samedi 29 mars 2014
L’élection présidentielle de 2006, en République Démocratique du Congo, avait été pilotée par les Européens avec, à la manœuvre, le Commissaire Louis Michel. L’Europe avait versé la grande partie des cinq cents millions de dollars que le scrutin avait coûtés, et déployé des troupes (EUFOR RD Congo) à Kinshasa.
L’enjeu de cette élection était le maintien de Joseph Kabila au pouvoir pour rassurer les milieux d’affaires occidentaux. Pour 2016, tout porte à croire que ce sont les Américains qui devront piloter en sous-main le processus.
En témoignent les apparitions des organismes comme l’USAID, le NED,... Mais, pour les Congolais, l’enjeu n’est pas de savoir qui sera élu ou qui ne le sera pas.
La principale question est de savoir quel est l’agenda américain sur le Congo de l’après-2016, la même question qui aurait dû être posée au sujet des Européens lorsque ces derniers parrainaient l’élection de 2006.
Tirer les leçons de l’élection de 2006
Les Congolais ont découvert au fil du temps les agendas cachés des parrains de l’élection de 2006. Charles Onana[1] décrit les « combines » qui se tramaient dans le dos d’un peuple deux ans au moins avant le scrutin.
En gros, il fallait qu’il y ait à Kinshasa un Président faible qui concèderait à laisser l’Est du Congo à la merci des groupes armés à la solde de Kigali et Kampala.
L’objectif, inavouable, était que le pillage des ressources minières de la région perdure, et que les minerais continuent d’être acheminés au Rwanda et en Ouganda où ils sont commercialisés et exportés au profit des firmes occidentales.
Dès 2008, soit deux ans seulement après son élection, Joseph Kabila voit surgir sur le territoire national les armées ougandaise et rwandaise sous couvert du CNDP, l’ancêtre du M23. Le Président se soumet, autorise l’entrée de l’armée rwandaise au Congo et la signature des accords du 23 mars 2009, ouvrant la voie à la guerre du M23.
Le Raïs ne faisait qu’obéir, et il faut bien admettre qu’il s’est acquitté de la « mission » sans état d’âme. Au point de devoir abandonner aux mains de l’ennemi[2] un peuple qu’il a pourtant l’obligation constitutionnelle de protéger.
Pour les Congolais, 2006 aura été la porte ouverte aux agressions rwando-ougandaises, les déplacements forcés des populations, les massacres, les viols, les pillages…, avec la complicité des autorités de Kinshasa.
Mais ces années de cauchemar ne sont peut-être rien comparées à la séquence qui devrait s’ouvrir au lendemain de la prochaine présidentielle dans laquelle s’invitent les Américains.
Méditer l’agenda américain avant d’aller voter
Pour 2016, il n’y a pas de quoi se faire d’illusion. L’électeur congolais doit juste méditer l’agenda américain dans la région. Washington, tout comme Bruxelles, ne s’impliquera dans le processus électoral congolais que pour veiller à ce que le prochain Président (ou le même) se conforme à son agenda dans la Région des Grands Lacs.
Or, l’agenda américain dans la région est une catastrophe pour les Congolais. La pire catastrophe humanitaire au monde depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et ça remonte à la présidence de Bill Clinton (1996, déclenchement de la Première Guerre du Congo).
En effet, les Américains restent toujours convaincus que le Congo est un trop grand pays par rapport à la capacité de ses dirigeants à le gouverner[3]. C’est le postulat sur la base duquel ils arment et soutiennent le Rwanda et l’Ouganda dans les interminables guerres que les deux pays mènent contre le Congo.
L’idée est de faire disparaître le Congo que les Américains ne considèrent pas comme une nation souveraine malgré les « interdits » du droit international et du droit humanitaire, et malgré le fait que le pays occupe toujours une place à l’ONU en tant qu’Etat membre.
