le 27-06-2014
Laurent Gbagbo, en février 2013 à La Haye.AFP PHOTO/ POOL/ MICHAEL KOOREN
Le journaliste François Mattei a publié, ce jeudi 26 juin aux éditions du Moment, Pour la vérité et la justice, un livre de 320 pages dans lequel il rend compte des entretiens qu'il a eus depuis 2005 avec Laurent Gbagbo.
L’ancien président ivoirien y livre sa lecture des turpitudes de l’histoire depuis son élection. Une charge violente contre la France et contre son successeur Alassane Ouattara.
Ce livre est le fruit d’une très longue conversation. Celle de deux hommes qui se connaissent depuis plus d’une décennie et qui n’ont cessé de discuter en dépit des moments de crise que la Côte d'Ivoire traversait. En dépit aussi de l’actuelle incarcération de l’ancien président au quartier pénitentiaire de la Cour pénale internationale (CPI) à Scheveningen.
L’ouvrage de 320 pages raconte, en adoptant le point de vue de Laurent Gbagbo, ses années de pouvoir, l’élection de 2010 et la crise postélectorale, sa capture et son transfert à La Haye.
Le récit du journaliste est soutenu par de nombreuses citations de l’ancien président, qui permettent de mieux cerner sa version des faits. Une version qui met en accusation la France et Alassane Ouattara, l’actuel président ivoirien.
Alassane Ouattara ?
Gbagbo fait déjà planer son ombre autour de l’affaire dite de la « Mercedes noire ».
« A peine trois mois après mon élection du 22 octobre 2000, en janvier 2001, une première tentative de putsch menée contre moi par des proches de Ouattara a échoué », explique-t-il.
L’ancien chef d'Etat décrit également son successeur comme un homme qui « a essuyé des échecs à répétition dans ses tentatives de prises du pouvoir pendant dix ans. Les Français ont finalement décidé de l’imposer, en 2011. »
Marcoussis, « coup d’Etat en gants blancs »
La France ? Gbagbo est persuadé qu’elle ne l’a jamais accepté depuis son élection en octobre 2000. Et qu’elle a donc voulu sa perte.
En 2002, déplore-t-il, elle n’a pas réagi quand les rebelles sont entrés en Côte d’Ivoire. La table ronde de Linas-Marcoussis, en janvier 2003, a selon lui été « un coup d’Etat en gants blancs » orchestré par Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac.
« A Marcoussis, dit-il, la France m’a fabriqué une opposition armée… avec laquelle on m’a demandé de gouverner. »
« Ce n’est pas une solution qui a été présentée à Marcoussis, estime Laurent Gbagbo. Ils voulaient juste, au mieux, me transformer en "reine d’Angleterre" pour que je n’aie plus de véritable rôle politique. Vider la Constitution et mon statut de leur contenu, c’est cela que recherchait Chirac (…) Quant à Villepin, il voulait m’écarter. »
L’ancien chef d’Etat présente sa version du bombardement de Bouaké, le 6 novembre 2004. Neuf militaires français meurent, à la suite de l’attaque de la position française par deux avions Sukhoi de l’aviation ivoirienne. En représailles, l’armée française détruit l’ensemble de la flotte aérienne ivoirienne. « Il s’est avéré ensuite qu’il s’agissait d’un complot dont le but ultime était de renverser le gouvernement légitime et de m’évincer du pouvoir », considère Gbagbo.
A la suite de la destruction de la flotte, il affirme qu’une colonne française de véhicules blindés venue du centre du pays s’est approchée d’Abidjan, a encerclé la résidence présidentielle, puis s’est repliée à l’Hôtel Ivoire.
« Les Français ont dit après coup qu’ils avaient fait une erreur de trajet. Quand on connait Abidjan, c’est impossible à croire. » L’ancien président soutient que le plan était de le renverser et de mettre à sa place son chef d’état-major, le général Mathias Doué.
