Abdoul Latif Aidara
29 Octobre 2010
Victime de l'économie coloniale puis de l'économie néocoloniale qui la vampirise depuis les indépendances, l'Afrique de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international voit, aujourd'hui, d'autres horizons, ceux du Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine), s'ouvrir devant elle. L'avenir n'a jamais été aussi ouvert pour les pays africains sujets à trois principales stratégies de puissance extrêmement différentes.
La stratégie de puissance américaine, une approche fondée sur l'exportation de la démocratie et de la bonne gouvernance, la main mise sur les richesses et le contrôle de leurs routes, par le dialogue si possible, par la force si nécessaire.
La stratégie de puissance européenne qui est en fait une « non approche » parce que fondée sur un libéralisme d'un autre âge que les Africains considèrent comme une recolonisation des esprits ; son « repli sur soi », en réaction à la nouvelle donne internationale libère des espaces de plus en plus occupés par les pays arabes et asiatiques émergents.
La stratégie de puissance chinoise, une approche originale qui fait l'objet de cette analyse.
Le défi consiste, pour l'Afrique et ses dirigeants, à être à la hauteur des circonstances, de savoir comment tirer le plus grand profit de cette marge de manoeuvre extraordinaire, en puisant ce qu'il y a de meilleur partout, dans le cadre d'une coopération fondée sur le respect mutuel et les intérêts réciproques ; un système où, en langage intelligible pour tous, chacun retrouve ce qu'il cherche.
De 2000 à nos jours, l'Afrique a su résister à la crise économique et financière mondiale et s'adapter à la nouvelle donne, caractérisée par l'expansion fulgurante de la Chine. L'Afrique dont le sous-sol est riche en matières premières et en pétrole, est aujourd'hui courtisée par toutes les puissances de la planète.
Pour la Chine particulièrement, elle n'est pas considérée comme un « boulet » mais comme une opportunité. De ce fait, elle est devenue un enjeu et un partenaire majeur, tant sur le plan économique que politique. En conséquence, des opérations de charme pour séduire l'Afrique et ses ressources se transforment souvent en compétition entre investisseurs occidentaux et chinois. Il convient alors d'analyser profondément pour ne pas tomber dans le piège des travers favorables à l'un ou l'autre camp. C'est dire que cet intérêt grandissant pour l'Afrique doit être analysé en se référant, non plus aux rapports des experts des multinationales cotées en bourse à New York, Londres ou Tokyo, mais plutôt en tenant compte des faits et réalités de terrain, qui reflètent le vécu quotidien des populations africaines, soumises à cette nouvelle donne mondiale.
Le gouvernement chinois a rendu public, le 30 décembre 2006, « le document officiel sur la politique africaine », visant à programmer les mesures à prendre pour les années à venir, pour la coopération entre le plus grand pays en développement du monde et le continent où il y a le plus de pays en développement.
Décrypter la réussite de l'offensive commerciale des groupes chinois en Afrique de l'Ouest revient à regarder les faits, notamment en ce qui concerne la fiabilité des infrastructures chinoises, la qualité des produits, le transfert de technologie, et les rapports avec les populations locales. Cette analyse permet de dégager les points forts de l'offensive chinoise face à une concurrence occidentale de plus en plus dépassée, parce qu'incapable encore de sortir des sentiers battus.
