Comment expliquer l'effondrement du régime de Kadhafi? L'entrée de la tribu des Zintane dans le conflit a affaibli le dirigeant libyen. Mais quel a été le rôle des troupes de l'Otan?
A Benghazi, un homme fête la victoire des rebelles libyens à Tripoli le 22 août 2011. REUTERS/Esam Al-Fetori
Mais que s’est-il vraiment passé en Libye au cours de ces derniers jours? Alors que le sort de Mouammar Kadhafi demeure incertain (arrestation, fuite ou exil négocié), il est impossible de ne pas s’interroger à propos de la séquence d’événements qui ont conduit à la prise de la presque totalité de la ville de Tripoli par les troupes du Conseil national de transition (CNT).
Petit retour en arrière. Fin juillet, le CNT lance une offensive en plusieurs points de l’Ouest du pays qui est violemment contrée par les troupes loyalistes. Au même moment, Abdel Fatah Younès, ancien ministre de l’Intérieur de Kadhafi, devenu chef des opérations militaires du camp rebelle après sa défection le 22 février, est tué à Benghazi dans des circonstances encore non élucidées.
Il n’en faut pas plus pour que les soutiens occidentaux du CNT s’inquiètent de l’évolution de la situation. Dans la presse occidentale, plusieurs éditoriaux avancent l’idée que seules des négociations entre les rebelles et le régime Kadhafi sont susceptibles de mettre fin au conflit. Le CNT lui-même reconnaît de manière implicite qu’il est engagé dans des discussions avec le régime de Tripoli. Bref, l’idée que les rebelles sont incapables de venir à bout de Kadhafi fait presque l’unanimité.
Un assaut fulgurant et la prise de Tripoli
Comment alors expliquer que, trois semaines plus tard, ces derniers aient pu aussi facilement investir la capitale libyenne au point que l’envoyé spécial du New York Times compare leur attaque à une ballade en voiture du dimanche? Bien entendu, il est encore trop tôt pour savoir ce qui s’est réellement passé et pour connaître les raisons réelles de ce qui apparaît comme étant l’effondrement brutal du régime de Kadhafi. Un effondrement symbolisé par la capture de son fils Saïf al-Islam (d’ores et déjà réclamé par la Cour pénale internationale -CPI) mais aussi par la reddition de son fils aîné Mohamed dont on a cru un instant qu’il avait été tué alors qu’il intervenait en direct sur Al-Jazeera.
Pour autant, on peut toutefois citer trois éléments qui ont certainement influé sur le cours des événements. En premier lieu, il y a, comme l’a rapporté la presse américaine, l’intensification au cours de ces derniers jours des bombardements de l’Otan. L’aviation étasunienne aurait ainsi apporté son soutien à l’offensive des rebelles dans l’Ouest et contribué à désorganiser encore plus les troupes loyalistes. Un scénario qui rappelle les derniers de l’intervention de l’alliance atlantique contre le régime serbe de Milosevic à la fin des années 1990.
L’autre élément est certainement la prise par les rebelles de Zaouïa (Zawya) le 14 août dernier. Pratiquement passée inaperçue, la chute de cette ville à cinquante kilomètres à l’ouest de Tripoli a peut-être été le catalyseur de l’effondrement du régime de Kadhafi. En l’investissant, les rebelles ont en effet coupé un axe stratégique entre Tripoli et la frontière tunisienne. De même, comme l’a expliqué l’ex-diplomate français en Libye Patrick Haimzadeh dans un entretien récemment accordé à SlateAfrique, la chute de Zaouïa illustre l’impact de l’entrée dans le conflit de la tribu des Zintane aux côtés des rebelles. Après avoir longtemps tergiversé et négocié avec le régime, cette tribu, qui a une longue histoire guerrière derrière elle –c’est notamment elle qui s’est opposée à l’envahisseur italien dans les années vingt et trente –a finalement pris les armes contre Kadhafi et ce sont ses hommes qui sont visiblement entrés dans Tripoli. Au passage, on relèvera que les Zintane, ancrés à l’ouest du pays, restent plus ou moins autonomes vis-à-vis du CNT en raison de la prégnance d’hommes originaires de l’est, et notamment de Benghazi, au sein de cette instance. Une réalité régionale qui risque de peser lourd dans l’après-Kadhafi…
L'aide de l'Otan
Un troisième élément concernant la chute de Tripoli doit être considéré avec prudence mais ne pas être négligé. Sur la blogosphère maghrébine, des témoignages, souvent anonymes et, surtout, non confirmés, affirment que des troupes spéciales de l'Otan (françaises, britanniques et américaines) auraient ouvert la voie aux rebelles, un peu à l’image de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire en février dernier. Cela expliquerait la fulgurance de l’assaut contre Tripoli mais, là encore, il faut se méfier de la bataille de communication qui fait rage entre pro et anti-Kadhafi. Témoin la manière dont Al-Jazeera et d’autres chaines d’information hostiles à Kadhafi ont couvert la prise de Tripoli. Ainsi, a-t-on pu voir une foule en liesse à Benghazi –où étaient brandis des drapeaux français et des portraits de Nicolas Sarkozy (!)– alors que les images en provenance de Tripoli étaient rares, tournaient en boucle et consistaient en des plans serrés sur des hommes en armes. Ainsi, la joie dans la rue de Benghazi a-t-elle été mise en exergue pour masquer le fait que la population de Tripoli est restée chez elle et qu’elle n’a pas accueilli les rebelles avec des fleurs. Dans une situation où le CNT est censé avoir remporté seul la victoire, des informations concernant la participation de troupes spéciales occidentales auront du mal à franchir l’obstacle de la communication contrôlée…
Akram Belkaïd
SlateAfrique
A Benghazi, un homme fête la victoire des rebelles libyens à Tripoli le 22 août 2011. REUTERS/Esam Al-Fetori
Mais que s’est-il vraiment passé en Libye au cours de ces derniers jours? Alors que le sort de Mouammar Kadhafi demeure incertain (arrestation, fuite ou exil négocié), il est impossible de ne pas s’interroger à propos de la séquence d’événements qui ont conduit à la prise de la presque totalité de la ville de Tripoli par les troupes du Conseil national de transition (CNT).
