lundi 20 décembre 2010

Des larmes de crocodile


Ambassadeur français pour les droits de l’Homme, François Zimeray vient d’effectuer un périple en RD Congo particulièrement dans les provinces du Kivu. Ancien avocat et député européen, ce diplomate, placé sous l’autorité du Premier ministre français, a pour mission de «conseiller» le gouvernement hexagonal en matière des droits humains.

De passage à Goma, Zimeray dit avoir effectué un «voyage bouleversant» qui le pousse à parler de «naufrage des droits de l’Homme» en RD Congo. Outre les prisons bondées où des condamnés à mort côtoient des enfants mineurs, l’émissaire français se dit choqué par l’impunité dont bénéficient les «prédateurs» des droits et libertés. C’est le cas notamment du «général» Bosco Ntaganda qui jouit de la liberté la plus totale dans le chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Alors que les défenseurs des droits humains, eux, sont terrorisés.

Ces déclarations faites samedi 18 décembre par l’ambassadeur Zimeray surprennent. La France de Nicolas Sarkozy vient-elle de découvrir ce que les Congolais et les pays occidentaux savent depuis une décennie? De deux choses l’une : soit ce diplomate sort d’une autre planète et est donc sous–informé ; soit, il est de mauvaise foi. Dans ce dernier cas de figure, l’homme fait couler quelques larmes de crocodile pour se donner bonne conscience. Etat membre du Conseil de sécurité des Nations Unies et disposant d’une importante représentation diplomatique à Kinshasa, le "pays des droits de l’Homme" peut-il ignorer l’état désastreux des libertés fondamentales au Congo dit démocratique? Etat membre du Conseill de sécurité, la France peut-elle ignorer également que - par la volonté de "Kabila" et de son homologue rwandais Paul Kagamé - Bosco Ntaganda continue à humer l’air frais à Goma en dépit du mandat d’arrêt international lui décerné par la CPI (Cour pénale internationale)? Allons donc!

En juillet 2009, en collaboration avec des organisations de la société civile congolaise, la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) avait publié son excellent rapport intitulé «RD Congo : La dérive autoritaire du régime». Les rédacteurs dénonçaient avec force détails notamment : l’existence d’une police politique (Demiap, ANR, PIR, Garde républicaine, DRGS…) dotée des «pleins pouvoirs», le recours systématique à la torture, la répression systématique des défenseurs des droits humains, l’existence des cachots hors de tout contrôle judiciaire, les exécutions extrajudiciaires, les interférences de la hiérarchie militaire sur les juges militaires etc. Quel est l’Etat occidental qui n’a pas pris connaissance de ce document? Aucun.

Les Etats n’ayant que des intérêts, le respect des droits de l’Homme dans l’ex-Zaïre n’est plus une "priorité" pour l’Occident en général et des pays comme la Belgique, la France, les Etats-Unis d’Amérique et la Grande Bretagne en particulier. Le "chaos congolais" n’empêche nullement les industries de pointe de ces nations de trouver le sommeil du "juste". Bien au contraire. L’approvisionnement en matières premières en provenance du Congo continue. On ne peut que comprendre que les gouvernements de ces pays, jadis tatillons sur les droits et libertés, privilégient désormais la «stabilisation». Derrière ce vocable se cache une réalité : le business. Le respect des droits de l’Homme n’est plus de saison.

Au début des années 90, le Zaïre de Mobutu a été «puni», disait-on, suite à des «graves violations» des droits de l’Homme et de l’obstruction faite au processus démocratique. Le pays écopa d’une rupture en cascade de la coopération avec les "pays amis" occidentaux. La situation est-elle devenue plus engageante? Pourquoi ce silence complaisant du monde occidental à l’égard du régime de «Joseph Kabila» qui, par deux fois, en 2007 et 2008, a commis des graves atrocités notamment dans la province du Bas-Congo? Pourquoi ce silence après l’assassinat des journalistes et des défenseurs des droits humains? Que dire de la mort d’un citoyen congolais dans un cachot tenu par des éléments de la garde présidentielle?

Signe des temps. La tonalité des questions posées à «Joseph Kabila» dans une récente interview parue dans le quotidien «Le Soir» - édition datée du 7 décembre 2010 – trahit autant la volonté de ménager un satrape africain - ami? - que la duplicité du monde médiatique occidental. Question : «Cette année, la mort de Floribert Chebeya a secoué l’opinion. Qu’avez-vous ressenti?». Dans sa réponse, «Kabila» attribue la mort de Chebeya à «un accident» cardiaque. Connue pour son sens de la repartie face à d’autres acteurs politiques, la journaliste Colette Braeckman qui menait l’interview n’a pas osé "rebondir" sur le sort du chauffeur Fidèle Bazana, disparu depuis l’«accident» de son chef , alors qu’il attendait sagement dans la voiture. Question : «Cependant, Chebeya se montrait très critique à votre égard…» Réponse : Oui, il était critique, mais il ne faisait que son travail… Question : «Cette mort a effrayé les autres défenseurs des droits de l’Homme… » Réponse : Ils ne doivent pas avoir peur. J’ai toujours dit aux défenseurs des droits de l’Homme que j’étais leur premier allié. Je serai toujours là pour les défendre. Question : «Les journalistes aussi ont peur, certains d’entre eux ont été assassinés…» Réponse : Ils ne doivent pas avoir peur. On a besoin d’eux pour qu’ils dénoncent ce qui ne va pas, et ce que nous ne savons peut-être pas, ni moi, ni mes services de renseignements, ce que peut-être on nous cache…Il est bon de révéler les choses, mais il faut avoir les éléments et pas se baser sur des rumeurs. Quel bel exemple de "prévenance"?

C’est assez symptomatique de voir, l’Occident – la presse et le monde politique - qui avait fait grand bruit lors de la dénonciation d’un «faux massacre» d’étudiants de l’université de Lubumbashi en 1990, se taire face à des «vrais massacres» qui ont été commis en 2007 et 2008 dans la province du Bas-Congo notamment. Et que le rapport établi par des experts onusiens sur cette double sanglante répression a été étouffé par l’ancien représentant du secrétaire général des Nations Unies au Congo, l’Américain William Lacy Swing. Pour préserver quel intérêt?

La France peut-elle ignorer les graves violations des droits humains auquel se livrent au quotidien "Joseph Kabila" et ses sicaires? Assurément pas! Pourquoi l’ambassadeur Zimeray fait-il mine de découvrir seulement maintenant ce "naufrage" laissant ainsi couler des larmes de crocodile?
Baudouin Amba Wetshi 
© Congoindépendant 2003-2010

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