samedi 13 novembre 2010

La RDC, démocrature en route vers la « voyoucratie » ?

Le torchon brûle, semble-t-il, entre la Parlement et gouvernement de la RDC, plus précisément entre Evariste Boshab (PPRD), président de la Chambre, et Adolphe Muzito (PALU), Premier Ministre. En cause, le désengagement de l’Etat dans certaines entreprises publiques, qui fait l’objet d’une Commission présidée par le député Babala (MLC). Le rapport de la Commission Babala est fin prêt et devrait donc être dicuté, ce pourquoi le gouvernement se fait tirer ‘oreille.

Le rapport de cette Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sera porté, la semaine prochaine, à la connaissance de la plénière de la Chambre basse du Parlement. Si les conclusions tardent encore à filtrer, des indiscrétions laissent entendre que des sanctions sont en vue à l’encontre de la ministre du Portefeuille, Jeanine Mabunda. La Commission lui reproche de n’avoir pas répondu, trois fois de suite, à ses invitations, dans le but d’éclairer sa religion sur la transformation et/ou le désengagement de six entreprises publiques. Cette attitude, laisse-t-on entendre, constitue un outrage au Règlement intérieur de cette institution nationale. La Commission Babala, créée le 15 juin dernier par une résolution de la plénière de l’Assemblée nationale, est censée faire la lumière sur le processus de transformation ou de désengagement de six entreprises publiques, à savoir l’OKIMO, la CINAT, la SONAS, la SNCC, la SOCOPE et la MIBA, eu égard aux prescrits de la loi en vigueur. Les nombreuses correspondances entre le Chef du gouvernement et le speaker de la Chambre basse du Parlement laissent entrevoir que la création de cette Commission a empoisonné les relations entre les deux institutions nationales.
 Pour savourer toutes les finesses de la situation, il faut savoir que Boshab (PPRD) et Muzito ‘PALU), membres de deux partis de la majorité, snt théoriqueent alliés, alors que Babal, MLC, et de l’opposition. Cependant, Boshab condamne la campagne médiatique contre la Commission Babala. Il a très peu apprécié les attaques orchestrées dans les médias contre sa personne, pour empêcher la bonne marche des travaux de la Commission Babala. Evariste Boshab exprime son exaspération, face à une situation «régulière» que le gouvernement veut régler via les médias. Dans une lettre du 21 octobre à Adolphe Muzito dont une copie est parvenue à le presse par un de ces « vents favorables » qui soufflent aussi au Congo, le président de l’Assemblée nationale a exprimé tout son soutien à la Commission Babala, dont la mise sur pied a fait l’objet des contestations de la part de certains membres du gouvernement. Il a exprimé, dans cette missive, de vifs regrets quant à la campagne médiatique «de dénigrement et de désinformation» menée autour de cette Commission et essentiellement orientée contre sa personne. Cette campagne aurait été entreprise «de manière outrageante» par des membres du gouvernement, «au mépris des règles qui président à la collaboration » entre les deux institutions. «J’ose croire que vous mesurez avec moi le degré de dérive de votre Gouvernement qui entretient dans la presse une campagne infeste, ignoble et calomnieuse à l’égard des représentants du peuple pour les empêcher d’accomplir leur charge constitutionnelle», reprend ladite correspondance. «Si l’appel fait à la rue par votre gouvernement est la manière élégante et démocratique d’éviter le contrôle, lorsque l’on gère la chose publique, il vaudrait mieux que le gouvernement obtienne, par le biais de la révision constitutionnelle, la suppression pure et simple de l’Assemblée nationale, autrement le contrôle sera toujours de rigueur», a précisé Evariste Boshab.
Dans une lettre destinée au président de l’Assemblée nationale, Adolphe Muzito avait émis le vœu que la mission de la Commission Babala soit circonscrite sur l’objet de la question orale avec débat que le député MLC avait adressée à la ministre du Portefeuille, à savoir le processus de désengagement à l’OKIMO et à la CINAT. Le chef du gouvernement avait également suggéré à Evariste Boshab «que, dans le cadre des relations de collaboration qui existent entre leurs deux Institutions, le Chef du gouvernement et les ministres compétents soient informés des invitations faites à leurs services ». En réaction à cette correspondance, le président de la Chambre basse a indiqué qu’«il ne s’agit nullement d’une règle de droit, qui obligerait les députés à passer d’abord par les tutelles des entreprises publiques et services publics pour obtenir les informations dont l’Assemblée nationale a besoin. Cela passerait pour une autorisation préalable du gouvernement qui ne figure ni dans la Constitution, ni dans un texte infra-constitutionnel. Si tel était, par impossible le cas, il n’y aurait plus d’Assemblée digne de ce nom». Pour Evariste Boshab, «la mise sur pied de cette Commission d’enquête a bien obéi aux règles en usage à l’Assemblée nationale». «Après analyse, je me dois de relever à votre attention que, indépendamment du fait que l’auteur d’une question orale avec débat, non satisfait de la réponse donnée, peut transformer sa question en une interpellation, le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, en son article 180, ne lie nullement la création d’une Commission d’enquête parlementaire à l’observance de cette procédure». Autrement dit : les reproches que le gouvernement a formulés au bureau Boshab sur la violation de la procédure de création de cette Commission, ne tiennent pas débout. Cette divergence de vue explique-t-elle des entraves à l’enquête parlementaire que la Commission a dernièrement dénoncées? Le moins que l’on puisse dire est que la Commission Babala restera dans les annales de l’Assemblée nationale pour avoir divisé le gouvernement et sa majorité parlementaire. Reste à savoir jusqu’où ira la brouille entre les deux institutions sur cette affaire aux allures inquiétantes.

