défaut, de concevoir un scénario du style Poutine-Medvedev».
Délire ?L’avenir le dira.
«Joseph Kabila» a donc osé. Il a sorti Apollinaire Malu Malu du "purgatoire" où il se trouvait après sa gestion partisane des opérations électorales de 2006 alors qu’il dirigeait la défunte CEI (Commission électorale indépendante).
Malu Malu qui avait quitté les «affaires» sur la pointe des pieds - pour échapper à la clameur publique - fait donc un «retour en force» aux affaires en prenant la direction de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Les sages disent : Qui a bu boira.
Les «voyous de la République»
Blasée par les pitreries d’un personnel politique incivique, la grande majorité de la population congolaise a accueilli ce «come back» dans une indifférence teintée de résignation. Erreur.
C’est à croire que Dieu doit descendre du ciel pour mettre fin à ce cirque tragique qui dure depuis bientôt deux décennies.
Question : Pourquoi «Joseph Kabila» et sa «majorité présidentielle» ont-ils fait appel à Malu Malu ?
C’est la question lancinante qui revient dans toutes les conversations. Autre question : Quelle est la mission exacte qui sera confiée à cet homme qui passe pour un des «voyous de la République»?
Selon le président de l’Assemblé nationale, le PPRD Aubin Minaku, «le choix des membres de la nouvelle Ceni a tenu compte de l’équilibre dans la représentation provinciale présenté par les différents groupes parlementaires».
La nouvelle équipe est composée de treize membres. Six sont issus de la «majorité présidentielle». Quatre, de l’opposition. Les trois autres membres devraient provenir de la société civile. C’est en qualité de «membre de la société civile» que Malu Malu a postulé.
Et ce en dépit du fait que, depuis 2003, il fait partie des «experts» appointés au cabinet présidentiel.
Qui ignore que ce prêtre joue actuellement le rôle d’«expert en chef» du gouvernement congolais aux pourparlers de Kampala avec les rebelles du M23.
Le nouveau président de la Ceni n’est ni meilleur ni pire que son prédécesseur. Tous les deux sont estampillés : «les hommes du président». Malu Malu, à l’instar de Mulunda Ngoy, est de ce fait disqualifié pour garantir l’équité et l’impartialité d’un processus électoral.
Le nouveau bureau de la Ceni se présente comme suit : Président : abbé Apollinaire Malumalu, (Société civile) ; vice-président : André Pungwe, (PPRD) ; Rapporteur: Jean Pierre Kalamba, (UDPS) ; Rapporteur adjoint: Onésime Kukatula, de la majorité (Palu) ; Questeur : Chantal Ngoy, de la majorité (MSR) ; Questeur adjoint: Micheline Biye Bongenge, de l’opposition (MLC).
Les sept autres membres, issus de partis politiques AFDC, UNC et CCU ainsi que de la société civile, ont été désignés pour siéger à la plénière de la Ceni: Keta Lokondjo ; Bangala Basila ; Elodi Tamuzinda ; Gustave Omba ; Jean-Baptiste Ndundu ; Kaputu Ngongo et Augustin Ngangwele.
Double langage ?
On rappelle que dans une déclaration faite le lundi 13 mai dernier, l’abbé Félicien Mwanama, deuxième secrétaire général adjoint de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), déclarait que celle-ci «interdit formellement» aux prêtres, religieux et religieuses catholiques "de se porter candidats" pour faire partie de la nouvelle Ceni.
Il précisait que «les prêtres et religieux qui seront désignés membres de cette Commission iront à l’encontre des dispositions canoniques» de l’Eglise catholique.
Là où le bât blesse est que cette proscription était assortie d’une «exception» selon laquelle «un évêque peut, à certaines conditions, accorder une dérogation à un prêtre pour se porter candidat».
«Dans le cas d’un prêtre, ce sera son évêque. Dans le cas d’un religieux ou d’une religieuse, ce sera son supérieur immédiat», explicitait Félicien Mwanama. «La mise au point c’est pour les ecclésiastiques.
La Cenco n’a pas dit qu’elle ne peut pas déléguer quelqu’un. La Conférence épiscopale voudrait que nos laïcs puissent jouer leur rôle. Voilà pourquoi elle est prête à en déléguer un, deux ou trois selon les dispositions de la loi », concluait-il.
La Cenco a-t-elle fait preuve de double langage ? C’est en tous cas l’impression laissée par cette "dérogation".
Ouvrons la parenthèse pour signaler les propos tenus, le mardi 28 mai, par Mgr Melchisédech Paluku Sekuli, l’évêque de Butembo, de qui relève Apollinaire Malu Malu.
Au cours d’un point de presse tenu dans l’évêché, il a déclaré que «la priorité du moment n’est pas la formation du bureau de la Ceni mais plutôt la pacification de la partie orientale du pays».
Des paroles qui cachent mal la duplicité de la part d’un prélat connu pour ses accointances – pour ne pas parler de connivence - avec le régime en place.
«J’ai rencontré dernièrement le président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, ajoutait-il. J’ai donné ma position vis-à-vis de ce dossier. Nous attendons la plénière de la Cenco pour clore cette question», concluait-il. Fermons la parenthèse.
Réactions
Qu’en disent les évêques ? «La position de la Cenco est bien connue : il est interdit aux prêtres, religieux et religieuses catholiques de jouer un rôle dans les organes politiques. La Ceni en est un. Il n’est pas acceptable qu’un religieux catholique joue un rôle politique». L’homme qui parle est le vice-président de la Cenco.
Il s’agit de Mgr Joseph Banga que l’auteur de ces lignes a joint, dimanche 9 juin, au téléphone. «L’exonération laissée à l’appréciation de l’évêque ne contredit en rien la position de l’Eglise, ajoute-t-il. Il s’agit d’un cas exceptionnel.