La négation du Congo en tant que « nation souveraine » a beau avoir coûté la vie à des millions de Congolais (autant de Congolais que les victimes de la Shoah), les dirigeants américains semblent déterminés à aller jusqu’au bout.
Ougandais et Rwandais, malgré l’affaire du M23, continuent d’être les principaux interlocuteurs des Américains dans la région et leurs alliés militaires comme en témoigne le doublement annoncé des effectifs de l’armée américaine en Ouganda[4].
Officiellement pour traquer le chef de la LRA, Joseph Kony. Ou encore le déploiement des soldats rwandais en Centrafrique à bord des avions de l’armée américaine[5].
Cette coopération militaire sera maintenue, et même renforcée, les aides suspendues, suite à l’affaire du M23, devant être rapidement rétablies.
Or, la coopération militaire américaine avec Kigali et Kampala se fait toujours au détriment des populations congolaises.
En effet, le Rwanda et l’Ouganda n’utilisent les moyens militaires mis à leur disposition que pour attaquer un seul pays de la région, le Congo. Et les Américains le savent.
Ainsi les Congolais devraient-ils s’interroger sur ce que sont devenus les membres du M23. Ils ne sont ni extradés ni poursuivis en justice. Si les « grandes puissances » ont tout entrepris pour les faire amnistier, en application des engagements de Nairobi, on peut raisonnablement considérer qu’elles n’excluent pas de se servir d’eux, à nouveau, dans l’avenir, contre le Congo.
Le cas du général Laurent Nkunda devrait particulièrement attirer l’attention des Congolais. Officiellement arrêté en janvier 2009, il fait une apparition surprise dans la chaîne de commandement du M23 trois ans plus tard, comme l’ont relevé les experts de l’ONU dans leur rapport de novembre 2012[6],[7].
En gros, ces combattants-là ne sont pas en train de dormir au Rwanda et en Ouganda. La victoire de l’armée congolaise a été, en partie, arrangée[8], sûrement pour éviter à Kabila un soulèvement populaire à Kinshasa ou une trop lourde sanction électorale en 2016.
Mais une fois l’élection passée, la cacophonie dans le Kivu devrait « recommencer comme avant ». En tout cas, tant que ces combattants ne sont pas traduits en justice et condamnés pour leurs crimes, il faut s’attendre à ce qu’ils fassent, à nouveau, parler d’eux au Congo.
L’agenda américain étant toujours ce qu’il est, les combattants rwando-ougandais ont la garantie de reprendre du service dans un avenir prévisible.
Kabila, meilleur candidat des Américains
Aussi pénible pour les Congolais que cela puisse paraître, les Américains, tout comme les Européens avant eux, ont besoin d’un homme « facile à manœuvrer » à la présidence du Congo. Les difficultés qu’ils ont éprouvées face à Patrice Lumumba et à Laurent-Désiré Kabila leur ont appris à prendre un maximum de précaution.
Jean-Pierre Bemba en a fait les frais en 2006 au point d’être neutralisé et enfermé dans une prison de La Haye. Etienne Tshisekedi sera le suivant, cinq ans plus tard.
Il faut un Président faible à Kinshasa pour mener à bien les « complots » contre le Congo.
Et à y voir de très près, Joseph Kabila se présente comme le candidat idéal. Il a déjà, sans état d’âme, abandonné le peuple congolais entre les mains de l’ennemi.
Pas une fois, pas deux fois. Plusieurs fois. Abandon de Goma entre les mains du M23 en novembre 2012[9], abandon de Bukavu entre les mains de Laurent-Kunda et Jules Mutebutsi en juin 2004[10], abandon de Lodja en avril 1999 et de Pweto en décembre 2000 entre les mains du RCD[11], abandon de Mahagi[12],…
Pour mener à bien la balkanisation du Congo, Kabila est tout à fait l’homme de la situation.
Bien évidemment, les Américains n’apparaîtront pas en première ligne. D’ailleurs, ils n’hésiteront pas à dénoncer les tentatives visant à la modification de la Constitution comme l’a fait Russ Feingold[13] après la rencontre de Kingakati[14].