Toutefois, pour savourer la situation jusqu’à l’ultime bouquet de son assaisonnement, il faut encore tenir compte de la situation d’Evariste Boshab à l’intérieur du PPRD et des circonstances dans lesquelles il est devenu Président de la Chambre. Dans ce poste, il a succédé à Vital Kamerhe, dont l’éviction a eu pour occasion manifeste la pétition Kyaviro contre le « retournement des alliances » dans l’Est, mais come motif profond les conflits internes au sein du PPRD et plus largement de l’AMP entre les « rhinocéros » et les « politiques » modérés. Partisan de la souplesse et de la diplomatie plutôt que de la brutalité musclée, Kamerhe était pour ainsi dire le prototype du politicien dont les « rhinos », de plus en plus dominants, ne voulaient pas. Boshab était alors le n° 1 du PPRD, poste que, contre tous les usages, il a d’ailleurs conservé, même le parti est maintenant souvent représenté par son assistant, Koyagialo. On hissa Boshab au « perchoir » de ‘Assemblée dans le but avoué d’une « remise au pas » par rapport au « laxisme » de Kamerhe, accusé de donner trop la parole à l’opposition. En langage populaire, on allait passer du « Cause toujours… » au « Ferme ta g …! ».
Mis dans la situation où il doit défendre les prérogatives du Parlement en la personne d’un parlementaire de l’opposition, Boshab se trouve un peu dans la position d’un gros chien de garde subitement affublé d’un gros nœud en soie rose et installé sur un coussin comme le toutou favori d’une vieille dame.

Mais ce n’est pas le premier accrochage entre l’Exécutif et le Parlement. En mai 2009, a eu lieu l’épisode mouvementé de la motion de censure contre le Premier Ministre Muzito, accusé d’enrichissement personnel par des méthodes peu orthodoxes.
Dans le courant de l’après-midi du 19 tout le monde est resté perplexe devant l’annonce faite par Radio Okapi : « Au cours d’une courte plénière tenue ce mercredi 19 mai à l’Assemblée nationale, le député de l’opposition François Mwamba a retiré la motion de censure contre le gouvernement Muzito indiquant que les conditions ne sont pas réunies pour l’examiner, sans préciser lesquelles. Consécutivement à cette déclaration, le président de l’Assemblée nationale, Evariste Boshab a levé la séance puisqu’il n’y avait plus matière à discussion ».
Il fallait entendre par là que des militants des partis politiques de la majorité et de l’opposition avaient pris d’assaut le balcon de la salle du Congrès dans un grand vacarme, scandant des slogans favorables ou défavorables au Premier ministre Adolphe Muzito. S’agissait-il seulement de chahut, ou des actes de violence étaient-ils à craindre ? Quelle en aurait été la gravité ? On l’ignore. On parle de dégâts au Palais du Peuple, sans en préciser l’étendue.
« Devant ce spectacle, dit encore RO, Evariste Boshab a sèchement interpellé le Gouvernement. Le président de l’Assemblée nationale a accusé la classe politique congolaise, dont les membres du gouvernement  font partie, d’instrumentaliser les militants des partis politiques ».
Un certain nombre de journaux avancent que l’Opposition aurait recouru à des méthodes pour le moins douteuses pour introduire sa motion. Quelques unes des 215 signatures apparaissaient en effet dueuses, pour ne pas dire fausses. Le chahut aurait simplement servi à François Muamba de prétexte honorable pour retirer la motion sans perdre la face.

