jeudi 25 juillet 2013

Thierry Vircoulon sur RFI : «Le rôle perturbateur du Rwanda dans la région des Grands Lacs a été mis en évidence l’année dernière»

Des soldats rwandais près de Jomba, en RDC, le 24 janvier 2009.
Des soldats rwandais près de Jomba, en RDC, le 24 janvier 2009.
Photo AFP / Lionel Healing

Par Caroline Paré
 
La situation dans les Grands Lacs en débat, ce jeudi 25 juillet 2013, devant le Conseil de sécurité de l’ONU. C’est le chef de la diplomatie américaine John Kerry en personne qui va représenter les Etats-Unis à la tribune de New York. 

Il y a 48 heures, les Etats-Unis justement avaient enjoint le Rwanda de mettre un terme à son soutien aux rebelles du Mouvement du 23-Mars, le M23, dans l’est de la République démocratique du Congo. 

Un appui que Kigali dément officiellement même si Washington déclare détenir des preuves de l’implication de responsables militaires rwandais. Un changement d’attitude vis-à-vis de Kigali pour Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Thierry Vircoulon : Il y a en effet un changement de conditionnement. Cela avait déjà été le cas l’année dernière lorsque la crise du M23 a commencé. Ca s’inscrit dans la continuité maintenant de la position américaine. Le rôle perturbateur du Rwanda dans la région des Grands Lacs a été mis en évidence l’année dernière. Et il y a une politique de pression de la part des Etats-Unis, mais aussi d’autres acteurs.

RFI : Washington dit s’appuyer sur des éléments concrets, des preuves ; il y a eu récemment des accusations dans un rapport signé de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch qui dénonce notamment des exactions.

La violence et les tensions ont repris sur le terrain depuis quelques semaines au nord de Goma où l’armée congolaise affronte le M23. Ca donne lieu à des échanges d’accusations qui vont dans tous les sens. Kigali accuse l’armée congolaise de collaborer avec les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda).

Elle accuse même la Monusco et les Nations unies de travailler aussi avec les FDLR. Et de l’autre côté, il y a des accusations selon lesquelles en effet le M23 a fait des exécutions sommaires.

Egalement des accusations de viols, des accusations d’enfants recrutés de force ?

Oui, qui sont la continuité de ce qui s’est passé l’année dernière. De ce point de vue-là, on peut dire qu’il n’y a pas de changement. Et c’est assez dommageable puisque l’initiative onusienne de paix qui a été lancée en février était censée calmer un peu les choses.

Et on constate qu’à l’heure actuelle, il y a plutôt un regain de violences sur le terrain. Et on se demande dans quelle mesure ce qui se passe à New York est connecté avec ce qui se passe au nord de Goma.

C’est-à-dire qu’aujourd’hui ce qui pourrait se dire dans les prochaines heures au Conseil de sécurité des Nations unies n’a finalement que peu d’impact sur le cours des événements dans cette province du Kivu ?

Pour le moment, Kinshasa favorise une option militaire. Après l’humiliation très sérieuse de l’année dernière face au M23, Kinshasa voudrait bien renverser le rapport de force et humilier à son tour le M23 pour entrer dans un nouveau cycle de négociations puisque les négociations, qui se tiennent à Kampala, sont dans une impasse complète et n’ont pas avancé depuis maintenant très longtemps.

Alors précisément, on parle de Kinshasa, on parle de Kigali. Quel est aujourd’hui le rôle tenu par la présidence ougandaise dans la région ?

La présidence ougandaise dans la région fait profil bas actuellement. Ce sont les armes qui parlent et il n’y a plus vraiment de négociations. A Kampala, je ne sais pas d’ailleurs qui est-ce qui est encore présent autour de la table, mais j’ai l’impression que du côté congolais, en tout cas, il n’y a plus grand-chose et que le facilitateur ougandais est plutôt maintenant dans son bureau qu’à Entebbe.

Comment Kigali peut continuer à nier toute présence alors que précisément des preuves attestent du contraire ?

Kigali ne reconnaîtra jamais sa présence, parce que si elle le faisait, ça serait une bombe atomique contre elle. Mais comme vous le dites, un certain nombre d’acteurs ont des preuves et par conséquent ce qui est essentiel, c’est de réussir à trouver les bonnes pressions sur Kigali.

L’année dernière, les sanctions financières, les suspensions d’aide des bailleurs européens notamment ont eu un effet assez convainquant sur Kigali, le retrait du M23 de Goma était assez lié à cela. Donc c’est encore cette arme de la suspension de l’aide qui pourrait être utilisée si Kigali venait au secours du M23.

La question qui se pose aujourd’hui, c’est aussi le positionnement de la communauté internationale vis-à-vis de Kinshasa. Est-ce que d’une certaine manière, indirectement, Kigali ne permet pas à cette présidence de la RDC de retrouver des appuis un peu perdus au cours des dernières années ?

Sur le plan diplomatique, la RDC avait « gagné » puisque le Rwanda apparaît dans cette crise du M23 comme l’agresseur. Il ne faut pas oublier que l’accord de paix, qui a été sponsorisé par le secrétaire général des Nations unies au mois de février, prévoit non seulement que les pays voisins n’interfèrent pas dans les affaires congolaises, mais que la RDC, le gouvernement congolais, fasse un certain nombre de réformes et s’ouvre et se démocratise.

C’est cela qui est en jeu en ce moment aussi à Kinshasa. Il y a des concertations nationales qui sont lancées. On va voir si ces palabres vont avoir un effet quelconque ou pas du tout. Mais en tout cas, il y a également une pression sur Kinshasa pour changer de comportement.

Beaucoup d’acteurs maintenant reconnaissent que, même si le problème du M23 était réglé, la région du Kivu resterait une zone d’insécurité assez forte parce qu’il y a des racines locales dans tous les conflits qui concernent le Kivu.

Nous venons de publier un rapport de l’International Crisis Group sur des conflits dans le Sud-Kivu qui met en évidence que, en dehors des interférences étrangères, il y a des causes très locales à ces confits.

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