vendredi 8 octobre 2010

RDC : L’enfer à Masimanimba

image Masimanimba - Ni homme, ni femme, ni enfant, ni bétail, ni poule, Bukanga Nzadi, est devenu soudain un village fantôme
 

Ni homme, ni femme, ni enfant, ni bétail, ni poule, Bukanga Nzadi, à 4 heures de route de Kinshasa, est devenu soudain un village fantôme. La haine ethnique a fait soudain son énième dégât.
Tous les villageois de la contrée sont unanimes: jamais, ils n’avaient vu ça! Le paisible secteur verdoyant de Kitoy, territoire de Masimanimba, district du Kwilu, province du Bandundu - à quatre heures de route de Kinshasa - abrite toutes les tribus et pas un village n’avait imaginé qu’un jour, un autre village se déferlerait sur lui muni d’armes à feu, de machettes et de bidons d’essence.
Objectif: tuer, rayer de la carte un village voisin. Images de fin du monde dans le village de Bukanga Nzadi peuplé des membres de la tribu Mbala, anéanti par le village voisin de Mbaya peuplé des membres de l’ethnie Yansi.
Depuis quelques années, ils se disputaient une forêt nourricière du nom de Bikuluku arrosée par la petite rivière Nzadi Mwemu qui sépare les deux villages Yansi et Mbala.
Tout récemment, un juge de Masimanimba a estimé devoir rendre justice en reconnaissant Bikuluku propriété ancestrale des Mbala de Bukanga Nzadi, du nom de la petite rivière Nzadi Mwewu qui baigne la forêt.
Les Yansi sont aussitôt entrés en furie. Ont décidé de se faire justice eux-mêmes en se reconnaissant des droits. Résultat: l’Apocalypse sur le village de Bukanga Nzadi.
Au petit matin de la nuit de mardi 28 à mercredi 29 septembre, armés de fusils et de machettes, bandés sur le front comme de guerriers d’un tissu rouge, les jeunes Yansi ont dévalé la montagne, traversé la petite rivière Nzadi Mwemu, remonté jusqu’au village Mbala de Bukanga Nzadi.
Ce fut comme dans un film western: le sauve-qui-peut général dans le village Mbala. Ceux qui ne pouvaient courir et qui avaient pu être attrapés par leurs poursuivants étaient tailladés, égorgés ou poussés dans les maisons ensuite refermées au moment même où d’autres jeunes aspergeaient les maisons d’essence avant de mettre le feu.
Au petit matin, tout le village ressemblait à une boule de feu, du bétail du village Bukanga Nzadi transporté sur l’autre rive de Nzadi Mwemu. Si des habitants ont eu la vie sauve, ils se sont réfugiés dans la forêt avant de passer à la nage la rivière Inzia ou Luie non loin de la cité de Dunda pour trouver asile dans des villages de Kolokoso, district de Kwango.
Au matin, une femme revenait de la forêt en découvrant un village fantôme.
Elle ne sait pas ce qui est arrivé au village.
Prise par surprise par ce gang alors qu’elle demandait de savoir, elle est hachée, saucissonnée, jetée sur le brasier. Son mari, un agent de la Croix-Rouge qui vivait dans le village voisin de Kina Kaboba a l’air hébété.
Il cherche dans la cendre encore fumante des restes de sa femme, ramasse trois restes humains qui n’ont pu se consumer, puis des morceaux du tissu imprimé qu’il reconnaît comme celui qu’elle portait à l’heure du supplice. Une autre a su courir plus vite que son mari souffrant d’un handicap. L’homme a reçu un coup de machette.

OU SONT LES HABITANTS DE BUKANGA NZADI?