Le débat prévu sur la motion de censure contre Muzito a donc fini en queue de poisson. Le retrait par l’opposition de sa motion contre le Premier ministre suscitèrent divers commentaires qui bien sûr ne s’accordaient pas sur la manière dont il fallait l’interpréter. Les uns insistaient sur le fait que le pouvoir est en face d’une opposition dont l’incapacité à jouer son rôle de contrepoids est avérée. Les autres estimaient que le pouvoir a évité la critique sinon par la force, au moins par la menace. Une chose est certaine : éviter un débat ne fait jamais que le reporter, lui donner de l’importance et l’envenimer !
Peu après, l’expression « bras de fer entre l’Assemblée nationale et le gouvernement » apparaît dans la presse. En effet, dit-on, les aiguilles de l’horloge se sont arrêtées au Palais du peuple. A la suite de comportement vandale des militants du Palu qui se sont permis de perturber l’ordre public et le bon déroulement de la séance plénière de l’Assemblée nationale, en plus des voies de fait contre le président de cette institution, il n’y a plus de plénière. « Tant que les dégâts ne seront pas réparés, il n’y aura plus de plénière à l’Assemblée nationale », a lancé Evariste Boshab à l’endroit du Premier ministre, Adolphe Muzito. Vacance parlementaire donc forcée à l’hémicycle du Palais du peuple. Mais jusqu’où irait ce temps mort?
Le Palais du Peuple n’était pas en ruine. L »eût-il été que le Parlement pouvait parfaitement siéger ailleurs, en plein air s’il le faut. L’amour-propre de certains députés et d’Evariste Boshab, en particulier, a sans doute été bien plus froissé encore que leur beau costume, mais on pouvait quand même douter que le Président de la Chambre fasse « pour de vrai » ce genre de crise de nerfs à la façon de Bianca Castafiore. Les travaux parlementaires furent interrompus parce que le Pouvoir jugeait utile de les interrompre. Quant au « pourquoi », sans doute faut-il le chercher dans la liste des travaux interrompus.
On estimait alors notamment que Dovel Pangu, secrétaire permanent du Palu devait s’expliquer sur les incidents survenus au Palais du peuple. Pourquoi s’en prendre au président de l’Assemblée nationale et aux députés qui avaient en main le sort du gouvernement ? Les militants du Palu avaient-ils pour mission d’énerver le président de l’Assemblée nationale pour le soulever contre Muzito et son gouvernement ? Quel est le mot d’ordre que le secrétaire permanent du Palu avait-il donné aux militants envoyés au Palais du peuple ? Si le mot d’ordre n’était pas de bousculer les députés, qui donc a noyauté le Palu ? Autant de questions qui se posaient. (Et pas au seul PALU ? Admettons que celui-ci avait « mis le paquet » puisque l’on fait même état d’un service d’autocars spéciaux destiné à amener ses militants à pied d’œuvre, ce qui a dû lui coûter cher. Il reste que, suivant les premières dépêches ayant relaté les faits, d’autres partis avaient fait venir leur « claque » ou leurs « chahuteurs ».
La motion de censure reposait sur des accusations globales de mauvaise gestion, assorties de l’assertion, dans le chef du PM en personnes, d’actes relevant purement et simplement de la correctionnelle. Le PALU (pour ne rien dire d’autres partis) a recouru à des « manifestants » qui avaient tout l’air d’être là pour une intimidation violente. Ce sont là des faits d’une certaine gravité et dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne font pas partie d’un fonctionnement normal des institutions.
Pour le moment, ce « chahut » constitue le plus fort que l’on ait osé dans le domaine de l’intimidation violente au Parlement national mais quatre mois plus tôt, cette fois dans un Parlement provincial, avait eu lieu  ce que l’on a appelé à l’époque « le tabassage de Lubumbashi ».

