Eclairage
Kibumba, Kiwanja, Rutshuru, Rumangabo important centre de formation militaire et bientôt Bunagana, poste douanier sur la frontière ougandaise : durant longtemps les noms de ces localités du Nord Kivu ont été synonymes de défaites militaires, d’exactions, de massacres et d’exodes.
Depuis trois jours, ils incarnent les victoires de l’armée congolaise dans son offensive contre les rebelles du M23 et à Kinshasa la presse considère que la reddition des mutins est imminente, même si l’envoyé spécial américain redoute toujours une « internationalisation » de la crise…
L’offensive militaire s’inscrit dans un double contexte politique : à Kinshasa, les concertations nationales se sont terminées sur la promesse de voir bientôt se constituer un gouvernement ouvert à l’opposition mais surtout, à Kampala, où rebelles et représentants gouvernementaux négocient depuis dix mois (aux frais du Congo…)le désaccord s’est avéré insurmontable.
En effet, les chefs militaires du M23 ont refusé que leurs troupes soient réaffectées dans d’autres provinces du Congo (loin de la frontière rwandaise…) tandis que Kinshasa, sous pression de son opinion publique, a catégoriquement refusé d’accorder l’amnistie aux dirigeants de la rébellion visés par des sanctions internationales, estimant qu’il fallait mettre fin à l’impunité et au cycle des rébellions à répétition.
Sur le plan militaire, les succès des FARDC s’expliquent d’abord par la faiblesse croissante du M23 : les effectifs des rebelles ont été réduits par l’éclatement du mouvement, dont 600 hommes, l’été dernier, se sont réfugiés au Rwanda à la suite de leur chef Bosco Ntaganda aujourd’hui transféré à la CPI.
Face à cet adversaire diminué, l’armée gouvernementale a entamé une offensive sur plusieurs axes, obligeant le M23 à disperser ses forces.
En outre, des soldats hutus membres du M23 ont refusé de combattre ou ont fait défection, estimant que les officiers tutsis ne partageaient pas avec leurs troupes les revenus tirés des recettes douanières ou des trafics d’or, que l’organisation américaine Enough Project vient d’estimer à 500 millions de dollars.
Par ailleurs, les pressions internationales et les sanctions ont empêché l’armée rwandaise de se porter clairement au secours de ses alliés, même si récemment encore des infiltrations ont été dénoncées par la société civile.
Quant à l’armée congolaise, elle a été « dopée » par plusieurs facteurs, le premier étant une amélioration de la logistique : salaires payés, rations de l’ONU remplaçant les gamelles de haricots crus dont devaient se contenter les troupes, commandement plus cohérent, avec moins de trahisons et de communication d’informations à l’ennemi.
Se comportant mieux que d’ordinaire, les unités congolaises (des bataillons d’élite formés entre autres par les Belges) ont été soutenues par la population : on a vu des motards de Goma porter des bidons d’eau aux soldats sur le front…
En outre, les FARDC ont été épaulées par la Monusco, les Casques bleus mais aussi la Brigade d’intervention africaine, beaucoup plus décidée et qui vient de perdre un officier tanzanien.
Même si la Monusco ne combat pas en première ligne, elle se montre nettement plus ferme que par le passé, sous l’impulsion de son nouveau commandant en chef le général Cruz et du représentant politique Martin Kobler (un Allemand revenant d’Afghanistan).
La force onusienne se souvient aussi de l’humiliation qu’avait représenté la chute de Goma en novembre 2013 et elle s’est sentie défiée par les tirs du M23 ayant à plusieurs reprises visé ses hélicoptères.
Au-delà des succès engrangés, il serait prématuré de crier déjà victoire : le Rwanda, peu soucieux de lâcher ses alliés congolais et de perdre l’accès au Nord Kivu, pourrait être tenté de jouer le tout pour le tout et de franchir la frontière en dépit de la pression internationale.
L’Ouganda, dont la neutralité est de plus en plus sujette à caution pourrait permettre l’ouverture d’un nouveau front, plus au nord, où un certain « M18 » a déjà fait son apparition.
Pour le Congo enfin, le principal défi est d’ordre interne : si la bonne gouvernance n’est pas rétablie au Kivu, si les Tutsis congolais se voient menacés, si les réfugiés ne sont pas autorisés à rentrer chez eux, les germes d’une nouvelle guerre seront toujours présents.
Quant à la Monusco et à sa brigade africaine, sa crédibilité est en jeu : si le M23 est neutralisé, il lui faut de toute urgence et avec la même énergie, s’en prendre aux autres groupes armées, dont les Hutus des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) qui demeurent, depuis bientôt vingt ans, le premier élément déstabilisateur de la région…
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Le carnet de Colette Braeckman
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