Mais il ne faut pas se fier aux prises de position officielles. L’hypocrisie est généralisée dans les milieux diplomatiques. Un seul indice doit être observé : si Kabila parvient à faire modifier la Constitution pour se représenter, c’est qu’il aura, en coulisse, obtenu l’aval des Américains et des Européens.
Ceux-ci, bien évidemment, dénonceront la manœuvre du bout des lèvres et condamneront la répression des opposants à la modification de la Loi fondamentale.
Comme après la répression de 2006 et celle de 2011, les récriminations n’iront pas plus loin. Car aujourd’hui comme hier et demain, seuls les intérêts des multinationales comptent, et le Raïs s’est toujours montré disponible, y compris pour garantir l’exécution des contrats léonins.
Que doivent faire les Congolais ?
L’idéal, dans ces conditions, est d’éviter de légitimer par le vote un pouvoir dont on sait à l’avance qu’il mène un peuple dans des désastres comme l’abandon par l’armée de Goma ou des humiliations nationales comme les pourparlers de Kampala.
L’idéal serait donc de boycotter cette élection si Kabila se représente puisque, raisonnablement, l’après 2016 ne peut être que la reproduction de l’après 2006, le décor régional étant toujours le même (Kagamé au pouvoir à Kigali, Museveni au pouvoir à Kampala et les combattants rwando-ougandais restés libres et prêts à reprendre du service).
L’idée du boycott fait son chemin notamment dans les milieux de la diaspora. Mais elle sera difficile à faire accepter aux acteurs politiques à Kinshasa pour qui la participation aux élections, gagnées ou perdues, est souvent le rêve de toute une vie, et qu’il est hors de question de rater l’occasion qui se présente, quelle qu’elle soit.
Par ailleurs, dans un contexte de crise où les partis politiques sont à court de ressources, les moyens que l’« Oncle Sam » devrait investir dans cette élection ne devraient qu’inciter les "politiciens" à la participation.
Mais pour les Congolais, l’important est d’avoir été prévenus.
_________________
Boniface MUSAVULI
----------
1] ONANA, Charles, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent, Ed. Duboiris, 2012.
[2] Laisser faire l’armée rwandaise dans l’Est du Congo était, selon Charles Onana, une demande expresse de Javier Solana, le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Union européenne. Lors de l’occupation de Bukavu par les combattants rwandais menés par Laurent Nkunda et Jules Mutebutsi, en juin 2004, le diplomate européen avait téléphoné à Kabila pour lui demander de ne rien faire. Kabila avait accepté de laisser faire en échange de la promesse qu’il serait soutenu par l’Union européenne à la présidentielle de 2006. Voir ONANA, Charles, op. cit., pp. 231-232. Promesse tenue du côté de Bruxelles et silence radio sur le sort des victimes. Selon une ONG locale, durant l’occupation de Bukavu, 294 femmes avaient été violées et 359 personnes avaient été tuées.
[3] Selon les prédictions et les révélations du Professeur Jef Maton de l’Université de Gand, les experts du Pentagone tablaient, bien avant août 1996, sur trois scenarios devant mener au démembrement du Congo : Scénario de la "dérive autarcique", Scénario de "l’implosion-disparition"et Scénario de "l’explosion-réduction". Cf. Shoyaka-Djésa, Joseph, « Le projet de démembrement du Congo et de rattachement du Kivu au Ruanda », < http://www.congonline.com/Forum1/Fo... ;
[4] Schneider, Frédéric, « Les Etats-Unis doublent leur présence militaire en Ouganda contre la LRA », < http://www.afrik.com/les-etats-unis...)>[5] “US transports Rwandan soldiers into CAR”, < http://www.dvidshub.net/image/11526... ;
[6] « … le général Laurent Nkunda, ancien président du CNDP visé par des sanctions internationales, prête conseil aux commandants du M23 et s’occupe de recruter des hommes au Rwanda pour le compte du Mouvement. » Cf. Rapport du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2012/843, du 15 novembre 2012, p. 13.