Cette fois-là, Kyungu wa Kumwanza, président de l’Assemblée provinciale du Katanga, bloque une motion de défiance, et des députés provinciaux ont été passés à tabac par une « milice privée ».
Tout est parti de la motion du député Monga mettant en cause le questeur de l’Assemblée du Katanga. Motion que Kyungu a refusé d’accepter pour vice de procédure. Quatre députés décident alurs de quitter la salle où se tenait la plénière pour protester. Aussitôt sortis, les quatre députés ont été rattrapés par plusieurs jeunes non autrement identifiés. Monga, député Rcd, a été poignardé. Ce dernier est rentré dans la salle les habits en sang. Tout cela ressemble fort à un tabassage organisé, si pas par Kyungu en personne, du moins par un de ses partisans. Si l’on a les « partisans musclés » qu’il faut sous la main, il suffit d’un SMS pour organiser ce genre de chose : le téléphone potable a encore – c’est le cas de le dire – frappé.

Dès le 30 janvier on apprenait qu’à cause de ces incidents, le siège de l’assemblée provinciale du Katanga serait fermé .Le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité du gouvernement central, Célestin Mbuyu Kabangu vient de décider la fermeture momentanée du siège de l’assemblée provinciale du Katanga. La raison est simple. Permettre à la justice de procéder aux enquêtes sur les troubles survenus jeudi 28 janvier dernier, au cours de la plénière, troubles qui ont débouché sur le passage à tabac de quelques députés provinciaux par un groupe de jeunes gens non identifiés et que d’aucuns ont présenté comme étant à la solde de Gabriel Kyungu.
Et voilà pourquoi votre fille est muette ! On peut se foute du monde, mais il y a de limites. L’agression ne s’est pas produite DANS le bâtiment de l’Assemblée, mais à l’extérieur, alors que les députés qui en ont été victimes avaient quitté la salle en guise On aurait dû être assez rapidement fixé sur  ce point, puisque Mr. Tutu se disai capable de reconnaître l’homme qui l’a blessé… à condition qu’il soit encore dans les parages et que la police veuille bien le trouver. Bien entendu, on n’en a plus jamais entendu parler !

Cet incident à la manière d’Herman Goering rappelle des souvenirs très désagréables. Dés l’Indépendance, les « Jeunesses » des partis politiques ont non seulement parfois fait le coup de poing avec d’autres partis, mais été utilisées parfois sciemment et de manière organisée comme des « milices » dans des opérations de « nettoyage » politico-ethnique.
Kyungu, qui a commencé à faire parler de lui il y a une trentaine d’années pour avoir été avec Tshisekedi l’un des « treize parlementaires » du « Complot de la Saint-Sylvestre », s’est par la suite illustré surtout de plus contestable façon en reprenant le flambeau de la violence dirigée contre les « non-originaires » habitant le Katanga. Il s’agit essentiellement de Kasaïens qui ne méritent plus guère ce nom, n’ayant jamais vu le Kasaï et ne parlant même pas tshiluba. Il y a eu à leur égard, de manière récurrente, de véritables pogromes qui ont fait des morts et déclenché d’importants mouvements de population. Par certains côtés, Katumbi Chapwe et Kyungu wa Kumwanza représentent, le sécessionnisme en moins, la face claire et la face ténébreuse de la politique katangaise, comme Tshombe et Munongo dans les années ’60.
Certes, cette fois, il ne s’agit pas de xénophobie, mais d’intimidation des adversaires politiques. Ce n’est pas plus rassurant. Et cela pose tout de même quelques questions quant à la « Tolérance Zéro ». Pour traquer les « génocidaires » Hutu dans l’Est, on utilise un criminel de guerre, et pour présider l’Assemblée provinciale du Katanga, un organisateur de pogromes… Tout ça fait un peu désordre !

