Le courrier est signé de Lucie Bourthoumieux, de Roland Dumas, de Jacques Vergès et de Marcel Ceccaldi. Tous les quatre sont les avocats du président Laurent Gbagbo, et sont également impliqués dans la défense de ses proches incarcérés à l’hôtel Pergola, à Bouna, à Katiola, à Korhogo et à Odienné. Il est adressé aux membres du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). Le Nouveau Courrier a pu en prendre connaissance.
Accablant pour Young Jin Choi et pour Alassane Ouattara, il fera sans aucun doute jaser au sein de la Maison de Verre, notamment au sein des délégations qui désapprouvent l’interprétation «élargie» que les grandes puissances font des résolutions onusiennes, dans le but de mettre en place leurs politiques de puissance et leurs agendas cachés.
Le «mémorandum» des avocats de Gbagbo décrit «une situation politico- judiciaire préoccupante». De manière méthodique.
Il s’intéresse tout d’abord à l’actualité la plus immédiate, c’est-à-dire aux quinze compagnons du chef de l’Etat ivoirien incarcérés à l’Hôtel Pergola depuis plus de deux mois, et qui ont été «arbitrairement inculpés le 23 juin 2011».
«Ces inculpations dont on nous dit que d’autres suivront sont dénuées de toute base légale et jettent une lumière crue sur le rôle de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et de la France», écrivent les hommes de droit.
Pillées et menacées de mort, ces personnalités sont venues sont réfugier à l’hôtel Pergola avec l’accord de l’ONUCI. «Se croyant dès lors sous la protection des Nations-Unies conformément à la Résolution 1975, elles ont été informées oralement et de manière incidente, contre toute attente, de leur assignation à résidence», s’étonne le texte.
Une violation de l’esprit du principe d’impartialité érigé par les membres du Conseil de sécurité «dans leur sagesse». C’est au nom de ce principe, qui ouvre aux parties ivoiriennes le droit à la protection de l’ONU, que les Casques bleus ont créé un dispositif spécial pour sécuriser le quartier général de campagne d’Alassane Ouattara, dès le 28 novembre 2010, jour du second tour de la présidentielle ivoirienne. Avant toute publication de resultants ou de tendances, donc… Le non-respect de l’esprit d’impartialité cher aux Nations unies a conduit la force Licorne et l’ONUCI à livrer le president Laurent Gbagbo et sa suite au camp de son adversaire «qui leur a fait subir humiliation et violences».
La même disposition d’esprit «place les personnalités du camp Gbagbo dans une situation arbitraire où les décisions à leur encontre sont prises au mépris à la fois du droit international et du droit ivoirien», dénoncent les avocats.
Pourquoi les forces onusiennes serventelles de cerbères à Laurent Gbagbo?
Des avocats de Laurent Gbagbo ont pu lui rendre visite à Korhogo, où il a été transporté «sous escorte de l’ONUCI». «Le président Laurent Gbagbo nous a reçus à la Résidence présidentielle de Korhogo où il nous a été donné de constater que depuis le 11 avril, il est privé de toute communication avec l’extérieur ainsi que de tout droit de visite, le dépossédant ainsi des droits humains les plus fondamentaux», peut-on lire dans leur texte.
Les militaires présents à l’intérieur et à l’extérieur de la Résidence présidentielle de Korhogo portaient l’uniforme de l’ONUCI, avec à leurs côtés le com’zone de Korhogo Fofié Kouakou et ses éléments. Si la présence de l’ONUCI se justifie par la résolution 1975, elle ne permet ni sa remise entre les mains de ses adversaires, ni le fait qu’il soit privé de ses droits fondamentaux.
Les avocats du président renversé s’interrogent sur la «justification juridique» de la présence de Fofié Kouakou et de ses hommes dans le dispositive onusien. Un Fofié Kouakou qui, rappellent-ils, est l’objet de sanctions onusiennes pour des faits graves, notamment le recrutement d’enfants-soldats, la pratique de sévices sexuels sur des femmes et les exécutions extrajudiciaires. Un Fofié Kouakou qui s’est «volontairement soustrait aux lois de la République» en participant à la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 et en faisant de Korhogo une zone de nondroit.
Aucun décret de mise en résidence surveillée pour Gbagbo
Les avocats du chef de l’Etat renversé révèlent qu’aucun décret officiel n’autorise la mise en résidence surveillée de Laurent Gbagbo. La loi du 17 janvier 1963 sur laquelle se base Alassane Ouattara pour justifier la détention de ses adversaires n’est pas respectée, si l’on en croit le mémorandum. «Cette loi prévoit en effet un décret de mise en oeuvre de cette mesure avec pour but de permettre à la personne concernée de faire valoir ses droits». Ni Laurent Gbagbo ni ses avocats n’ont eu connaissance de ce décret qui, par conséquent, «n’existe pas». Du coup, le plus célèbre captif de l’histoire de Korhogo «se retrouve par conséquent avec l’aval tacite de l’ONUCI et le soutien actif de la force française Licorne, victime d’un enlèvement, d’une séquestration et d’une détention arbitraire».
Selon ses avocats, il doit donc être libéré «sans délai ni condition». Ou, à tout le moins, pouvoir choisir lui-même, ainsi que ses collaborateurs, son lieu de mise en residence surveillée, comme le veulent les usages internationaux.
Un flou juridique qui met en danger la sécurité des collaborateurs de Gbagbo
Le mémorandum des avocats du president renversé donne un certain nombre d’informations qui finissent de camper une situation ubuesque. Au nom de quoi, s’interrogent-ils, Aboudrahmane Sangaré, Narcisse Kuyo Téa, Geneviève Bro Grébé et d’autres, arrêtés avec Gbagbo donc sous l’empire de la resolution 1975, bénéficiant à ce titre de la protection de l’ONUCI, ont-ils été livrés aux Frci, transférés au Golf, «avant d’être déplacées à Katiola sans explication et sans justificatif». «Nous avons pu constater lors de notre visite qu’aucun agent de l’ONUCI ne faisait partie des éléments en charge de leur sécurité, ni à l’extérieur ni dans l’enceinte de leur lieu de résidence.
Ces personnalités sont sous la garde de personnes armées, don’t il est difficile de déterminer la compétence, et sont retenues contre leur gré dans des pièces au rez-de-chaussée dotées de fenêtres sans vitres ni barreaux, par conséquent accessibles de l’extérieur et à une hauteur permettant de les mettre en joue». Les personnalités se trouvant à Bouna – dont Affi N’Guessan, pris à l’hôtel Pergola sans bénéficier de la protection de l’ONUCI, ce que dénoncent le collectif d’avocats ont été traités avec une violence physique et psychique préoccupante, si l’on en croit le mémorandum. Ainsi, les «otages» de Bouna y sont arrives à 4 heures du matin, après avoir quitté Abidjan à 13 h la veille – après 17 heures de voyage donc. Après «un détour injustifié par Yamoussoukro». La Première Dame Simone Ehivet Gbagbo a été enlevée durant la nuit pour Odienné, ses ravisseurs ne se donnant pas la peine de lui indiquer son lieu de destination. Après l’avoir privé de toute communication avec l’extérieur et de recevoir la moindre nouvelle de ses proches, lors de son séjour à l’hôtel du Golf, présidence provisoire d’Alassane Ouattara. Après avoir lu le communiqué des avocats de Gbagbo et de ses collaborateurs et proches, l’on s’interroge lourdement sur la nature de la «démocratie» que les grandes puissances disent être venues installer en Côte d’Ivoire, plus que jamais terre de non-droit et de violence politique.
Source: Philippe Brou – LE NOUVEAU COURRIER
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