[7] « Des officiers du M23 ont déclaré que, malgré l’interdiction de voyager, Nkunda s’est rendu au camp militaire du M23 à Runyonyi pour y encourager les officiers qui lui sont loyaux. » Cf. Rapport du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, op. cit., p. 14.
[8] Pour faciliter la victoire des FARDC (armée congolaise) sur le M23, le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et le ministre britannique des affaires étrangères, William Hague, avaient téléphoné au Président rwandais Paul Kagamé pour lui demander de retirer son soutien au M23. Cf. Pflanz, Mike et Blair, David, « DR Congo : M23 rebels close to defeat after US and Britain urge Rwanda to stay out », The Telegraph du 31 octobre 2013, < http://www.telegraph.co.uk/news/wor... ;
[9] Selon la journaliste belge Collette Braeckman, l’ordre de battre en retraite à Goma avait été donné par le général Didier Etumba, Chef d’Etat-major des FARDC.
[10] Voir Onana, Charles, plus haut.[11] Wondo, Jean-Jacques, Les armées au Congo – Radioscopie de la Force Publique aux FARDC, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Saint-Légier (Suisse), Avril 2013, pp. 239 et svts.
[12] « RDC : des militaires ougandais font une incursion à Mahagi »,
< http://radiookapi.net/actualite/201... ;
[13] « … ce n'est pas une bonne pratique de modifier la Constitution simplement pour le bénéfice de celui ou de ceux qui sont au pouvoir. » Russ Feingold sur RFI lundi 24 mars 2014. Cf. http://www.rfi.fr/emission/20140324...
[14] « Présidentielle en RDC : à Kingakati, Kabila évoque l'option d'un suffrage indirect dès 2015 », Jeune Afrique du 21 mars 2014, < http://www.jeuneafrique.com/Article... ;
L’élection présidentielle de 2006, en République Démocratique du Congo, avait été pilotée par les Européens avec, à la manœuvre, le Commissaire Louis Michel. L’Europe avait versé la grande partie des cinq cents millions de dollars que le scrutin avait coûtés, et déployé des troupes (EUFOR RD Congo) à Kinshasa.
L’enjeu de cette élection était le maintien de Joseph Kabila au pouvoir pour rassurer les milieux d’affaires occidentaux. Pour 2016, tout porte à croire que ce sont les Américains qui devront piloter en sous-main le processus.
En témoignent les apparitions des organismes comme l’USAID, le NED,... Mais, pour les Congolais, l’enjeu n’est pas de savoir qui sera élu ou qui ne le sera pas.
La principale question est de savoir quel est l’agenda américain sur le Congo de l’après-2016, la même question qui aurait dû être posée au sujet des Européens lorsque ces derniers parrainaient l’élection de 2006.
Tirer les leçons de l’élection de 2006
Les Congolais ont découvert au fil du temps les agendas cachés des parrains de l’élection de 2006. Charles Onana[1] décrit les « combines » qui se tramaient dans le dos d’un peuple deux ans au moins avant le scrutin.
En gros, il fallait qu’il y ait à Kinshasa un Président faible qui concèderait à laisser l’Est du Congo à la merci des groupes armés à la solde de Kigali et Kampala.
L’objectif, inavouable, était que le pillage des ressources minières de la région perdure, et que les minerais continuent d’être acheminés au Rwanda et en Ouganda où ils sont commercialisés et exportés au profit des firmes occidentales.
Dès 2008, soit deux ans seulement après son élection, Joseph Kabila voit surgir sur le territoire national les armées ougandaise et rwandaise sous couvert du CNDP, l’ancêtre du M23. Le Président se soumet, autorise l’entrée de l’armée rwandaise au Congo et la signature des accords du 23 mars 2009, ouvrant la voie à la guerre du M23.