En relatant tous ces événements de l’année 2009, on passe de la campagne médiatique au chahut, de celui-ci à la violence physique. On pourrait toutefois objecter que pour arriver à ce « crescendo », il a fallu prendre le temps à l’envers. Le tabassage de L’shi se situe en janvier 2009, le chahut du Palais du Peuple, en mai, et les récriminations de Boshab quant à une campagne médiatique, en octobre. Dans les faits, la violence serait donc décroissante et non croissante. C’est une objection que l’on rencontre toujours. 
La « démocrature » pose souvent la question de distinguer l’aurore et le crépuscule…
Quand on vous montre une photo où le ciel est rouge, jaune et orange, le soleil bas sur l’horizon et les ombres allongées, vous devinez aisément qu’elle a été prise à la limite du jour et de la nuit mais, si vous ne connaissez pas l’endroit, il ne vous est guère possible de savoir si ce cliché a été pris au lever ou au coucher du soleil… Certaines nouvelles d’Afrique, en particulier du Congo, sont un peu comme ces photos.

Le terme ironique de « démocrature » a fait son apparition sur les sites « black » durant la période où, un peu partout en Afrique, c’était la saison des « transitions »… Il s’agissait du passage de la dictature à la démocratie… par des méthodes souvent musclées qui donnaient matière à se dire que « plus ça change, plus c‘est la même chose ». D’où ce néologisme à l’ironie caustique. « Cette mâle gaîté, si triste et si profonde, Que quand on vient d’en rire, on devrait en pleurer… », comme disait l’autre…

Le Premier Ministre Antoine Gizenga savait ce qu’est la démocratie. Il était bien le seul… Il a fallu chercher un homme que son grand âge fait appeler « le Patriarche », pour trouver quelqu’un qui puisse en avoir eu, dans sa vie, une expérience concrète. Pour la plupart des Congolais, cette expérience fait défaut. Il faut pour cela être vieux, et la majorité de la population est jeune. Elle peut rêver de démocratie, cette jeunesse, mais c’est un mot. Son expérience concrète de la vie, c’est la dictature, ou la débrouille dans une société déliquescente et minée par l’argent corrupteur…
Ne nous empressons pas trop d’en penser du mal. Dans les « vieilles démocraties », on se contente trop souvent de confondre l’ankylose sénile avec la sagesse et la modération. La démocratie a cessé d’être ce qu’elle doit être sous peine de mourir faute de sens, ce qu’elle est encore pour certains de ces jeunes naïfs d’Afrique : une utopie. Elle est un idéal qui n’est jamais réalisé. Elle ne le sera plus ou moins que quand auront disparu toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme, lorsque les droits de tous à une vie digne et décente qui ne soit en rien soumises aux « lois du marché » seront respectés. La liberté est semblable au feu : si elle cesse de monter plus haut, de briller plus clair, d’éclairer plus loin, elle s’éteint et il ne reste qu’un amas de cendre.

Mais revenons au Congo. Je disais donc que la population, dans son ensemble, y a des habitudes de vie qui sont tout, sauf celles d’un état de droit. Cela concerne le citoyen Lambda, mais aussi les policiers, les magistrats, les membres de l’administration, les militaires, les artistes, les journalistes… Les élections permettent (parfois) de changer les dirigeants d’un peuple. Ils ne peuvent pas changer ce peuple lui-même.

Quand François Mitterrand remporta les présidentielles françaises de 1981, la France sortait de vingt-trois ans de régime « gaulliste » ininterrompu. C’avait donc été moins long que le mobutisme, et beaucoup moins absolu. Néanmoins, on a vu l’ORTF effectuer un virage sur l’aile à 180 ° et devenir du jour au lendemain plus socialiste que Mitterrand, a tel point que le nouveau président a dû l’inviter à « davantage d’objectivité »… Cela ne se passait pas en Afrique ! Simplement « l’habitude est une seconde nature », et en 23 ans on avait si bien pris le pli de dire que l’occupant de l’Elysée avait toujours raison que l’idée qu’il puisse avoir tort n’était plus pensable !
 Seulement voilà, on se retrouve devant la photo… Est-ce l’aube ou le crépuscule ?
D’un côté, on vous dit que le pouvoir congolais est bien forcé de travailler avec les personnels dont il dispose, donc avec des policiers, magistrats, etc… formés sous la dictature et qui en ont gardé les réflexes. On s’efforce d’y mettre bon ordre, mais on ne peut pas être partout, et il faut du temps pour que les mentalités changent… En un mot, c’est le crépuscule de la dictature passée…