« Un traquenard préparé de longue date »
Mais c’est sur l'élection de 2010 et la crise postélectorale de 2010-2011 que le récit est le plus détaillé et le feu plus nourri. Gbagbo regrette qu’on l’ait poussé à aller aux urnes alors que le désarmement des rebelles n’avait pas encore pu avoir lieu. Il se redit également persuadé d’avoir gagné le scrutin.
« Dès le vote de la résolution 1975 [par laquelle le Conseil de sécurité de l’ONU demande « instamment » à Laurent Gbagbo de se retirer le 30 mars 2011, NDLR], l’armée française lançait du nord du pays vers le sud des groupes rebelles dont elle avait organisé le plan de marche et assuré la logistique. Ils commettaient des crimes abominables dans leur progression avant de s’attaquer aux populations civiles à Abidjan », assure Gbagbo.
Analyse
CPI: en filigrane, la stratégie de défense de Gbagbo 27/06/2014 - par Laurent Correau écouter
Le détenu de Scheveningen affirme que les nombreuses victimes de la crise postélectorale n’ont pas été le fait de ses partisans, mais celui des « groupes armés rebelles infiltrés à Abidjan avant les élections », du « commando invisible » « qui s’en prenait à la population et tuait au cœur d’Abidjan », des forces françaises « qui ont mené de nombreuses attaques contre les forces gouvernementales et ont causé de nombreux dommages collatéraux ».
Le livre lui donne l’occasion de raconter dans le détail le siège qu'il a vécu. Puis son arrestation, le 11 avril 2011. Laurent Gbagbo affirme que cinquante blindés français ont pris la direction de sa résidence et l’ont encerclée. Que des hélicoptères français ont mis le feu au bâtiment à l’aide de munitions incendiaires.
« Des militaires français sont venus devant le portail, un de leurs chars l’a défoncé à coups de canon. Il y a eu ensuite coups de feu, des rafales, et dans la fumée, j’ai entendu : " On veut Gbagbo ! On veut Gbagbo ! " (…) Je me suis levé : " C’est moi Gbagbo. " Ils m’ont saisi. »
« Gbagbo allait faire s’effondrer le système »
Pourquoi cet acharnement supposé de l’ancienne puissance coloniale contre Gbagbo ? Joint par RFI, François Mattei livre son interprétation. L'ancien chef d'Etat, dit-il, a été victime de la Françafrique :
Entretien
François Mattei raconte son histoire avec Gbagbo 27/06/2014 - par Laurent Correau écouter
« Je ne peux pas dissocier le sort de Laurent Gbagbo, aujourd’hui à la CPI, de l’état de fait des relations franco-africaines qui sont dévoyées et qui sont occultées aux yeux du public. (…) Gbagbo allait faire s’effondrer le système. Le fait qu’il s’orientait peut-être vers une monnaie ivoirienne, le fait qu’il ne voulait pas renouveler les accords de défense, le fait qu’il ne soit pas venu à la célébration du cinquantenaire des Indépendances à Paris, quand Nicolas Sarkozy a réuni sur les Champs-Élysées tous les chefs d’Etat francophones africains… Il ne convenait pas… Il y a très longtemps à mon avis qu’on n’en voulait plus. »
Les responsables français en accusation
Dans Pour la vérité et la justice, Laurent Gbagbo règle au passage ses comptes avec plusieurs personnalités françaises.
L'ancien président Nicolas Sarkozy est dépeint comme arrogant, et comme le principal soutien d'Alassane Ouattara. L'ancien Premier ministre Dominique de Villepin « semblait se prendre un peu pour Jacques Foccart, un peu pour Jacques Chirac », lit-on.
L'ancien président Chirac lui-même, selon l'ex-chef d'Etat ivoirien, a bel et bien reçu des fonds venant de Côte d'Ivoire pour le financement de sa campagne électorale en 2002.