Le Raïs ne faisait qu’obéir, et il faut bien admettre qu’il s’est acquitté de la « mission » sans état d’âme. Au point de devoir abandonner aux mains de l’ennemi[2] un peuple qu’il a pourtant l’obligation constitutionnelle de protéger.
Pour les Congolais, 2006 aura été la porte ouverte aux agressions rwando-ougandaises, les déplacements forcés des populations, les massacres, les viols, les pillages…, avec la complicité des autorités de Kinshasa.
Mais ces années de cauchemar ne sont peut-être rien comparées à la séquence qui devrait s’ouvrir au lendemain de la prochaine présidentielle dans laquelle s’invitent les Américains.
Méditer l’agenda américain avant d’aller voter
Pour 2016, il n’y a pas de quoi se faire d’illusion. L’électeur congolais doit juste méditer l’agenda américain dans la région. Washington, tout comme Bruxelles, ne s’impliquera dans le processus électoral congolais que pour veiller à ce que le prochain Président (ou le même) se conforme à son agenda dans la Région des Grands Lacs.
Or, l’agenda américain dans la région est une catastrophe pour les Congolais. La pire catastrophe humanitaire au monde depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et ça remonte à la présidence de Bill Clinton (1996, déclenchement de la Première Guerre du Congo).
En effet, les Américains restent toujours convaincus que le Congo est un trop grand pays par rapport à la capacité de ses dirigeants à le gouverner[3]. C’est le postulat sur la base duquel ils arment et soutiennent le Rwanda et l’Ouganda dans les interminables guerres que les deux pays mènent contre le Congo.
L’idée est de faire disparaître le Congo que les Américains ne considèrent pas comme une nation souveraine malgré les « interdits » du droit international et du droit humanitaire, et malgré le fait que le pays occupe toujours une place à l’ONU en tant qu’Etat membre.
La négation du Congo en tant que « nation souveraine » a beau avoir coûté la vie à des millions de Congolais (autant de Congolais que les victimes de la Shoah), les dirigeants américains semblent déterminés à aller jusqu’au bout.
Ougandais et Rwandais, malgré l’affaire du M23, continuent d’être les principaux interlocuteurs des Américains dans la région et leurs alliés militaires comme en témoigne le doublement annoncé des effectifs de l’armée américaine en Ouganda[4].
Officiellement pour traquer le chef de la LRA, Joseph Kony. Ou encore le déploiement des soldats rwandais en Centrafrique à bord des avions de l’armée américaine[5].
Cette coopération militaire sera maintenue, et même renforcée, les aides suspendues, suite à l’affaire du M23, devant être rapidement rétablies.
Or, la coopération militaire américaine avec Kigali et Kampala se fait toujours au détriment des populations congolaises.
En effet, le Rwanda et l’Ouganda n’utilisent les moyens militaires mis à leur disposition que pour attaquer un seul pays de la région, le Congo. Et les Américains le savent.
Ainsi les Congolais devraient-ils s’interroger sur ce que sont devenus les membres du M23. Ils ne sont ni extradés ni poursuivis en justice. Si les « grandes puissances » ont tout entrepris pour les faire amnistier, en application des engagements de Nairobi, on peut raisonnablement considérer qu’elles n’excluent pas de se servir d’eux, à nouveau, dans l’avenir, contre le Congo.
Le cas du général Laurent Nkunda devrait particulièrement attirer l’attention des Congolais. Officiellement arrêté en janvier 2009, il fait une apparition surprise dans la chaîne de commandement du M23 trois ans plus tard, comme l’ont relevé les experts de l’ONU dans leur rapport de novembre 2012[6],[7].
En gros, ces combattants-là ne sont pas en train de dormir au Rwanda et en Ouganda. La victoire de l’armée congolaise a été, en partie, arrangée[8], sûrement pour éviter à Kabila un soulèvement populaire à Kinshasa ou une trop lourde sanction électorale en 2016.