D’un autre côté, on affirme que Joseph Kabila a été bien heureux de trouver tant de sbires et de tortionnaires déjà formés et prêts à l’emploi. Un jeune tyran a réussi par des élections dites démocratiques à contrôler la présidence de la République, l'Assemblée Nationale, le gouvernement, le pouvoir militaire, les forces armées et de sécurité. Toutes les conditions sont réunies aujourd'hui au Congo pour un pouvoir dictatorial sous un maquillage démocratique. Bref, c’est l’aube d’une nouvelle dictature…
 Les premiers souligneront que, dans le cas le plus fréquemment cité, qui s’est produit un peu partout dans le pays, à savoir celui d’un journaliste poursuivi par un magistrat ou des policiers qui, semble-t-il, estiment toujours que dire autre chose que du bien des Autorités est un crime, les responsables ont toujours été rappelés à l’ordre et les victimes relâchées. Les seconds répondront qu‘il n’y a là nul scrupule envers les droits de l’homme, mais qu’on n’a cédé qu’à la pression des ONG humanitaires. Ils ajouteront peut-être que le harcèlement par des arrestations répétées, la confiscation du matériel, etc… sont aussi des moyens de réprimer.
Comme sur la photo, on ne sait pas si ce soleil, au ras du sol, se trouvait à l’Est ou à l’Ouest. Il n’y a pas de boussole sur la photo !

On continue à entendre, venant du Congo ou des Congolais, voire de ceux dont c’est le métier d’en parler, des commentaires sur cette situation riche en doute où, devant une abondance de signes équivoques ou allant les uns dans un sens, les autres dans le sens opposé, on ne sait plus trop où l’on en est exactement. Il est parfois questions de la « jeune démocratie congolaise » où certains événements seraient encore des traces, des « résidus de la dictature passée ». D’autres fois, on évoque ces mêmes événements comme « les signes avant-coureurs d’une nouvelle dictature qui s’établit ». Circonstance aggravante : si certains de ces propos sont tenus par des personnes ou dans des médias appartenant notoirement à l’un ou l’autre courant politique ou d’intérêt et relèvent donc d’auteurs que les Congolais, avec le goût pour un certain baroque dans le vocabulaire qui les caractérise, appelleraient des « thuriféraires stipendiés », d’autres viennent de gens dont on ne peut douter qu’ils soient politiquement neutres et globalement de bonne foi.

Alors ?

Une première remarque s’impose. Beaucoup de signes sont équivoques. La dictature n’a pas toujours l’amabilité se procéder à la façon de feu Pinochet et de démolir, avec ses chars, et les démocrates et les bâtiments où ils s’abritent. Dans ce cas-là, les choses sautent aux yeux !
Par contre, il est beaucoup d’événements auxquels on peut facilement être tenté d’accorder une signification, pour des raisons que l’on pourrait dire symboliques, alors qu’elles en ont, en réalité, une autre.
L’opinion publique a tendance à froncer les sourcils, par exemple, lorsqu’il est question d’interférer avec la liberté d’expression, par exemple par l’interdiction d’un émetteur de radio ou télévision. Et, précisément, une mesure de ce genre a fait, précisément, couler de l’encre à propos du Congo.
Avant de prendre des positions de principe et de se draper dans les libertés de la presse, il aurait peut-être fallu examiner le « paysage audio-visuel congolais ». Une dictature, en effet, n’interdit pas pour le plaisir d’interdire. Elle interdit pour avoir un monopole. En l’occurrence, celui de l’information. Cela suppose donc que la place rendue vacante par l’interdiction d’un émetteur puisse aussitôt être occupée par des émetteurs « aux ordres ». Bref, cela ne peut avoir un sens dictatorial que s’il existe une puissante infrastructure médiatique contrôlée par le pouvoir. Or, il n’y en a pas trace dans le paysage ! Tout indique que ce qui envahit les ondes congolaises plus vite que le brousse ne pousse en saison des pluies, ce sont les émetteurs privés, et en particulier les foisonnants et anarchiques émetteurs des Eglises du Réveil. Celles-ci constituent une véritable menace pour la démocratie dans la mesure où l’on ne peut pas faire sérieusement de la politique si l’on pense que tout problème ne peut trouver sa solution qu’en s’en remettant à Jésus et en faisant les plus grosses offrandes possible au pasteur-escroc. Elles constituent même une menace pour la santé publique en incitant leurs adeptes à s’infliger des privations ou à négliger de se soigner, y compris de choses aussi graves que le SIDA ! Les interdire toutes serait donc non seulement un appui à la démocratie, mais même une salutaire mesure d’hygiène publique ! Et donc, si l’on devait reprocher quelque chose au ministre congolais de l’information, c’est de n’avoir donné que quelques coups de pelle, là où l’usage du bulldozer s’imposerait !
Au demeurant, il n’est pas obligatoire qu’une dictature exerce un contrôle strict sur l’information. Le régime Mobutu a subsisté malgré la diffusion d’informations qui allaient loin au-delà du « filtrage » et en commettant ses plus sales coups au vu et au su de tous.
 Dans la cas qui nous occupe, il est exact qu’une lecture chronologique des faits donne l’impression d’une décroissance. Malheureusement, une lecture logique peut, elle, montrer une croissance de la menace. 
En janvier, à Lubumbashi, rien ne vient interrompre le cycle complet de la violence. Le Parlement est muselé et le sang coule. Ce sang est l’élément dramatique qui signale ma chose à l’attention. Il y a eu différents épisodes, dans différents parlements provinciaux, où le chahut, voire les empoignades, ont joué un rôle pour rendre l’activité impossible. En mai, au Palais du Peuple, les choses en restent au chahut et aux dégâts matériels, peut-être seulement parce que la session est ajournée. Cela aurait pu dégénérer. Enfin, dans les échanges d’amabilités en cours entre deux hommes dont in doit tout de mêmebien supposer qu’ils savent de quoi ils parlent, Boshab accuse pratiquement Muzito de vouloir soustraire les actes de son gouvernement au contrôle parlementaire « en se servant des pressions de la rue » ce ui ne peut faire allusion à autre chose que des actions du type « Lubumbashi ». Et la menace paraît suffisamment grave pour qu’un homme en fasse état, qui a été initialement placé là où il est, précisément pour « contenir » le Parlement. Tout montre qu’il faut prendre la situation au sérieux.

