lundi 4 avril 2011

Regard: Quand l'Afrique s'éveillera !

La Nouvelle ExpressionDOUALA - 29 MARS 2011
© Suzanne Kala Lobé  



"...on peut annoncer l’éveil du continent. Pour cela il lui faut remplir plusieurs conditions..."

Le titre n’est pas original. Il emprunte aussi bien à Napoléon 1er qu’au livre que le diplomate français Alain Peyrefitte, écrivit en 1973, « Quand la Chine s’éveillera »… Car selon lui, « vu le nombre de chinois, lorsqu’ils auront atteint une culture, une technologie suffisante, ils pourront imposer leurs idées au reste du monde ».

Il y relatait une évidence qu’il mit aux yeux du monde en soulignant comment ce pays se préparait à prendre le pouvoir malgré le désastre apparent de la révolution culturelle. Il disait le potentiel de la Chine et pariait sur son avenir. Le présent lui donne entièrement raison. L’Afrique n’est pas exactement dans la position de la Chine du point de vue de son potentiel démographique. Mais malgré le malthusianisme qui lui fut imposé, elle a une longueur d’avance sur le vieux monde en ce qui concerne son évolution démographique. Sans faire de translation linéaire, on peut annoncer l’éveil du continent. Pour cela il lui faut remplir plusieurs conditions.

Mais elle doit se réveiller. Elle est aujourd’hui groggy, sonnée par ses siècles d’esclavage dont elle n’arrive pas à briser les chaînes. Elle se croit à l’agonie parce qu’elle traine à son chevet famines et pandémies qui déciment ses enfants et menacent de ravager sont futur. Elle s’est laissé piéger par la charge des mots, des concepts bricolés ailleurs, et les admonestations de ceux à qui elle a cédé son pouvoir de décisions, pour quelques poignées de Cfa. Elle est abrutie par les frappes inouïes d’une communauté internationale qui a perdu tout sens de la mesure. Les multinationales qui veulent la dépecer jusqu’à sa dernière goutte de mercure l’ont mise Ko. Exsangue, elle a perdu son jus. Séropositive, elle titube. Elle vacille. Elle tombe. Comme face à la situation ivoirienne : elle a laissé faire. Elle n’a eu que des mots et des incantations.

Aujourd’hui, l’Union africaine se rend compte que son laxisme menace la souveraineté de tout un continent et que les jours de quelques-uns seront désormais comptés, tributaires du fanatisme meurtrier des grands trusts qui dominent le monde. Sans foi ni loi. Parce qu’il doit bien exister quelque part une africanité à défendre, un continent, des valeurs de civilisations. Parce qu’il est intolérable de laisser les frappes gifler la dignité du peuple Libyen. Au nom du devoir d’ingérence, qu’il est scandaleux d’avoir acculé les deux pachydermes ivoiriens ! Si la situation en Côte d’Ivoire s’est enlisée, si on bombarde sans vergogne la Libye, c’est parce que l’Afrique s’est assoupie. Elle s’est endormie en se laissant croire qu’elle n’était qu’une pauvre vieille dame misérable percluse de douleurs, ployant sous les coups des autres, ayant définitivement échappé à son propre futur.

Pauvre et très endettée ! Ppte. Pas. Pac. Que d’acronymes a-t-elle emprunté sans même avoir un patronyme qui lui appartienne ! Elle a endossé les parures d’une victime qui n’attend son salut que des autres. Elle a renoncé à penser à ses héros come Béhanzin et Samory, Chaka et Anna Zingua et s’est agenouillée devant une histoire qui lui a échappé. Elle a mis les vêtements de la misère, ces oripeaux du désespoir dont on l’a affublée pour lui faire perdre son identité. Elle a emprunté les langues des autres en se faisant forte de tordre ses langages dans un syncrétisme qui refusait de statuer sur ses langues nationales.