Mais une fois l’élection passée, la cacophonie dans le Kivu devrait « recommencer comme avant ». En tout cas, tant que ces combattants ne sont pas traduits en justice et condamnés pour leurs crimes, il faut s’attendre à ce qu’ils fassent, à nouveau, parler d’eux au Congo.
L’agenda américain étant toujours ce qu’il est, les combattants rwando-ougandais ont la garantie de reprendre du service dans un avenir prévisible.
Kabila, meilleur candidat des Américains
Aussi pénible pour les Congolais que cela puisse paraître, les Américains, tout comme les Européens avant eux, ont besoin d’un homme « facile à manœuvrer » à la présidence du Congo. Les difficultés qu’ils ont éprouvées face à Patrice Lumumba et à Laurent-Désiré Kabila leur ont appris à prendre un maximum de précaution.
Jean-Pierre Bemba en a fait les frais en 2006 au point d’être neutralisé et enfermé dans une prison de La Haye. Etienne Tshisekedi sera le suivant, cinq ans plus tard.
Il faut un Président faible à Kinshasa pour mener à bien les « complots » contre le Congo.
Et à y voir de très près, Joseph Kabila se présente comme le candidat idéal. Il a déjà, sans état d’âme, abandonné le peuple congolais entre les mains de l’ennemi.
Pas une fois, pas deux fois. Plusieurs fois. Abandon de Goma entre les mains du M23 en novembre 2012[9], abandon de Bukavu entre les mains de Laurent-Kunda et Jules Mutebutsi en juin 2004[10], abandon de Lodja en avril 1999 et de Pweto en décembre 2000 entre les mains du RCD[11], abandon de Mahagi[12],…
Pour mener à bien la balkanisation du Congo, Kabila est tout à fait l’homme de la situation.
Bien évidemment, les Américains n’apparaîtront pas en première ligne. D’ailleurs, ils n’hésiteront pas à dénoncer les tentatives visant à la modification de la Constitution comme l’a fait Russ Feingold[13] après la rencontre de Kingakati[14].
Mais il ne faut pas se fier aux prises de position officielles. L’hypocrisie est généralisée dans les milieux diplomatiques. Un seul indice doit être observé : si Kabila parvient à faire modifier la Constitution pour se représenter, c’est qu’il aura, en coulisse, obtenu l’aval des Américains et des Européens.
Ceux-ci, bien évidemment, dénonceront la manœuvre du bout des lèvres et condamneront la répression des opposants à la modification de la Loi fondamentale.
Comme après la répression de 2006 et celle de 2011, les récriminations n’iront pas plus loin. Car aujourd’hui comme hier et demain, seuls les intérêts des multinationales comptent, et le Raïs s’est toujours montré disponible, y compris pour garantir l’exécution des contrats léonins.
Que doivent faire les Congolais ?
L’idéal, dans ces conditions, est d’éviter de légitimer par le vote un pouvoir dont on sait à l’avance qu’il mène un peuple dans des désastres comme l’abandon par l’armée de Goma ou des humiliations nationales comme les pourparlers de Kampala.
L’idéal serait donc de boycotter cette élection si Kabila se représente puisque, raisonnablement, l’après 2016 ne peut être que la reproduction de l’après 2006, le décor régional étant toujours le même (Kagamé au pouvoir à Kigali, Museveni au pouvoir à Kampala et les combattants rwando-ougandais restés libres et prêts à reprendre du service).
L’idée du boycott fait son chemin notamment dans les milieux de la diaspora. Mais elle sera difficile à faire accepter aux acteurs politiques à Kinshasa pour qui la participation aux élections, gagnées ou perdues, est souvent le rêve de toute une vie, et qu’il est hors de question de rater l’occasion qui se présente, quelle qu’elle soit.
Par ailleurs, dans un contexte de crise où les partis politiques sont à court de ressources, les moyens que l’« Oncle Sam » devrait investir dans cette élection ne devraient qu’inciter les "politiciens" à la participation.
