lundi 24 janvier 2011

L’ouragan tunisien et les partenaires extérieurs de l’Afrique



par Jean-Pierre Mbelu   
Lundi, 24 Janvier 2011


(« Un fruit tombe quand il est mûr. Mais face à l’ouragan de l’histoire, mûr ou pas mûr, il tombe quand même. »)
Ce qui se passe depuis plus d'une semaine en Tunisie donne à penser. L'ouragan tunisien vient remettre en question toute une croyance des dictateurs africains en la science politique infuse chez "les maîtres du monde". Compter en tout et pour tout sur leur appui peut dorénavant être lu comme un signe de regression intellectuelle, idéologique et politique; un signe de bassese d'esprit et d'une servilité indescriptible.
Jeudi 20 janvier 2011, la journaliste Français Arlette  Chabot, dans la deuxième partie de  l’émission ‘A vous de juger’ (sur France 2) a organisé un débat sur « la révolution tunisienne ».
Au cours de ce débat, certaines interventions des acteurs politiques français ont été, à notre avis, d’une qualité remarquable. Le Ministre de la défense français a par exemple avoué que la France a sous-estimé la montée de l’exaspération du peuple tunisien face au système policier de Ben Ali. Dominique de Villepin a dit un certain nombre de choses qui méritent d’être souligné. (Nous reproduisons les textes de http://2villepin.free.fr/index.php/2011/01/23/1769 en soulignant certains extraits.)
Sur notre prise de conscience tardive
"J'ai regretté la complaisance. Les choses se sont accentuées avec les années et l'aspect policier et répressif du régime tunisien n'a fait que s'accroître. L'accaparement par un clan, une famille sur les richesses de la Tunisie s'est accru avec le temps. Mais ce qui est vrai, c'est que la vision, la priorité donnée avec le temps à la stabilité, la peur de l'islamisme, la comparaison avec un certain nombre de situations autres au Moyen-Orient, le mauvais exemple donné par les Américains qui ont cherché à imposer la démocratie par la force en Irak: tout cela a retardé une prise de conscience et ça doit nous conduire à en tirer toutes les leçons aujourd'hui."
Sur le caractère inédit des événements en Tunisie
"Pour essayer d'apprécier les marges de manœuvre  et ce qui peut être fait, il est important de noter, parce que c'est une des grandes clés d'explication de la puissance des chancelleries occidentales, il est important de noter que nous sommes devant des situations que nous n'avons pas connues dans le passé. La diplomatie, elle se nourrit d'exemples. Or l'idée d'une révolution démocratique, populaire, dans le monde arabe, c'est une nouveauté. Et nous sommes instruits d'un certain nombre de précédents qui nous font réfléchir: le processus de démocratisation qui s'était engagé en Algérie et qui a conduit à un fort regain de l'islamisme, l'évolution de la révolution iranienne qui, elle-même, s'est traduit par un risque majeur au sein du Moyen-Orient... Donc nous sommes là devant une donnée nouvelle, alors même que tout le monde pensait, et en grande partie un certain nombre d'experts, que c'était impensable. L'idée de différentialisme, l'idée que la culture du monde arabe, l'idée que cette civilisation si particulière n'était pas susceptible d'enfanter la démocratie... Là, nous avons un espoir qui naît et nous devons donc le conforter."
Sur la lenteur de la réaction internationale
"Moi, ce qui me surprend, c'est la très grande lenteur de la communauté internationale à se mobiliser pour proposer, non pas de se substituer au peuple tunisien qui fait très bien ce qu'il a à faire, mais pour accompagner, pour offrir des leviers. Et c'est sans doute là que nous avons une des grandes clés de la diplomatie: ce que nous aurions pu faire avant, c'est d'identifier des leviers qui nous permettent d'agir plus efficacement. Un exemple: les relations d'Etat à Etat. La France reconnaît des Etats, ne reconnaît pas des régimes, des gouvernements. (...) C'est la clé de la pratique diplomatique française. Or, nous aurions pu nouer des relations plus diverses et plus en profondeur avec la société tunisienne. Or, ce tête-à-tête dans lequel nous nous enfermons avec les dirigeants (quand ils sont bons, c'est très bien, quand ils sont mauvais, c'est plus dangereux !) fait que nous sommes coupés d'une partie des réalités et c'est en cela que la Françafrique au sens large, notre relation avec les pays africains, ne prend pas en compte la jeunesse de ces pays, ne prend pas en compte la montée des intellectuels, ne prend pas en compte la diversité sociale. Donc nous avons à faire un travail pour avoir des racines beaucoup plus fortes et donc des points d'appui beaucoup plus forts vis-à-vis de ces communautés et de ces sociétés."
« La révolution tunisienne » a quelque chose d’inédit. Elle a échappé à la science politique infuse des « maîtres du monde » francophone en Afrique. Elle remet en question le soutien offert à la stabilité dans son enfermement dans un tête-à-tête avec les dictateurs africains et dit jusqu’où peut conduire « la peur de l’islamisme ». La place de la jeunesse africaine, la montée des intellectuels africains  ainsi que celle des forces alternatives deviennent de nouvelles donnes avec lesquelles les partenaires extérieurs des pays africains doivent dorénavant compter.
Vers la fin du débat sur « la révolution tunisienne », Arlette Chabot  pose une question au Secrétaire d’Etat auprès du Ministère de l’industrie, Sami Zaoui : « Est-ce que vous attendez vraiment quelque chose de la France et quoi ? » Sami Zaoui répond : « Je ne crois pas qu’il y ait une attente particulière à l’endroit de la France.  » Pour lui, ce dont il est question est qu’ensemble, avec le monde libre, des actions soient menée pour investir dans la démocratie.
Cette réponse tunisienne sonne le glas d’un certain unilatéralisme français en Afrique. Elle rappelle que « la fin du monde unique » est en marche. L’Afrique y participe. Le recours aux positions et aux avis des partenaires (étatiques) extérieurs sur des questions internes aux Etats-nations à bâtir et/ou à reconstruire en Afrique pourrait devenir, petit à petit, un vestige de l’histoire. Surtout là où la jeunesse d’esprit de l’élite intellectuelle et celle des forces de changement de la société civile permet une remise en question responsable de 50 ans de Françafrique et d’impérialisme US. Les partenaires extérieurs devraient opter un peu plus pour une éthique de responsabilité  que pour un prosélytisme démocratique au sujet duquel ils n’ont plus tellement de crédibilité.
L’ouragan tunisien vient rappeler à la conscience des peuples Africains luttant pour leur liberté que renverser le joug de la dépendance servile à l’endroit du réseau transnational de la prédation passe (surtout) par un travail permanent de l’intelligence proposant un réseau politique et idéologique alternatif des peuples unis et localement organisés.
L’ouragan tunisien est, à notre avis, un nouveau départ sur le long chemin de l’Afrique vers sa liberté. Un chemin parsemé d’embûches. Surtout de celles de  ceux qui « veulent tout pour eux et rien pour les autres ». L’ouragan tunisien dit, malgré tout, que la puissance peut devenir impuissante face à un peuple ayant atteint, par l’instruction, l’information, la formation et l’échange, un certain niveau de conscience de ses droits et de ses libertés fondamentales. Ce niveau de conscience atteint, un peuple  renverse lui-même, dans sa diversité, les rapports de force. Dieu merci ! La lutte continue…

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