«D’un coup de machette, on lui a tranché la tête. Il est tombé...», explique la femme. Yeux hagards, elle brandit ses membres par où des coups de machettes sont passés.
Où sont les habitants de Bukanga Nzadi? Seul le chef Kiwolo erre entre les brasiers et sur ses morts et sert de guide. Resté miraculeusement en vie, il veut être digne en refusant de quitter sa terre.
Ceux qui accourent et bientôt nous encerclent crient vengeance.
Ils viennent des villages Mbala voisins: Kina Kaboba, Kundia, Mundonda, Dunda, etc. La rage se lit sur tous les visages, des anciens comme des jeunes, garçons et filles.
Avec force détails, ils accusent. Ils connaissent les assaillants Yansi, expliquent que le village Yansi fortuné compte 50 armes à feu, que ces Yansi se sont désormais tapis dans la forêt d’où ils guettent le moindre pas d’un Mbala à qui ils interdisent l’accès à Bikuluku. Depuis cette tragédie, aucun homme, aucune femme d’un village Mbala n’est allé en forêt. Personne ne veut faire une mauvaise rencontre.
Bikuluku qui abrite tout: les plantations de Mbwengi (une espèce de haricot grain), les étangs où est planté le tilapia, la source d’eau, etc.Sans Bikuluku, aucune vie alentour n’est plus possible.
À la délégation venue de Kinshasa conduite par l’Hon. Tryphon Kin-kiey Mulumba, qui a été rejointe par une autre arrivée de Kikwit et qui compte le Député provincial Louison Kasende (élu MLC de Kikwit) et le ministre (Forces du Futur) provincial de l’Intérieur et de l’Ordre, Jean-Pierre Ndongo, des chefs de la police, les villageois réclament l’effacement du village Yansi qui a effacé le village Mbala. Ils assurent qu’aucune paix ne sera possible tant que les Yansi de Mbaya n’auront pas quitté la contrée, que toute hypothèse de réconciliation est à écarter. Ils veulent ou le désarmement des Yansi ou l’armement des Mbala.
Ils savent que réconciliation rime avec justice. L’administrateure du territoire Anne Mbunsu a pris à cœur le couple urgence justice- réconciliation.
Quelques jeunes Yansi s’entassent déjà dans ce qui sert de prison à Kitoy, le chef lieu du secteur, à deux heures de marche.

Ces personnes qui ont tout perdu ont besoin de la solidarité humaine

Ils sont entre 500 et 600 hommes, femmes et enfants du village Bukanga Nzadi. Personne ne le voit mais des villageois des villages environnants assurent: ils ont pris le chemin de la forêt ou se sont réfugiés dans des villages Mbala voisins.
Ils ne mouraient jamais de faim, ils avaient tout: leurs plantations, leurs étangs poissonneux. Aujourd’hui, ils ne savent ni quoi manger, ni où dormir alors que la saison des pluies fait rage.
Certains portent des blessures qui doivent être soignées. Il leur faut de toute urgence des tentes, des matelas, des couvertures, de la nourriture, des habits, etc. Certes, trois jours après la tragédie, le gouvernement provincial a dépêché sur place son ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité là où on attendait son homologue des Affaires sociales et humanitaires.
«Nous ne produisons rien; nous ne vivons que des taxes: 200 FC sur chaque sac de manioc produit, cela ne nous permet ni de vivre, ni de secourir notre population en détresse». Le ministre est venu avec un petit contingent d’éléments de la police anti-émeute arrivés de la grande cité de Kikwit, à deux heures de route.

DES JEUNES GUERRIERS.

Avant d’avouer humblement. «Nous ne leur avons rien donné, nous n’avons rien. Essayez de les prendre en charge, donnez leur de la nourriture. Ils sont ici pour quelques jours encore, le temps de sécuriser les villages...»
En clair, c’est sur la bête que ces policiers vont se nourrir...
Mais comment les villageois vont-ils faire, eux qui ont tout perdu?
Quatre paquets de FC laissés au chef du village de Bukanga Nzadi par l’Hon. Tryphon Kin-kiey Mulumba sont à la base d’un début d’émeute. Tous se jettent sur le vieil homme qui perd l’essentiel du don. Signe que la misère est désormais profonde ici. De l’autre côté du village de Mbaya, les jeunes gens du clan de Muzama portent des noms de chefs de guerre: «Nkundabatware», «le roi des bêtes», etc. Ils ont très bonne mine. Le véhicule d’un commerçant venu de Kinshasa entasse le contenu de la production du jour, des dollars changent de mains. On sent des signes de prospérité.
En l’absence du chef du village Emmanuel Kipungu introuvable au village, quand on pose la question de savoir comment en sont-ils arrivés à cela, s’ils savent qu’ils ont rayé un village de la carte et fait usage d’armes à feu sur des humains, et qu’ils ont commis un crime, ils ne s’en montrent pas affectés.
Impassibles, ils expliquent l’origine du conflit, comment le chef Mbala de Bukanga Nzadi s’est permis de vendre des espaces de terre à d’autres villages. Ce qu’il n’aurait jamais dû faire. La question est quatre fois posée, ces jeunes gros bras méfiants ne bronchent pas. Ils préfèrent montrer qu’ils ont des droits à faire valoir.
Peu avant, nul ne s’imaginait qu’une délégation venue de Kinshasa aurait pu faire son entrée dans ce village. «Ils vont faire usage d’armes à feu pour sortir du village qui ils veulent», raconte-t-on dans des villages voisins. Le Député Tryphon Kin-kiey Mulumba a fait son entrée dans ce village peu après 7 heures du matin. Ils l’ont reconnu et se mettent à chanter.
«Je suis bien sûr des vôtres, je ne suis venu arrêter personne. Cela n’est pas de mon ressort. Tout celui qui aura été reconnu d’avoir perpétré un crime le paiera. La justice est lente mais elle agit. Aujourd’hui, je veux savoir comment faire revenir la paix entre les miens», explique-t-il.
Certains jeunes bien assis sur leurs chaises de bois n’ont pas prononcé un seul mot. Ils sont restés méfiants. Peut-être sont-ils parmi les planificateurs ou les exécutants. Qu’importe, l’essentiel est de passer le message.
«Avant d’aller à Bukanga voir l’étendue de la tragédie que vous avez perpétrée, on est passé ici et avions promis de revenir pour parler et avoir notre déjeuner. Depuis, personne n’a le cœur à prendre un repas ici», leur dit le Député. Eux, ils avaient compris. Ils ont attrapé une chèvre sans l’abattre.
En secret, ils la remettent à la suite... On ne sait jamais!

