samedi 20 novembre 2010

CEPGL : Démocrature et assassinats politiques

Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas encore, la Communauté économique des Pays des Grands Lacs, CEPGL en sigle, est constituée de trois ex-colonies africaines de la Belgique, à savoir le Burundi, la République démocratique du Congo et le Rwanda.
À l’image de nombreux pays africains, ces trois ex-colonies belges ont accédé à l’indépendance en 1960. Mais les colons belges, qui ne pensaient pas vraiment abandonner leur chasse gardée à cette époque, y ont partout semé les graines de la haine ethnique avant leur départ forcé. C’est ainsi que, depuis 1960, l’histoire politique de ces trois pays est ponctuée par des conflits, sinon des guerres ethniques et des massacres à grandes échelles, avec comme point culminant le génocide rwandais de 1994.Pendant plus de trois décennies, ces trois pays ont aussi connu des dictatures à parti unique ou Parti-État. Mais depuis quelques années (2003 au Rwanda, 2005 au Burundi et 2006 en RD Congo), la CEPGL vit sous une autre forme de gouvernance, à savoir la démocrature. Ce mot est un néologisme formé à partir des mots démocratie et dictature. Il y a donc démocrature quand des dictateurs sont légitimés par des élections soi-disant démocratiques, mais gagnées, dans les faits par le bourrage des urnes. Le plus souvent (et ce fut le cas du Rwanda en 2003, du Burundi en 2005 et de la RDC en 2006), ces élections sont couvertes et légitimées par des observateurs occidentaux originaires des pays soutenant les régimes en place dans les trois États en question. Examinons en détail la situation qui prévaut actuellement dans chacun de ces trois pays.Au Burundi, depuis l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD en 2005, la majorité hutu qui pensait avoir mis fin au pouvoir de la minorité tutsi est complètement désillusionnée. Aussitôt installé à la tête de l'État, le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza a vite compris que la menace à son pouvoir ne viendrait plus des Tutsi, profondément divisés et affaiblis politiquement après les élections, mais plutôt des deux partis hutus rivaux du FRODEBU et du FNL. C’est ainsi qu’une stratégie d’affaiblissement et d’intimidation de ces deux groupes fut mise en place. Plusieurs membres du FRODEBU et du FNL furent emprisonnés sans motif valable et d’autres assassinés, sans compter ceux qui ont dû prendre le chemin de l’exil. Même l’ancien président de la transition et leader du FRODEBU, Ndayizeye, a dû passer quelques mois en prison, sous le prétexte fallacieux de complot contre la sécurité nationale. Au sein même du CNDD-FDD, les grosses têtes du parti sont tombées en disgrâce : l’ancien homme fort et secrétaire général, Rajabu, a été arrêté et continue, jusqu’à ce jour, à croupir dans la très tristement célèbre prison d'Impimba.La population hutue commence à se rendre compte de la vraie nature du pouvoir. Contrairement, à ce que certains de ses leaders lui avaient toujours fait croire pendant le règne tutsi, le pouvoir n’est pas l'affaire d’un groupe ethnique en général, mais plutôt celle d’un groupe spécifique qui le détient et qui veut le garder le plus longtemps possible. Rappelons ici que depuis le renversement de la monarchie tutsi en 1995, le pouvoir au Burundi était détenu par la classe militaire hima de Bururi (de Micombero à Buyoya, en passant par Bagaza), et non pas par l'ensemble des Tutsis.
Conformément à la constitution burundaise, des élections générales (présidentielles, législatives et communales) devaient être organisées au milieu de l'année 2010. Les premières à avoir lieu ont été les communales qui se sont soldées par une « victoire » du CNDD-FDD, mais elles ont été très vite contestées par l’ensemble de l’opposition. Cette dernière avait alors exigé l’annulation pure et simple de ces élections jugées truquées, mais le pouvoir en place y avait opposé un refus catégorique. Et face à ce blocage, l’opposition s’était retirée des élections présidentielles qui viennent d’être « remportées », avec un score à la soviétique (plus de 90%), par le président sortant, Pierre NKurunziza, qui était le seul candidat en liste. Le CNDD-FDD prépare actuellement la tenue d'élections législatives, encore une fois boycottées par l’ensemble de l’opposition. Bref, le Burundi sera bientôt dirigé à tous les échelons par le CNDD-FDD. Beau retour à l’époque du parti-État.
Chez le grand voisin congolais, la situation n’est guère meilleure. En effet, depuis les élections de 2006, « gagnées » dans des conditions douteuses, mais validées par les parrains occidentaux et régionaux, et la neutralisation politique du principal opposant, Jean-Pierre Bemba (arrêté et détenu arbitrairement par la CPI), le président Joseph Kabila et son PPRD règnent sans partage sur le paysage politique de la RD Congo.
Pendant plusieurs années, on avait laissé croire aux gens que les viols et les assassinats étaient l’œuvre des seuls groupes armés étrangers et congolais. Mais, depuis un certain temps, la vérité est bien connue de tout le monde (l’ONU et les ONG des droits humains en tête) : le régime Kabila, notamment son armée et ses services de sécurité, ainsi que de renseignement, sont responsables des crimes (viols et assassinats) commis contre la population civile au même titre que les FDLR et le LRA.