Certes, elle n’est pas toute entière sous le poids de ces vilenies héritées de tant de siècle d’esclavage. C’est vrai qu’il y a des pays qui lèvent la tête. Mais ils la lèvent sans perspective. Sans plan précis. La revendication d’une place permanente pour l’Afrique au sein du conseil de sécurité des Nations unies n’est portée que par quelques voix, sans un cadre de concertation, ni même une stratégie. Du coup, ils ont bombardé la Lybie. Enfoncé la Côte-d’Ivoire.

Où sont David Diop Mandessi ? Cheikh Anta Diop, Chaka Zulu, pour donner des coups de pilons sur la tête des intellectuels, sur le sol des villages, sur les postérieurs rebondis des femmes, pour qu’un rugissement jaillisse des entrailles d’une Afrique qui a tant de promesses à tenir ? Où sont les Amilcar Cabral? Ruben Um Nyobe ? Langston Hugues, The Last Poets pour chanter les prouesses des “preux chevaliers” ? Se débarrasser du poids de la dette et des pesanteurs du sous-développement ?

Quand l’Afrique s’éveillera. Les jeunes filles feront une ronde autour de la planète. Planteront leurs ongles manucurés dans l’argile rouge de la terre. Et elles sculpteront un monde aux mille facettes, de guerriers et d’amazones toujours disposés au combat.

Quand l’Afrique s’éveillera les rivières n’auront plus des noms d’oiseaux et les oiseaux cesseront de piailler à tire- d’aile comme s’ils avaient perdu le sens du ciel.

Quand l’Afrique s’éveillera la pluie grondera sous les ténèbres et les guerriers protégeront de leurs lances la Libye, la Côte d’Ivoire contre les rafales de la haine, du despotisme et de la recolonisation.

Quand l’Afrique s’éveillera, ce ne sera pas la fin d’un songe mais la sortie d’un cauchemar : celui d’une dépossession pour tout un continent des fils de sa destinée.

Quand l’Afrique s’éveillera... Ce n’est pas une incantation,ni la méthode Coué. Mais de même qu’on a martelé aux africains leur incapacité à être, à naître et à vaincre, de même devons-nous nous persuader que nous ne pouvons vivre assoupis et laisser les autres nous boxer et nous mettre KO ; chaque match, chaque temps de match, un uppercut nous a mis au sol. Et pour se relever il a fallu ramper. Supplier. Entrer dans les fourches caudines du Fmi. Serrer les rangs dans des plans d’ajustement structurel drastiques. Se perdre dans le flou des Ppte….

Quand l’Afrique s’éveillera. Parmi les nombreux événements qui ont secoué l’actualité, la violence des crises ivoirienne et libyenne interpellent des milliers d’entre nous. De l’issue de ces crises dépend l’avenir de l’Afrique. Assister passifs et consommateurs de ce qui se passe est criminel. L’Afrique a les moyens de sortir la Côte d’Ivoire de ce guêpier : ce n’est pas seulement une lutte entre Ouattara et Gbagbo! C’est une guerre contre l’Afrique et ses enfants. Il en est de même pour la Libye.

Quand l’Afrique s’éveillera. Ou quand l’Afrique s’éveillera-t-elle ? C’est bien sûr une question de temps mais aussi une vision. Une projection aussi limpide que la vision d’Alain Peyrefitte, il y a plus de 30 ans. Personne n’y croyait. Sauf les Chinois… C’est donc un futur que l’on doit bâtir dès aujourd’hui.

L’avenir commence maintenant. Il faut le construire. En rompant avec les paradigmes classiques de la défaite programmée des Africains. De leurs excès en tout. De leur non-sens de l’histoire.

C’est à un lavage de cerveaux qu’il il faut procéder pour extirper jusqu’à la racine les restes d’une idéologie de l’aliénation, de la victimisation, de la défaite chronique.

Quand l’Afrique s’éveillera, Nelson Mandela rejoindra Um Nyobe, Béhanzin, Samory et Zingua. Rudolf Duala Manga Bell aura sa stèle et fièrement serrera la main de Paul Martin Samba. Quand l’Afrique s’éveillera aucune bombe ne fera exploser la Libye. Ni la Côted’Ivoire. Ce qui signifie qu’il est temps de se réveiller. Le sommeil a été suffisamment long.

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