samedi 2 juillet 2011

La femme de chambre noire n’est pas une oie blanche

L'accusatrice de Dominique Strauss-Kahn se retrouve aujourd'hui accusée de blanchiment d'argent et d'avoir menti à de nombreuses reprises.

© Damien Glez, tous droits réservés.

Chut! Avec ses décryptages de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, la presse a été à ce point accusée d’aller trop vite en besogne qu’elle pourrait être, aujourd’hui, tentée par un devoir de réserve. Tout de même.

De sérieux doutes

Tout de même, c’est sur des «sources officielles» que s’appuie The New York Times, le 30 juin 2011, pour annoncer un chamboulement des procédures judiciaires à l’encontre de l’ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI).
Tout de même, c’est bien un spécialiste des coups de tonnerre à retentissement socialiste, Lionel Jospin, qui affirmait ce matin sur la radio française RTL, que les nouvelles révélations en constituaient un.
Tout de même, l’opinion africaine, même simple enzyme de digestion des coupures de presse internationales, et traditionnellement plus lapidaire encore que les journalistes, est aujourd’hui fascinée.
Le détonateur médiatico-judiciaire a donc été déclenché par le quotidien de référence américain —systématiquement affublé, depuis, de l’adjectif «sérieux»— qui annonçait, dans la nuit du jeudi 30 juin au vendredi 1er juillet, de très sérieux doutes quant à la véracité des propos de la plaignante, Nafissatou Diallo. À quelques heures d’une audience organisée en urgence au tribunal pénal de Manhattan, le journal affirmait que le bureau du procureur rencontrait «des problèmes» avec le dossier. La présumée victime de DSK n'aurait pas cessé de mentir tout au long de l'enquête.
Elle aurait des liens avec des activités de trafic de drogue et de blanchiment d'argent. Dans les 24 heures ayant suivi la fameuse scène de l’hôtel Sofitel, elle aurait notamment eu des conversations téléphoniques (enregistrées) avec un détenu arrêté pour possession de 180 kilos de marijuana. Celui-ci aurait contribué à des transferts d'argent, d'un montant total de 100.000 dollars (68.800 euros), vers différents comptes bancaires appartenant à la jeune femme. Au téléphone, celle-ci aurait évoqué l’intérêt à maintenir ses accusations contre DSK. Et cerise sur le gâteau que les avocats de Strauss-Kahn s’apprêtent à déguster: des zones d'ombre seraient apparues dans sa demande d'asile aux Etats-Unis.

L'accusatrice accusée

Au jeu des «je l’avais bien dit», l’opinion africaine s’en donnera certainement à cœur joie; même ce ministre ouest-africain qui, en off, se faisait le relais de la pudibonderie sahélienne en affirmant: «DSK l’a bien mérité».
Même si Strauss-Kahn devait être innocenté de tout délit, le ministre moralisateur aurait beau jeu de dire qu’il n’y avait peut-être, du point de vue moral, ni victime ni coupable; plutôt deux complices dans un acte sexuel contraire aux procédures sociales enseignées sur le continent. Quant à ceux qui, dans les «maquis» populaires, s’acharnaient déjà sur Nafissatou Diallo, ils gonfleront leur poitrine en assénant le coup de grâce à la réputation de la femme de chambre.
Dans cette affaire, l’Occident, parfois critique vis-à-vis des immigrés subsahariens, aura découvert que les Africains étaient les plus cruels envers leurs «frères» qui tournent le dos au continent pour rejoindre un eldorado «dépravé». En Afrique, ne condamnait-on pas sans procès une «diaspo qui se comporte sans doute comme toutes les diaspos»?
À l’issue de sa prochaine audience judiciaire, l’ancien directeur général du FMI s’exprimera. Que l'affaire DSK s'effondre ou non, une voix sereine pourrait contrebalancer l’image de poignets menottés. Et l’on s’intéressera moins à l’impact du galet du New York Times sur l’eau de la justice américaine, qu’à ses ricochets sur l’océan politique français —déjà bien agité.

Quel dénouement pour DSK?

Le fait divers croise la politique. L’issue judiciaire croise le processus électoral. La tragédie personnelle de DSK croise la trajectoire nationale française —et dans un calendrier particulièrement serré. Si Dominique Strauss-Kahn voyait son sort se régler plus positivement et plus rapidement que prévu, l’attention de l’opinion subsaharienne, en particulier ouest-africaine, se concentrerait sur cette politique française qui la passionne tant. Et l’équation est à plusieurs inconnues:
Même plus largement libre de ses mouvements, DSK sera-t-il définitivement lavé de tout soupçon? Et si oui, quand?
Les analyses d'ADN ayant manifestement démontré qu'il y a bien eu relation sexuelle entre DSK et une femme de chambre qu’il ne connaissait pas une heure auparavant, l’image de Strauss-Kahn, au-delà d’un non-lieu, ne restera-t-elle pas écornée par ce comportement qu’on qualifie, en Afrique francophone, de «tireur d’élite»? Et ceci d’autant plus que la boîte des excès sexuels, largement entrouverte, n’a pas encore livré tous ses secrets?
Le parti socialiste répondra-t-il à cette question par la négative, avant d’envisager une modification du dispositif de désignation du candidat socialiste à la présidentielle de 2012? Sur la chaîne i>Télé, la vice-présidente socialiste du Conseil régional d'Ile-de-France, Michèle Sabban, évoquait déjà l’éventuelle suspension de la primaire pour «laisser le temps de parole à Dominique».
Comment l’électorat socialiste, et bien sûr les soutiens des cinq candidats déjà sur la ligne de départ, jugerait-il l’usage d’une procédure sur mesure dans un processus électoral que le parti socialiste avait eu tant de mal à élaborer de façon collective?
Si le «coup de tonnerre» du New York Times était confirmé par un coup de semonce contre Nafissatou Diallo, la presse oublierait vite l’accusatrice accusée.
Mais peut-être pas l’Afrique, gênée aux entournures, qui ne fera que semblant de regarder ailleurs.
Damien Glez
SlateAfrique

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