Reconnaître à coup sûr les signes extérieurs, les « symptômes » pourrait-on dire, d’une menée dictatoriale, n’a rien de simple. Mais au fait, est-on tellement certain de savoir ce qui caractérise la démocratie ?
Bien sûr, une foule d’idées viennent aussitôt à l’esprit : égalité, fraternité, intérêt général, liberté, séparation des pouvoirs, souveraineté du peuple, transparence, et j’en passe… Il y en a tant et c’est si beau qu’on en oublie que ce n’est pas réalisable.
C’est du même ordre que le Grand Amour ou la Sainteté : on peut en approcher à certains moments privilégiés, mais on ne s’y trouve jamais pleinement et durablement. Et pourtant, ces moments à eux seuls justifient une vie entière et lui donnent son sens. C’est tout le paradoxe de l’existence humaine.
Peut-on faire d’une utopie une recette de cuisine, c’est toute la question !
Car on a un peu l’impression que le message que les Congolais ont reçu de la Communauté Internationale, en réponse à leurs aspirations à la démocratie, une « démocratie préfabriquée en kit »: « Prenez une constitution faite par les plus grand cuistots… pardon ! juristes internationaux, faites-la cuire à feu doux en ajoutant, etc… », comme s’il s’agissait de suivre pas à pas une recette imitée des régimes politiques en vigueur en Europe ou en Amérique et que cela suffisait pour servir, au sortir de ce four qu’est le processus électoral, une démocratie parfaite, croustillante et dorée à point, qu’il n’y aurait plus qu’à déguster.  Comme c’est la « démocrature » qui est sortie du four, le plat se révèle plutôt indigeste.

Il faut dire, à la décharge des Congolais, qu’on se défie toujours plus d’un danger que l’on connaît que de celui que l’on n’a jamais expérimenté. On craignait donc l’avènement de « Mobutu II » et l’on se défie avant tout de ce qui ressemble à la reprise, à l’usage du nouveau régime, de pratiques héritées de l’ancien…
Or, il se fait que la dictature peut parfaitement se passer de dictateur ! Cela ressemble à un paradoxe, puisque la dictature se définit, semble-t-il, par le fait qu’un seul homme détient entre ses seules mains l’ensemble des pouvoirs et n’est limité par rien dans l’exercice de ceux-ci. C’est du moins là la face visible de la dictature. La réalité cachée derrière cette façade, c’est le pouvoir absolu d’une classe d’exploiteurs.

Guy De Boeck

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