L’absence d’État est trop criant, les gens veulent se rendre justice

Tout récemment, le garde des Sceaux de la R-dC, Luzolo Bambi Lessa tonnait fort et dénonçait les larmes des crocodiles des Occidentaux quand il s’agit de la R-dC.
«Ils ne cessent de nous donner des leçons sur l’État de droit; ils ne cessent de pérorer sur les droits de l’homme. Mais l’aide à la justice est la plus insignifiante et la plus ridicule qui soit», déclarait en substance le ministre dénonçant cette duplicité lors d’une conférence de presse fortement médiatisée dans la Capitale. Qui d’autre que lui pouvait nous dire en l’espèce pareille chose?
Il faut pourtant relativiser. On sait ce que les chancelleries n’ont eu de cesse de nous dire et de nous rappeler depuis de longues années déjà - le Député UCRJ Joseph N’singa Udjuu Ongwwankebi Untube était alors ministre de la Justice. Elles nous appellent à sauver notre appareil judiciaire, à reconstruire la police, fondement d’un État véritable. Et on parle désormais d’une police de proximité... L’Europol a débarqué à Kinshasa pour cela. Et tant mieux!
En clair, le pays doit lui-même penser (définir) sa politique en matière de justice et en matière de police et dégager dans ses différents budgets des moyens conséquents mis au chantier de construction de l’appareil judicaire et, donc, de la police.
Un pays n’est semble-t-il un pays que lorsqu’une police digne de ce nom existe et fonctionne, lorsque le système judiciaire existe et fonctionne...
Or, à quoi assistons-nous désormais en R-dC? Rien moins qu’à l’absence criante de l’État, rien moins qu’à l’absence criante d’Etat.
Jadis observées et déplorées dans les agglomérations urbaines du fait de la concentration et de la mixité des populations et des intérêts, du fait aussi de la pauvreté et de la misère qui frappent nos villes et cités, les descentes punitives se transfèrent aujourd’hui dans l’arrière-pays. Les faits qui étaient légions dans les provinces orientales de notre pays dévastées par des guerres étrangères arrivent désormais dans nos provinces pacifistes et pacifiques de l’Ouest. Voici donc que des actes barbares déferlent sur notre pays, et quasiment à travers tout le pays.

DE CE POINT DE VUE AU MOINS, LE PAYS A RECULÉ.