Si la plupart de ces crimes furent commis pendant les opérations militaires dans l’est et le nord-est du Congo, on a aussi des exemples d’assassinats ciblés qui ont été recensés dans les  grandes villes. D’abord à Bukavu où plusieurs journalistes ont été assassinés par des hommes en uniforme : le cas le plus connu étant celui du journaliste, Serge Maheshe, de Radio Okapi. Ensuite, ce fut le tour de Goma où l’homme d’affaires Albert Ngezayo Prigogine, fut abattu en plein jour aux abords de la résidence officielle du gouverneur du Nord-Kivu, encore une fois par des hommes en uniforme. Plus tard, des témoins donneront des détails en ce qui concerne la planification, l’exécution ainsi que l’implication personnelle du gouverneur du Nord-Kivu dans ce meurtre. Plus récemment (juin dernier), c’est l’assassinat du président de l’ONG La Voix des sans voix, Floribert Chebeya, par les éléments de la police nationale à Kinshasa (http://www.updcongo.com/2010/06/le-defenseur-des-droits-de-l%E2%80%99homme-floribert-chebeya-assassine/).
Pendant ce temps au Rwanda, il vaut mieux ne pas être étiqueté comme opposant des Afande de Kigali. En effet, depuis le début de l'année, le pays de Mille Collines vit au rythme successif des attentats à la grenade, des défections au sein de l’armée, des arrestations, de la suspension de certains journaux locaux et des assassinats. Et au fur et à mesure que la période des élections présidentielles approche, la situation politique devient de plus en plus imprévisible.
Au départ, le pouvoir avait accusé les miliciens FDLR d’être responsables de ces actes criminels et affirmé avoir arrêté certains des auteurs. Mais, quelques mois plus tard, les exilés politiques (notamment le général Kayumba et le colonel Karegeya) étaient aussi associés à ces attentats à la grenade survenus à Kigali; ce que les deux anciens officiers ont par la suite nié catégoriquement. Certaines sources vont jusqu’à affirmer que ces attentats à la grenade seraient plutôt l’œuvre des services de renseignement militaire rwandais qui chercheraient à trouver un bon prétexte pour bien museler l’opposition à l’approche des élections présidentielles prévues en août 2010.
Il faut bien reconnaître que l’opposition politique au Rwanda ne pèse pas grand-chose face à la machine très bien huilée du tout puissant FRP. Depuis quelques mois une dame hutue, Victoire Ingabire, revenue d’exil en Hollande, fait parler d’elle à plusieurs titres : premièrement, elle utilise un discours négationniste et ethniste ; deuxièmement, elle est actuellement poursuivie en justice et même son avocat américain, bien connu pour son propre révisionnisme du génocide rwandais, s'est retrouvé (pendant un certain temps) en prison à Kigali. Son parti politique n’a pas non plus été agréé par le gouvernement.
Certains journaux qui étaient devenus très critiques face au pouvoir ont vu leurs publications suspendues pour au moins six mois, c’est le cas notamment du journal Umuseso (l’Aurore).
Ce qui est particulièrement inquiétant en ce moment au Rwanda tient principalement à deux éléments :
Les divisions profondes au sein de la hiérarchie militaire Baganda (anciens réfugiés en Ouganda). Longtemps considéré comme un groupe uni et déterminé à conserver les leviers du pouvoir pour lui-même, les dissensions au sein de la classe militaire baganda ont éclaté au grand jour après la fuite du général Kayumba vers l’Afrique du Sud, suivi par l’arrestation de plusieurs officiers supérieurs. Selon des sources généralement bien informées, la majorité des officiers supérieurs baganda serait du côté du général Kayumba Nyamwasa ;
Les assassinats répétés et les tentatives d’assassinats. Il n’est un secret pour personne que les autorités sud-africaines ont pointé du doigt Kigali comme étant responsable de la tentative d’assassinat contre le général Kayumba. En dépit des démentis officiels et des protestations diplomatiques, Pretoria n’a pas changé d’avis jusqu’à ce jour. Un journaliste rwandais qui avait mis en cause le pouvoir dans ce coup tordu manqué en Afrique du Sud fut assassiné par des inconnus devant son domicile quelques jours à peine après la publication de son article. Le 14 juillet, le corps de Monsieur André Kagwa Rwisereka, le premier vice-président du Parti démocratique vert du Rwanda, était retrouvé dans un marais avec la tête presque complètement séparée du corps (http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20100714154646/opposition-rwanda-deces-assassinatle-numero-deux-d-un-parti-d-opposition-retrouve-assassine.html). Ce type de crime barbare vient nous rappeler l’assassinat d’un exilé tutsi congolais, Denis Semadwinga (http://congosiasa.blogspot.com/2010/06/murder-of-denis-ntare-semadwinga.html), à Gisenyi au mois de juin. Selon les informations recueillies sur place, un commando de 8 assassins s’était présenté à la résidence de Monsieur Semadwinga vers 20 h au moment où ce dernier suivait à la télévision un match de la coupe du monde de football en Afrique du Sud. Ces criminels lui ont d’abord ouvert le ventre à l’aide d’une baïonnette, et ensuite lui ont complètement tranché la tête, avant de disparaitre tranquillement dans la « nature » sécurisée de la petite ville de Gisenyi. Soulignons aussi que d’autres Tutsi congolais ont été arrêtés et sont toujours détenus illégalement au Rwanda. C’est le cas du général Laurent Nkunda et du colonel Jules Mutebutsi qui croupissent dans des résidences surveillées (ou Safe houses), et du député national Dunia  Bakarani qui est maintenant emprisonné depuis bientôt un an, en dépit de toutes les interventions du parlement congolais.
 
La vraie question qui mérite donc d’être posée, après lecture du sombre tableau dans ces pays, est celle de savoir où va finalement la CEPGL. Wait and see.
La rédaction

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