Laurent Gbagbo rapporte une scène qui se serait déroulée dans un restaurant de Paris, le Voltaire, en 2001 : « Villepin et Robert Bourgi m'ont demandé de cracher au bassinet pour l'élection en 2002 en France. C'était le prix pour avoir la paix en Françafrique. »
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Laurent Correau
Laurent Gbagbo, en février 2013 à La Haye.AFP PHOTO/ POOL/ MICHAEL KOOREN
Le journaliste François Mattei a publié, ce jeudi 26 juin aux éditions du Moment, Pour la vérité et la justice, un livre de 320 pages dans lequel il rend compte des entretiens qu'il a eus depuis 2005 avec Laurent Gbagbo.
L’ancien président ivoirien y livre sa lecture des turpitudes de l’histoire depuis son élection. Une charge violente contre la France et contre son successeur Alassane Ouattara.
Ce livre est le fruit d’une très longue conversation. Celle de deux hommes qui se connaissent depuis plus d’une décennie et qui n’ont cessé de discuter en dépit des moments de crise que la Côte d'Ivoire traversait. En dépit aussi de l’actuelle incarcération de l’ancien président au quartier pénitentiaire de la Cour pénale internationale (CPI) à Scheveningen.
L’ouvrage de 320 pages raconte, en adoptant le point de vue de Laurent Gbagbo, ses années de pouvoir, l’élection de 2010 et la crise postélectorale, sa capture et son transfert à La Haye.
Le récit du journaliste est soutenu par de nombreuses citations de l’ancien président, qui permettent de mieux cerner sa version des faits. Une version qui met en accusation la France et Alassane Ouattara, l’actuel président ivoirien.
Alassane Ouattara ?
Gbagbo fait déjà planer son ombre autour de l’affaire dite de la « Mercedes noire ».
« A peine trois mois après mon élection du 22 octobre 2000, en janvier 2001, une première tentative de putsch menée contre moi par des proches de Ouattara a échoué », explique-t-il.
L’ancien chef d'Etat décrit également son successeur comme un homme qui « a essuyé des échecs à répétition dans ses tentatives de prises du pouvoir pendant dix ans. Les Français ont finalement décidé de l’imposer, en 2011. »
Marcoussis, « coup d’Etat en gants blancs »
La France ? Gbagbo est persuadé qu’elle ne l’a jamais accepté depuis son élection en octobre 2000. Et qu’elle a donc voulu sa perte.
En 2002, déplore-t-il, elle n’a pas réagi quand les rebelles sont entrés en Côte d’Ivoire. La table ronde de Linas-Marcoussis, en janvier 2003, a selon lui été « un coup d’Etat en gants blancs » orchestré par Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac.
« A Marcoussis, dit-il, la France m’a fabriqué une opposition armée… avec laquelle on m’a demandé de gouverner. »
« Ce n’est pas une solution qui a été présentée à Marcoussis, estime Laurent Gbagbo. Ils voulaient juste, au mieux, me transformer en "reine d’Angleterre" pour que je n’aie plus de véritable rôle politique. Vider la Constitution et mon statut de leur contenu, c’est cela que recherchait Chirac (…) Quant à Villepin, il voulait m’écarter. »
L’ancien chef d’Etat présente sa version du bombardement de Bouaké, le 6 novembre 2004. Neuf militaires français meurent, à la suite de l’attaque de la position française par deux avions Sukhoi de l’aviation ivoirienne. En représailles, l’armée française détruit l’ensemble de la flotte aérienne ivoirienne. « Il s’est avéré ensuite qu’il s’agissait d’un complot dont le but ultime était de renverser le gouvernement légitime et de m’évincer du pouvoir », considère Gbagbo.
A la suite de la destruction de la flotte, il affirme qu’une colonne française de véhicules blindés venue du centre du pays s’est approchée d’Abidjan, a encerclé la résidence présidentielle, puis s’est repliée à l’Hôtel Ivoire.
« Les Français ont dit après coup qu’ils avaient fait une erreur de trajet. Quand on connait Abidjan, c’est impossible à croire. » L’ancien président soutient que le plan était de le renverser et de mettre à sa place son chef d’état-major, le général Mathias Doué.