Mais pour les Congolais, l’important est d’avoir été prévenus.
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Boniface MUSAVULI
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1] ONANA, Charles, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent, Ed. Duboiris, 2012.
[2] Laisser faire l’armée rwandaise dans l’Est du Congo était, selon Charles Onana, une demande expresse de Javier Solana, le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Union européenne. Lors de l’occupation de Bukavu par les combattants rwandais menés par Laurent Nkunda et Jules Mutebutsi, en juin 2004, le diplomate européen avait téléphoné à Kabila pour lui demander de ne rien faire. Kabila avait accepté de laisser faire en échange de la promesse qu’il serait soutenu par l’Union européenne à la présidentielle de 2006. Voir ONANA, Charles, op. cit., pp. 231-232. Promesse tenue du côté de Bruxelles et silence radio sur le sort des victimes. Selon une ONG locale, durant l’occupation de Bukavu, 294 femmes avaient été violées et 359 personnes avaient été tuées.
[3] Selon les prédictions et les révélations du Professeur Jef Maton de l’Université de Gand, les experts du Pentagone tablaient, bien avant août 1996, sur trois scenarios devant mener au démembrement du Congo : Scénario de la "dérive autarcique", Scénario de "l’implosion-disparition"et Scénario de "l’explosion-réduction". Cf. Shoyaka-Djésa, Joseph, « Le projet de démembrement du Congo et de rattachement du Kivu au Ruanda », < http://www.congonline.com/Forum1/Fo... ;
[4] Schneider, Frédéric, « Les Etats-Unis doublent leur présence militaire en Ouganda contre la LRA », < http://www.afrik.com/les-etats-unis...)>[5] “US transports Rwandan soldiers into CAR”, < http://www.dvidshub.net/image/11526... ;
[6] « … le général Laurent Nkunda, ancien président du CNDP visé par des sanctions internationales, prête conseil aux commandants du M23 et s’occupe de recruter des hommes au Rwanda pour le compte du Mouvement. » Cf. Rapport du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2012/843, du 15 novembre 2012, p. 13.
[7] « Des officiers du M23 ont déclaré que, malgré l’interdiction de voyager, Nkunda s’est rendu au camp militaire du M23 à Runyonyi pour y encourager les officiers qui lui sont loyaux. » Cf. Rapport du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, op. cit., p. 14.
[8] Pour faciliter la victoire des FARDC (armée congolaise) sur le M23, le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et le ministre britannique des affaires étrangères, William Hague, avaient téléphoné au Président rwandais Paul Kagamé pour lui demander de retirer son soutien au M23. Cf. Pflanz, Mike et Blair, David, « DR Congo : M23 rebels close to defeat after US and Britain urge Rwanda to stay out », The Telegraph du 31 octobre 2013, < http://www.telegraph.co.uk/news/wor... ;
[9] Selon la journaliste belge Collette Braeckman, l’ordre de battre en retraite à Goma avait été donné par le général Didier Etumba, Chef d’Etat-major des FARDC.
[10] Voir Onana, Charles, plus haut.[11] Wondo, Jean-Jacques, Les armées au Congo – Radioscopie de la Force Publique aux FARDC, Ed. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Saint-Légier (Suisse), Avril 2013, pp. 239 et svts.
[12] « RDC : des militaires ougandais font une incursion à Mahagi »,
< http://radiookapi.net/actualite/201... ;
[13] « … ce n'est pas une bonne pratique de modifier la Constitution simplement pour le bénéfice de celui ou de ceux qui sont au pouvoir. » Russ Feingold sur RFI lundi 24 mars 2014. Cf. http://www.rfi.fr/emission/20140324...
[14] « Présidentielle en RDC : à Kingakati, Kabila évoque l'option d'un suffrage indirect dès 2015 », Jeune Afrique du 21 mars 2014, < http://www.jeuneafrique.com/Article... ;
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