Petit retour en arrière. Fin juillet, le CNT lance une offensive en plusieurs points de l’Ouest du pays qui est violemment contrée par les troupes loyalistes. Au même moment, Abdel Fatah Younès, ancien ministre de l’Intérieur de Kadhafi, devenu chef des opérations militaires du camp rebelle après sa défection le 22 février, est tué à Benghazi dans des circonstances encore non élucidées.
Il n’en faut pas plus pour que les soutiens occidentaux du CNT s’inquiètent de l’évolution de la situation. Dans la presse occidentale, plusieurs éditoriaux avancent l’idée que seules des négociations entre les rebelles et le régime Kadhafi sont susceptibles de mettre fin au conflit. Le CNT lui-même reconnaît de manière implicite qu’il est engagé dans des discussions avec le régime de Tripoli. Bref, l’idée que les rebelles sont incapables de venir à bout de Kadhafi fait presque l’unanimité.
Un assaut fulgurant et la prise de Tripoli
Comment alors expliquer que, trois semaines plus tard, ces derniers aient pu aussi facilement investir la capitale libyenne au point que l’envoyé spécial du New York Times compare leur attaque à une ballade en voiture du dimanche? Bien entendu, il est encore trop tôt pour savoir ce qui s’est réellement passé et pour connaître les raisons réelles de ce qui apparaît comme étant l’effondrement brutal du régime de Kadhafi. Un effondrement symbolisé par la capture de son fils Saïf al-Islam (d’ores et déjà réclamé par la Cour pénale internationale -CPI) mais aussi par la reddition de son fils aîné Mohamed dont on a cru un instant qu’il avait été tué alors qu’il intervenait en direct sur Al-Jazeera.
Pour autant, on peut toutefois citer trois éléments qui ont certainement influé sur le cours des événements. En premier lieu, il y a, comme l’a rapporté la presse américaine, l’intensification au cours de ces derniers jours des bombardements de l’Otan. L’aviation étasunienne aurait ainsi apporté son soutien à l’offensive des rebelles dans l’Ouest et contribué à désorganiser encore plus les troupes loyalistes. Un scénario qui rappelle les derniers de l’intervention de l’alliance atlantique contre le régime serbe de Milosevic à la fin des années 1990.
L’autre élément est certainement la prise par les rebelles de Zaouïa (Zawya) le 14 août dernier. Pratiquement passée inaperçue, la chute de cette ville à cinquante kilomètres à l’ouest de Tripoli a peut-être été le catalyseur de l’effondrement du régime de Kadhafi. En l’investissant, les rebelles ont en effet coupé un axe stratégique entre Tripoli et la frontière tunisienne. De même, comme l’a expliqué l’ex-diplomate français en Libye Patrick Haimzadeh dans un entretien récemment accordé à SlateAfrique, la chute de Zaouïa illustre l’impact de l’entrée dans le conflit de la tribu des Zintane aux côtés des rebelles. Après avoir longtemps tergiversé et négocié avec le régime, cette tribu, qui a une longue histoire guerrière derrière elle –c’est notamment elle qui s’est opposée à l’envahisseur italien dans les années vingt et trente –a finalement pris les armes contre Kadhafi et ce sont ses hommes qui sont visiblement entrés dans Tripoli. Au passage, on relèvera que les Zintane, ancrés à l’ouest du pays, restent plus ou moins autonomes vis-à-vis du CNT en raison de la prégnance d’hommes originaires de l’est, et notamment de Benghazi, au sein de cette instance. Une réalité régionale qui risque de peser lourd dans l’après-Kadhafi…
L'aide de l'Otan
Un troisième élément concernant la chute de Tripoli doit être considéré avec prudence mais ne pas être négligé. Sur la blogosphère maghrébine, des témoignages, souvent anonymes et, surtout, non confirmés, affirment que des troupes spéciales de l'Otan (françaises, britanniques et américaines) auraient ouvert la voie aux rebelles, un peu à l’image de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire en février dernier. Cela expliquerait la fulgurance de l’assaut contre Tripoli mais, là encore, il faut se méfier de la bataille de communication qui fait rage entre pro et anti-Kadhafi. Témoin la manière dont Al-Jazeera et d’autres chaines d’information hostiles à Kadhafi ont couvert la prise de Tripoli. Ainsi, a-t-on pu voir une foule en liesse à Benghazi –où étaient brandis des drapeaux français et des portraits de Nicolas Sarkozy (!)– alors que les images en provenance de Tripoli étaient rares, tournaient en boucle et consistaient en des plans serrés sur des hommes en armes. Ainsi, la joie dans la rue de Benghazi a-t-elle été mise en exergue pour masquer le fait que la population de Tripoli est restée chez elle et qu’elle n’a pas accueilli les rebelles avec des fleurs. Dans une situation où le CNT est censé avoir remporté seul la victoire, des informations concernant la participation de troupes spéciales occidentales auront du mal à franchir l’obstacle de la communication contrôlée…
Akram Belkaïd
SlateAfrique
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