« Un traquenard préparé de longue date »
Mais c’est sur l'élection de 2010 et la crise postélectorale de 2010-2011 que le récit est le plus détaillé et le feu plus nourri. Gbagbo regrette qu’on l’ait poussé à aller aux urnes alors que le désarmement des rebelles n’avait pas encore pu avoir lieu. Il se redit également persuadé d’avoir gagné le scrutin.
« Dès le vote de la résolution 1975 [par laquelle le Conseil de sécurité de l’ONU demande « instamment » à Laurent Gbagbo de se retirer le 30 mars 2011, NDLR], l’armée française lançait du nord du pays vers le sud des groupes rebelles dont elle avait organisé le plan de marche et assuré la logistique. Ils commettaient des crimes abominables dans leur progression avant de s’attaquer aux populations civiles à Abidjan », assure Gbagbo.
Analyse
CPI: en filigrane, la stratégie de défense de Gbagbo 27/06/2014 - par Laurent Correau écouter
Le détenu de Scheveningen affirme que les nombreuses victimes de la crise postélectorale n’ont pas été le fait de ses partisans, mais celui des « groupes armés rebelles infiltrés à Abidjan avant les élections », du « commando invisible » « qui s’en prenait à la population et tuait au cœur d’Abidjan », des forces françaises « qui ont mené de nombreuses attaques contre les forces gouvernementales et ont causé de nombreux dommages collatéraux ».
Le livre lui donne l’occasion de raconter dans le détail le siège qu'il a vécu. Puis son arrestation, le 11 avril 2011. Laurent Gbagbo affirme que cinquante blindés français ont pris la direction de sa résidence et l’ont encerclée. Que des hélicoptères français ont mis le feu au bâtiment à l’aide de munitions incendiaires.
« Des militaires français sont venus devant le portail, un de leurs chars l’a défoncé à coups de canon. Il y a eu ensuite coups de feu, des rafales, et dans la fumée, j’ai entendu : " On veut Gbagbo ! On veut Gbagbo ! " (…) Je me suis levé : " C’est moi Gbagbo. " Ils m’ont saisi. »
« Gbagbo allait faire s’effondrer le système »
Pourquoi cet acharnement supposé de l’ancienne puissance coloniale contre Gbagbo ? Joint par RFI, François Mattei livre son interprétation. L'ancien chef d'Etat, dit-il, a été victime de la Françafrique :
Entretien
François Mattei raconte son histoire avec Gbagbo 27/06/2014 - par Laurent Correau écouter
« Je ne peux pas dissocier le sort de Laurent Gbagbo, aujourd’hui à la CPI, de l’état de fait des relations franco-africaines qui sont dévoyées et qui sont occultées aux yeux du public. (…) Gbagbo allait faire s’effondrer le système. Le fait qu’il s’orientait peut-être vers une monnaie ivoirienne, le fait qu’il ne voulait pas renouveler les accords de défense, le fait qu’il ne soit pas venu à la célébration du cinquantenaire des Indépendances à Paris, quand Nicolas Sarkozy a réuni sur les Champs-Élysées tous les chefs d’Etat francophones africains… Il ne convenait pas… Il y a très longtemps à mon avis qu’on n’en voulait plus. »
Les responsables français en accusation
Dans Pour la vérité et la justice, Laurent Gbagbo règle au passage ses comptes avec plusieurs personnalités françaises.
L'ancien président Nicolas Sarkozy est dépeint comme arrogant, et comme le principal soutien d'Alassane Ouattara. L'ancien Premier ministre Dominique de Villepin « semblait se prendre un peu pour Jacques Foccart, un peu pour Jacques Chirac », lit-on.
L'ancien président Chirac lui-même, selon l'ex-chef d'Etat ivoirien, a bel et bien reçu des fonds venant de Côte d'Ivoire pour le financement de sa campagne électorale en 2002.
Laurent Gbagbo rapporte une scène qui se serait déroulée dans un restaurant de Paris, le Voltaire, en 2001 : « Villepin et Robert Bourgi m'ont demandé de cracher au bassinet pour l'élection en 2002 en France. C'était le prix pour avoir la paix en Françafrique. »
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