samedi 8 novembre 2014

Burkina : les langues se délient à Ziniaré, la ville du "beau Blaise"

08/11/2014

 
Blaise Compaoré à Ouagadougou, le 23 janvier 2013. © AFP

"C'était notre frère, on ne sait pas ce qui va arriver", confie un jeune vendeur de bicyclettes à Ziniaré, la ville natale du président burkinabé déchu Blaise Compaoré. Mais tout le monde ne regrette pas "l'enfant du pays".

L'incrédulité et la peur face à des événements sans précédent ont d'abord submergé les habitants de la ville, située à une quarantaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou, quand des émeutes ont renversé "le beau Blaise" il y a une semaine.

Si de nombreux habitants, déçus ou craintifs, préfèrent ne pas parler aux journalistes, les langues commencent cependant à se délier pour dénoncer le clanisme familial de l'ancien président dans sa ville.

"Ici, il ne s'est rien passé", déclare Nathalie, qui pousse une charrette à bras, sa petite Emmanuella, un an, accrochée au dos.
Sollicité par l'AFP, un homme à la longue barbe intrigué par la présence d'une caméra répond "non merci".

"Je ne parle pas français. Mais tout ce que je veux, c'est la paix", explique dans une syntaxe parfaite une salariée d'un cybercafé, tout en regardant un film américain doublé dans la langue de Molière.

Pas de traitement de faveur

Quelques jeunes hommes finissent tout de même par se laisser interviewer. Tous ou presque se disent pro-Compaoré, à l'inverse de leurs cousins de Ouagadougou, dont beaucoup réclamaient le départ de l'ex-chef de l'Etat. L'impression d'une expression moins libre qu'ailleurs domine.

Depuis 27 ans, les quelques dizaines de milliers d'habitants de Ziniaré célèbrent "leur" président, qui y vit le jour le 3 février 1951. La commune, tout en longueur, affiche pourtant un dénuement certain.

La ville compte de nombreuses maisons en terre détruites. Si le raccordement à l'électricité et l'adduction d'eau courante sont devenus une réalité, la plupart des rues demeurent en latérite. Le goudron n'atteint même pas les immeubles administratifs flambant neufs.

Blaise Compaoré "a traité sa localité comme les autres, sans favoritisme. Il n'y a pas eu d'effort particulier", observe Ousmane Lengané, un fonctionnaire et militant associatif. 

De rares zones d'opulence font exception. A la sortie de la commune, une grande rue bordée de lampadaires blancs à têtes bleues mène à la résidence du chef, bordée par un parc animalier. L'accès y est interdit.

Antoinette, 'cette illettrée'

Près de là, un bâtiment massif est en chantier, entouré d'une douzaine de cases arrondies. Les gardiens deviennent fébriles quand on s'en approche. 

"François (Compaoré, le frère du président) voulait faire un hôtel. Il a aussi une immense résidence" à proximité, explique Juliette Congo, une ancienne conseillère régionale du pouvoir passée dans l'opposition.

L'hôtel appartient à des "opérateurs économiques", objecte le maire, Jean-Marie Ouédraogo. Dans le centre-ville, une grande bâtisse rose entourée d'un haut mur saumon frappe le regard. 

La "maison d'Antoinette", bâtie selon l'édile sur la cour de la famille Compaoré, tranche nettement par son luxe avec la modestie des constructions voisines.

Antoinette Compaoré, soeur de Blaise mais seulement deuxième adjointe au maire depuis deux décennies parce qu'elle "n'avait pas le niveau" d'études requis pour diriger officiellement la ville, selon Juliette Congo, donnait pourtant le tempo à Ziniaré. 

"On ne pouvait pas décider sans elle", note un observateur local, qui préfère garder l'anonymat. "Ici, la +démocratie+ était entre les mains de ceux qui décident. Les autres étaient obligés de suivre".

"Même les gens voulant devenir ministre devaient venir lécher les bottes de cette illettrée", enrage Mme Congo, dénonçant un "pouvoir familial". 

Le système Compaoré, légitimé par la présence du frère aîné au pouvoir, s'imposait à tous. La plupart des habitants de la ville, peu éduqués, y voyaient un motif de fierté et l'espoir d'un retour financier, analyse un journaliste.

Mais le doute n'a pas épargné Ziniaré quand la contestation s'amplifiait au niveau national. Crime de lèse-majesté, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), un nouveau parti d'opposition, s'est installé en janvier au berceau des Compaoré.

Le 28 octobre, alors que des centaines de milliers de Burkinabè défilaient dans la capitale, quelques dizaines de sympathisants du MPP marchaient calmement dans la ville. 

Lorsque le président a démissionné le 31 octobre, la population a eu "une peur bleue" que les protestataires de la capitale viennent détruire Ziniaré, selon son maire, ce que confirment tous les habitants rencontrés.

Mais la vie a repris son cours à Ziniaré, sans le fils du pays à la tête du Burkina.
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AFP
Jeune Afrique

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