mercredi 3 août 2011

Le zoo médiatique du procès Moubarak

Le procès d'Hosni Moubarak, l'ex-président égyptien, s'est tenu en sa présence ce mercredi 3 août au Caire. Dans la presse arabe, l'événement et le visage du dictateur alité semblent presque irréels.


Hosni Moubarak sur une civière dans le box des accusés au Caire le 3 août 2011. REUTERS/Reuters TV

Plus de cinq mois après les soulèvements populaires de février sur la place Tahrir, le procès de l’ex-président égyptien Hosni Moubarak s’est ouvert ce mercredi 3 août 2011 dans la banlieue nord du Caire. Un événement largement commenté par les observateurs de la région et du monde arabe, et qui correspond à la principale revendication démocratique des manifestants égyptiens.

A 83 ans, le dictateur déchu sera jugé pour homicides avec préméditation, dans le cadre de la répression du mouvement de contestation qui a provoqué sa démission, mais aussi pour abus de pouvoir et détournement de fonds publics.

Contrairement à l’ex-président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali,en procès par contumace depuis le 20 juin, le Raïs s’est rendu à l’audience malgré son mauvais état de santé présumé après avoir quitté l’hôpital de Charm el-Cheikh où il était soigné en détention préventive.

Tout comme ses deux fils Alaa et Gamal, l’ex-président, s’il est reconnu coupable, encourt la peine capitale. L’ancien ministre de l’Intérieur Habib el-Adli et six responsables de la police sont également présent sur le banc des accusés.

L’audience a été levée en début d’après-midi. L’ex-chef d’Etat devra rester à l’hôpital de l’académie de police au Caire jusqu’au 15 août, date à laquelle l’audience vient d’être ajournée.
Un procès «inimaginable»

La moitié des Egyptiens ne s’attendaient pas à voir l’ex-président assister à son procès. En partie à cause de l'exemple tunisien, avec un Ben Ali toujours en exil à Jeddah, en Arabie saoudite. Proximité, impression de déjà-vu; il semble que le procès Moubarak n’intéresse pas la presse tunisienne, qui n’en parle que discrètement.

Comme pour comparer les deux pays dont les révolutions demeurent chronologiquement proches, le quotidien tunisien La Presse s’interroge sur la présence physique d’Hosni Moubarak à son procès et s'interroge dans le titre d'un article publié ce mercredi 3 août:

«Moubarak sera-t-il présent à son procès?».

Le quotidien tunisien revient par ailleurs sur le rôle de l’armée, qui suscite toujours la méfiance des Egyptiens:

«Le procès de M. Moubarak est l'une des principales revendications des militants pro-démocratie, de plus en plus critiques à l'égard de l'armée car ils considèrent que les militaires, au pouvoir depuis la démission de M. Moubarak, ne veulent pas voir ce dernier dans le box des accusés.»

La question des morts durant les soulèvements occupe aussi une place dans la considération tunisienne du procès Moubarak. Estimés à plus de 800, il sont des «martyrs de la révolution»égyptienne pour le quotidien algérien Echorouk, qui laisse la parole aux familles.

Par ailleurs, le site Webdo revient sur la médiatisation du procès —qui sera télévisé— et sur la différence avec Ben Ali qui est lui jugé par contumace et dont les procès sont reportés les uns après les autres. Pourtant, si la Tunisie et l’Egypte sont souvent comparées pour leurs similarités dans le mouvement révolutionnaire, les procès de leurs dictateurs déchus restent des affaires nationales où la comparaison n’a pas lieu d’être.

En Algérie, c’est avec beaucoup d’attention qu’on observe le procès historique de l'homme qui a régné sur l’Egypte. Le quotidien L’Expression laisse entendre l’improbabilité d’un procès d'une telle ampleur:

«Juger l'homme qui a dirigé le pays pendant 30 ans pourrait être difficile, simplement parce qu'il en sait trop. Un tel procès semblait inimaginable il y a quelques mois et beaucoup d'Egyptiens n'y croient toujours pas.»

Reste que pour les journalistes algériens du titre, c’est l’occasion pour le gouvernement militaire de prouver ses bonnes intentions:

«Les nouvelles autorités veulent saisir l'occasion pour faire preuve de leur bonne foi».
L’Etat de santé du Raïs au centre de l’attention

Outre le caractère exceptionnel de ce procès, les médis s’interrogent sur l’état de santé d’Hosni Moubarak. Ils profitent de la retransmission télévisée en direct pour décrire l’ex-président: pâle, alité sur une civière, le président reste méconnaissable sur les images d’Al Jazeera.

Le quotidien algérien Horizons s'interroge même sur les conséquences possibles:

«Le Conseil suprême des forces armées qui assure la transition démocratique va-t-il évoquer l’état de santé "stationnaire" de Moubarak pour le soustraire à la justice?»

Dans le quotidien égyptien Al-Ahram Weekly, on rappelle qu’il y a peu on donnait l’ex-président égyptien pour mort. Dans le même article, le président de la cour d’appel égyptienne, El-Sayed Abdel-Aziz Omar, confiait:

«Si Moubarak est trop malade pour comparaître en personne devant le tribunal, son avocat doit fournir les documents médicaux nécessaires soutenir cela».

Le contexte surréaliste du procès

Al Arabyia revient sur le contexte tendu qui entoure le procès, l’armada de policiers déployés et les quelque 50 pro-Moubarak qui clament leur fidélité au président déchu devant le tribunal:

«Nous allons démolir et brûler la prison s’ils condamnent Moubarak».

Dans le quotidien algérien Liberté, le journaliste Djamel Bouatta observe quant à lui avec humour les accusations qui pèsent sur le président déchu:

«Et de deux! Après Ben Ali, c’est au tour de Moubarak de rendre compte de sa dictature et de la mise à sac de son pays. Son procès doit retenir plus d’attention que celui de son homologue tunisien, tenu en l’absence du tyran-prédateur de Monastir, qui a trouvé refuge dans le pays des wahhabites.»

Il insiste lui aussi sur les lourdes charges imputées à Moubarak: le vol de plusieurs millions de dollars à l’Etat ainsi que l’ordre de tirer sur les manifestants le 25 janvier, place Tahrir. Malgré un ton un peu léger et ironique, le journaliste revient aussi sur les enjeux de ce procès pour les révoltes arabes.

Car celui-ci constitue un symbole d’avancée dans le processus démocratique qui touche les pays révolutionnaires. Selon le journaliste, c’est aussi un pied-de-nez à l’influence des salafistes, Frères Musulmans et islamistes qui insistaient pour que le procès soit reporté.

Le quotidien algérien El Watan s’est quant à lui intéressé aux deux fils du dictateur déchu. Dans un article publié le 2 août intitulé «Les fils de Moubarak: autrefois puissants, aujourd’hui parias», le journal revient sur l’ambition politique des fils du Raïs, qui se préparaient à prendre la relève de leur père et se retrouvent aujourd’hui toujours à ses côtés, mais sur le banc des accusés.

Le Washington Post propose quant à lui un diaporame rétrospectif qui contraste avec l’actualité: on y voit le président déchu discuter avec les plus grands dirigeants, glisser un bulletin dans l'urne, ou s'adresser à son peuple, jusqu’à son dernier discours, le 10 févrirer 2011.

Lilia Blaise et Mehdi Farhat
SlateAfrique

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