Les points forts retenus sont liés :
- Au respect de la parole donnée. Les Chinois ne font pas trop de promesses et tiennent pratiquement celles qu'ils font,
- Au faible coût de l'expertise. L'expertise bon marché est non seulement bénéfique mais s'adapte culturellement mieux au contexte africain,
- À la franchise du langage. La Chine décline clairement ses ambitions et discute sur un pied d'égalité avec ses partenaires,
- La politique du win-win. Le gagnant-gagnant est une clé essentielle de la politique économique chinoise. Récemment, le forum des affaires en Chine, organisé avec une centaine d'entrepreneurs sénégalais a ouvert la coopération dans les domaines du bâtiment, de l'énergie solaire avec la construction d'une centrale solaire de 300mw, la production de papier avec la délocalisation d'une usine de fabrication de papier qui a déjà fait l'objet d'accord avec les éditeurs de presse du Sénégal et des chaînes de montage pour automobiles basé a Thiès pour remplacer le parc automobile des transport en commun. Autre encore, est l'exemple typique au Sénégal, des hommes d'affaire chinois de Someta, qui financent pour environ 3 milliards de francs, la délocalisation des techniques chinoises de fonte du fer, en partenariat avec l'entreprise sénégalaise « AL Métal », qui ramassait et exportait la ferraille depuis 1996 et qui, aujourd'hui, a la possibilité de la transformer sur place à Sébikotane ; avec la création de 500 emplois directs et 2000 emplois indirectes.
On est en présence d'une coopération économique avec une forte valeur ajoutée, qui profite aux Africains et qui augure de bons lendemains pour des pays comme le Sénégal qui, entre autres initiatives, propose une zone économique intégrée comme réceptacle.
- La fiabilité des infrastructures construite par la Chine ; les stades, théâtres et ministères construits en Afrique de l'Ouest, le sont avec les mêmes normes qu'en Chine ; Ils ne souffrent d'aucune malfaçon et mieux sur les plans ferriques utilisent des alliages beaucoup plus fiables que le fer a béton utilisé par les entreprises occidentales.
Par ailleurs, partout où il y a une culture de contrôle, les Chinois ont accepté de s'y conformer ; comme en témoigne le tronçon de l'autoroute a péage au Sénégal qui devait être livré « clef en main » et qui, pourtant sans difficultés, a fait l'objet de contrôle des bureaux sénégalais. Ce sera le cas pour les projets en cours et à venir au Sénégal. Le grand théâtre qui emploie 200 Sénégalais dont des techniciens et qui utilise 40 pour cent des produits locaux, le musée des civilisations noires, la réhabilitation des stades régionaux entres autres, sont aussi à noter. Ceci constitue une évolution de plusieurs crans par rapport à ce qui s'est fait jusqu'ici, dans le cadre de la coopération chinoise.
- La délocalisation progressive et le transfert de technologie. Usine de papier, chaîne de montage automobile au Sénégal, raffineries au Tchad, production de fer a béton ; ceci traduit une emprise progressive, lente mais irréversible de l'expertise locale sur les chantiers chinois.
- Ouverture du marché chinois aux Africains : une opportunité de 1,5 milliard de consommateurs ainsi ouverte à l'Afrique. A titre d'exemple, la Chine vient d'exonérer du droit de douane plus de 400 produits sénégalais.
Quant aux produits bon marché vendus par les Chinois en Afrique de l'ouest, ils obéissent aux lois de l'offre et de la demande, la qualité déterminant le prix ; il revient cependant aux Etats de veiller à ce que ces produits ne mettent pas en danger la santé des populations.
La différence chinoise : franchise et célérité : moins calculateur, plus rapide dans le traitement des dossier et la mobilisation des fonds, là où les occidentaux s'empêtrent dans des études a n'en plus finir, des conditionnalités sur leurs propres conceptions des droits de l'hommes et de la corruption, des séminaires et autres procédures compliquées de décomptes et de décaissement ; la Chine fait montre, sans préjudice pour la transparence et la rigueur, d'une célérité sans commune mesure, autant dans le traitement des dossiers, dans la mobilisation des fonds que dans l'exécution des projets.
En conclusion, la Chine a bouleversé la donne mondiale et l'Afrique courtisée, loin des affres de la Banque mondiale et du Fonds monétaire internationale dont les emprises sont de moins en moins fortes, dispose d'une marge d'opportunités jamais égalée ; mais tout est encore un problème de dirigeants à la hauteur.
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