En cas de nécessité, un religieux catholique peut jouer le rôle de médiateur - à l’image du rôle dévolu jadis à Mgr Laurent Monsengwo lors de la Conférence nationale souveraine - mais ne doit en aucun cas descendre dans l’arène politique». Selon Mgr Banga, la Cenco doit se réunir dans les prochains jours pour réaffirmer sa position.
Rappelons qu’en 2007, le cardinal Frédéric Etsou, décédé depuis, n’avait pas trouvé des mots assez durs pour fustiger la gestion des élections de 2006 alors que Malu Malu trônait à la tête de la CEI.
D’aucuns n’avaient pas hésité de qualifier la «victoire» de «Joseph Kabila», face à Jean-Pierre Bemba, de «hold-up électoral». "Une victoire volée", criaient les bembistes.
Le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya ne dira pas autre chose lors de la proclamation des «résultats provisoires» de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Malu Malu et Mulunda ne seraient que du blanc bonnet, bonnet blanc.
Dans les milieux de la «société civile» et de l’opposition, le retour de "Monsieur l’abbé Apollinaire" suscitent des réactions vives et contrastées. «Comment peut-on recourir à Malu Malu quand on remémore le tollé d’indignation que celui-ci avait suscité à l’époque où il dirigeait la Cei ?», commente un activiste de la société civile.
«Si, on estime, après tout ces tripatouillages, qu’il n’y a que des individus du genre Daniel Mulunda Ngoy et Apollinaire Malu Malu qui peuvent diriger une commission électorale au Congo, on peut gager que ce pays est foutu… ». Il ajoute : «La décision des évêques d’interdire aux religieux de s’engager dans les affaires politiques est conséquente au comportement de ce prêtre. Un comportement qui avait discrédité l’Eglise».
Un autre activiste d’enchaîner : « Malu Malu revient aux affaires à la demande de Joseph Kabila. Le raïs croit avoir trouvé, en lui, l’oiseau rare qui pourra l’aider à rempiler en 2016 ». A l’UDPS, le «come back» de l’abbé de Butembo est considéré comme un «non-événement».
C’est Tharcisse Loseke Nembalemba qui le dit: «Notre parti ne se sent pas du tout concerné par cette affaire. Nous ne participerons plus aux élections aussi longtemps que Joseph Kabila sera au pouvoir».
Il conclut : «Daniel Ngoy Mulunda était mauvais, le Congo va embrasser Malu Malu qui est pire dans la volonté de politisation à outrance de la commission électorale», peste-t-il.
Un juriste kinois réagit avec la "froideur" des hommes de loi : «Le moins qu’on puisse est que la désignation de Malu Malu à la tête de Ceni est totalement immorale».
La dernière réaction émane du député national Clément Kanku, président du Mouvement pour le renouveau : «J’éprouve un sentiment de révolte face à la tricherie orchestrée par la MP qui a abusé de la société civile en imposant le candidat de son choix.
On semble oublier que la Ceni a été créée pour tourner la page de la gestion décriée de la Cei par le même Malu Malu. On reprend un imposteur qui utilise le quota de la société civile alors qu’il a été désavoué par la Cenco». Pour Clément Kanku, Malu Malu et la «majorité présidentielle» veulent diriger la Ceni «par défi».
Selon lui, l’objectif paraît clair : octroyer un 3ème mandat à «Joseph Kabila». Le parlementaire de conclure : « Nous devons nous liguer contre cette entreprise macabre ».
«L’horizon 2016 »
Depuis plusieurs mois, des informations fragmentaires laissent entendre que «Joseph Kabila» a chargé quelques juristes de son écurie afin d’examiner les voies et moyens pouvant lui permettre de faire sauter le "verrou constitutionnel" qui lui interdit de briguer plus de deux mandats successifs.
Il faut donc être un "parfait naïf" pour croire que le nouveau président de la Ceni a pour tâches essentielles de parachever les consultations politiques au niveau provinciales et locales. Le véritable enjeu se trouve ailleurs.
«Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois», dispose l’article 70-1 de la Constitution. «(…), le nombre et la durée des mandats du président de la République, (…), ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle», énonce l’article 220-1.
Selon des observateurs à Kinshasa, «Joseph Kabila est tourmenté par l’horizon 2016». Son mandat en cours prendra fin cette année là. L’homme tient, semble-t-il, à demeurer calife à la place du calife. Il serait "prêt à tout" pour ce faire.
Des experts chargés des «études stratégiques» à la Présidence de la République plancheraient sur deux scenarios.
Le premier: les «concertations nationales» annoncées mi-décembre dernier par le numéro un Congolais pour barrer la route aux rebelles du M23 grâce à la «consolidation de la cohésion nationale ».
Lors de ces assises, un «régime de transition» pourrait être mis en place avec notamment pour mission de réviser la Constitution. Rappelons que les évêques du Congo ont fait savoir bruyamment leur opposition à tout amendement de l’article 220 de la Constitution.
Deuxième scénario : en cas d’échec du premier scénario, les «experts» de la Présidence de la République seraient tentés de conseiller à «Joseph» de céder le fauteuil présidentiel à "Jaynet" à l’image du «deal» passé entre Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev.
«Dans cette hypothèse, Jaynet "Kabila" présenterait sa candidature à l’élection présidentielle de 2016». L’histoire ne dit pas qui sera le Premier ministre.
En attendant 2016, la roue de l’Histoire, elle, va continuer de tourner. Un Congolais de la diaspora de crier en regardant le ciel : «Au secours, Malu Malu est de retour !».
Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant
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