jeudi 17 octobre 2013

Cour Constitutionnelle : Quand «Joseph Kabila» prend l’Etat en otage


"Joseph Kabila" procède à la promulgation - théâtrale - de la Constitution. C’était le 18 février 2006 

Ouf ! Sept années après la promulgation de la Constitution (18 février 2006) et trois ans après l’adoption par les deux chambres du Parlement, «Joseph Kabila» a (enfin) «daigné» promulguer la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Le temps écoulé entre l’adoption, la transmission à la Présidence de la République et la promulgation est révélateur de l’étouffante omnipotence de l’institution président de la République. Une institution qui échappe à tout contrôle démocratique. Alors qu’elle pose des actes d’administration et de gestion. Qui contrôle l’homme qui trône à la tête de la très mal nommée République "démocratique" du Congo? 
 
Les "concertateurs" ayant siégé dans le groupe thématique «Gouvernance, démocratie et réformes institutionnelles» n’ont pas manqué, à raison d’ailleurs, de réaffirmer notamment le «strict respect de la Constitution» et la «transparence dans la gestion». 

L’article 74 de la Constitution impose au Président élu de jurer solennellement «devant Dieu et les hommes» notamment «de défendre la Constitution et les lois de la République». De même, de ne se laisser guider dans l’exercice de ses fonctions que
«par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine».

La charte fondamentale promulguée le 18 février 2006 a prévu, en son article 157, l’institution d’une Cour constitutionnelle. «En attendant l’installation de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, peut-on lire à l’article 223, la Cour suprême de justice exerce les attributions leur dévolues par la présente Constitution».

L’Etat pris en otage

Fin 2010, les deux Chambres du Parlement congolais adoptaient la loi portant organisation et fonctionnement de cette haute juridiction. Le texte a été par la suite transmis au président de la République pour promulgation. Celui-ci l’aurait renvoyé pour une "seconde délibération". Entre-temps, la Cour suprême de justice (CSJ) avait émis son arrêt de conformité. 

Depuis juillet 2011, cette loi attendait "quelque part" la sanction présidentielle. Où? Est-ce au bureau de Beya Siku, le directeur du cabinet du chef de l’Etat? Est-ce au bureau de "Joseph Kabila" au Palais de la Nation où les passages de celui-ci sont devenus rarissimes?

Ce n’est que le mardi 15 octobre 2013 que «Joseph Kabila» a «bien voulu» apposer son "auguste signature" sur ce document pour lui donner le caractère exécutoire. Pourquoi maintenant? Mystère. 

Question : Pourquoi l’article 140 de la Constitution n’a-t-il pas été appliqué dans ce cas («Le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours de sa transmission (…). A défaut de promulgation de la loi par le Président de la République dans les délais constitutionnels, la promulgation est de droit»)? 

Cette "parade" avait été pourtant prévue par les législateurs de 2006 dans le souci évident de garantir un «fonctionnement harmonieux des institutions de l’Etat». "Joseph Kabila" se considère-t-il au-dessus des lois?

Selon des sources bien informées, ce sont des magistrats de la CSJ qui auraient «gelé» ce texte. Et ce sur injonction de «Joseph Kabila». Pour mémoire, la procédure en la matière se présenterait plus ou moins comme suit. La loi adoptée par les deux chambres du Parlement est transmise à la Cour suprême de justice - laquelle tient encore lieu de Cour constitutionnelle - afin de contrôler la conformité dudit texte à la Constitution. 

La CSJ doit se prononcer dans un délai de quinze jours. Elle émet un arrêt de certification. Tous les témoignages confirment que le goulot d’étranglement se situerait au niveau de l’institution «président de la République». "Joseph Kabila" aurait enjoint à la CSJ de ne pas notifier son arrêt au chef de l’Etat avec copie aux deux chambres. Auquel cas le délai contenu dans l’article 140 serait d’application.

Un juriste kinois de rappeler que l’entrée en vigueur d’un texte légal au Congo démocratique relève d’une véritable course aux obstacles. « Après la certification de la constitutionnalité par la Cour suprême de justice, relate-t-il, le texte promulgué par le président de la République doit faire l’objet d’une authentification par le directeur du cabinet présidentiel. 

Après, c’est le tour du ministre de la Justice d’y apposer le sceau de la République. Enfin, pour être opposable à tous, la nouvelle loi doit être publiée dans le Journal officiel qui est, comme sous la IIème République, un service rattaché à la Présidence".

Parjure

«Joseph Kabila» se méfierait-il de la Cour constitutionnelle? Poser la question c’est déjà y répondre au regard des faits décrits précédemment. Quelles en serait les causes?

Sans tomber dans un angélisme béat, il n’est pas sans intérêt de noter une innovation. Contrairement aux cours et tribunaux actuels - où "Joseph Kabila" a pris la fâcheuse habitude de faire et défaire la carrière des magistrats au mépris du Conseil supérieur de la magistrature qui est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire -, la Cour constitutionnelle est composée de neuf juges. 

Ceux-ci sont désignés de manière paritaire par le président de la République, le Congrès (Parlement) et le Conseil supérieur de la magistrature. Les procès verbaux constatant la désignation des membres de la Cour constitutionnelle autres que ceux désignés par le chef de l’Etat "sont transmis à ce dernier dans les quarante huit heures aux fins de leur nomination". 

Le président de la Cour est non pas nommé mais élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelables une seule fois. Il est investi par ordonnance du Président de la République. S’agissant des compétences, outre le contrôle de la constitutionnalité et l’interprétation de la Constitution, cette haute juridiction est le juge pénal du président de la République et du Premier ministre.

La promulgation, en méconnaissance des délais constitutionnels, de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle a le mérite de soulever une question cruciale : Qui contrôle le président de la République? 

En droit, celui-ci est réputé "politiquement irresponsable". En fait, l’homme pose des actes de gestion. C’est un secret de Polichinelle de relever que tous les contrats juteux - c’est le cas des contrats signés notamment avec la Chine - sont gérés directement par une sorte de "gouvernement de l’ombre" au niveau de la Présidence de la République. 

D’autre part, plusieurs organismes publics touchant aux droits et libertés sont placés (?) sous la "tutelle" du premier magistrat du pays. C’est le cas notamment de : l’Agence nationale de renseignements (ANR), l’ex-Demiap (renseignements militaires), la Direction générale des migrations (DGM), les services spéciaux de la police nationale (DRGS), la Garde républicaine (garde présidentielle). 

Comment pourrait-on exercer autant de pouvoirs sans y abuser alors qu’on est nullement soumis à l’obligation de rendre compte?

En tous cas, la promulgation, par "Joseph Kabila", du texte précité, en méconnaissance des délais constitutionnels, est constitutive de parjure. Le mot n’est pas trop fort. On devrait même parler de haute trahison. 

Le locataire du Palais de la nation a non seulement violé son serment «de défendre la Constitution et les lois de la République» mais aussi pris l’Etat en otage en se laissant guider - dans l’exercice de ses fonctions - non pas «par l’intérêt général» mais par ses propres intérêts... 
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Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant

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