Qu’un matin, un village pour défendre ses droits qu’il estime lésés, se déverse sur un autre pour l’effacer physiquement de la carte et parvienne effectivement à l’effacer de la carte en en incendiant les maisons - toutes les maisons du village - et en y laissant la mort, voilà une abomination qu’un État ne devrait sans doute pas connaître, cinquante ans après l’indépendance. Voici qui montre que notre pays a sans doute marché - à ce jour au moins dans ce cas - à reculons.
Face à de criants dysfonctionnements ou à l’absence d’un réel pouvoir d’État, nos populations ont du mal à accepter l’État et préfèrent recourir à elles-mêmes pour résoudre les conflits. Cette pente est extrêmement dangereuse...
Lors d’une réunion dans le village de Mbaya, secteur de Kitoy, territoire de Masimanimba accusé d’avoir semé mort et désolation dans le village voisin de Bukanga Nzadi, le ministre provincial de l’Intérieur et de la Sécurité Jean-Pierre Ndongo a expliqué que les conflits de terre font partie des dossiers qui occupent le plus les magistrats dans certains territoires du Bandundu, dans le Kwilu. Il s’agit des territoires de Gungu, d’Idiofa et de Masimanimba.
On pensait pourtant ces dossiers courants plutôt en province du Bas-Congo et dans les Kasaï...
Mais si ces dossiers occupent tant nos cours et tribunaux, qu’est-ce que l’État a-t-il à ce jour fait pour ne serait-ce qu’aborder ces questions qui enveniment la cohabitation dans nos provinces? Quelle politique forte est mise en place pour faire connaître à chacun ses droits et ses devoirs?
En abandonnant les populations à elles-mêmes, ne les pousse-t-on pas à se rendre justice elles-mêmes et à faire que n’auront raison que les parties qui auront fait usage de la force, généralement de la force des armes?
Parlant de la police, de la justice et, par ricochet, des services de sécurité ou de renseignement, il faut penser à l’état auquel ces services de l’Etat sont réduits?
À Mbaya, village du secteur de Kitoy, face à la tragédie humanitaire, le ministre provincial de l’Intérieur qui y a laissé quelques éléments de police pour éviter un nouveau développement, n’a laissé sur place ni un biscuit à la population, ni - c’est plus tragique - une petite trousse de campagne pour chacun des agents de police déployés. Une trousse faite généralement de vivres les plus élémentaires pour le temps que la police y resterait, et tout ce dont les agents de l’ordre auraient besoin (une petite tente, une couverture, le petit rien des toilettes, etc.).

UN AVENIR COMMUN DÉJÀ SÉRIEUSEMENT HYPOTHÉQUÉ.

Au contraire, Jean-Pierre Ndongo qui a exposé au détail l’état de pauvreté dans lequel gît son gouvernement (qui vit des taxes prélevées auprès des paysans sur des sacs de cossettes de manioc achetées) a appelé les villageois à prendre soin des agents en leur venant en aide par une prise en charge totale: les nourrir, leur donner un coin où dormir, et... tout le reste! Une population déjà tragiquement meurtrie!
C’est ce même paradoxe que vit le système judiciaire national. Déjà cruellement dépourvu d’hommes maîtrisant l’art et la manière de dire le droit (en l’espèce le droit coutumier: quel peuple, quel village vient d’où et quand? Que dit l’histoire de chacun? Quels témoignages récoltés et auprès de qui de neutre?), voilà que pour un tant soit peu exister physiquement, nos juges grands et petits vivent, mieux, sont contraints de vivre sur le dos des justifiables.
Le dernier documentaire Kafka au Congo du journaliste Arnauld Zajtman et de sa collègue Marlène Rabaud coproduit par la Rtbf et diffusée par de nombreuses chaînes de télévision à l’étranger en dit long sur le chemin de croix d’un (plutôt d’une) justifiable de R-dC contrainte de payer elle-même les déplacements pour raisons d’enquête des juges et, sans doute, n’ayant pas assez donné ou mal donné aux magistrats, a perdu un procès trop facile sous prétexte qu’elle aurait pu trouver un avocat au lieu de plaider sa cause elle-même!
Il est vrai que la pauvre dame a eu affaire à plus fort qu’elle, qui a mobilisé une batterie d’avocats et..., tout le reste.
Et si notre gouvernement ne prend pas conscience de ses responsabilités en mettant le cap sur, sinon le redressement, du moins la construction du système judiciaire national et, par conséquent de l’État de droit, il y a fort à craindre pour l’avenir de ce pays déjà sérieusement hypothéqué par diverses convoitises. Ce qui se passe au Bas Congo comme à Kahemba dans le Bandundu comme en Ituri en province Orientale, pourquoi pas dans les Kivu devrait déjà interpeller l’homme public.
Si notre pays post conflit n’a pas les moyens de faire face à certaines de ses responsabilités, il n’y a aucune honte à s’adresser à l’assistance internationale qui ne demande que cela. Bien entendu que cela suppose que pour le pays, les choses soient déjà assez claires; qu’une feuille de route (un Plan de gouvernance globale) ait été conçue voire validée.
À l’échelle internationale, l’argent est le fonds qui manque le moins. A condition - c’est ce que le ministre Luzolo Bambi Lessa a feint d’ignorer dans son coup de gueule - d’être en odeur de sainteté avec cette communauté financière internationale. C’est vrai qu’entre elle et nous, les choses sont loin présentement d’être au beau fixe.
(Lesoft)

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