mardi 20 décembre 2011

RDC: Tshisekedi fait toujours de la résistance

L’opposant historique congolais se déclare à nouveau «président élu» malgré la proclamation officielle de la victoire du sortant Joseph Kabila. Le Sphinx veut prêter serment le 23 décembre.

Etienne Tshisekedi, le 27 novembre. REUTERS/Finbarr O'Reilly
 
18 décembre 2011, à la résidence d’Etienne Tshisekedi, à Kinshasa. L’opposant de 79 ans arrive en costume sombre, cravate du même ton sur chemise blanche. L’un de ses fameux bérets sur la tête, il prend place à une table en bois où est punaisé le drapeau de la République démocratique du Congo.

Le Sphinx n'a pas dit son dernier mot

Au travers, on aperçoit un tissu aux couleurs de son parti: l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), qu’il a fondé en 1982. Derrière lui, sur une hampe, un autre drapeau de l’ex-colonie belge.
«Bienvenue à la présidence de la République démocratique du Congo», annonce, grave, Albert Moleka, directeur de cabinet d’Etienne Tshisekedi, qui fut Premier ministre du dictateur Joseph Mobutu Sese Seko (1965-1997), avant de devenir son plus grand opposant.
Puis l’assistance, dont plusieurs cadres du parti sur leur 31, se lève et entonne «Debout Congolais», l’hymne du pays. La voix légèrement enrouée, le corps droit et raide, Etienne Tshisekedi chante les mains jointes devant lui.
L’opposant historique commence son discours devant les micros des journalistes congolais et internationaux. Il rappelle que le 28 novembre ses «compatriotes» ont témoigné d’un «enthousiasme et même une effervescence» en se rendant aux urnes pour élire leur président parmi les onze prétendants en lice —dont le sortant Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001 après la mort de son père, et élu en 2006.
Les résultats provisoires complets annoncés le 9 décembre par la Commission électorale donnent gagnant le fils du rebelle Laurent-Désiré Kabila, 40 ans, avec 48,95% des voix, contre 32,33% pour Etienne Tshisekedi, arrivé second.

La farce électorale

La Cour suprême, une «institution privée de Kabila» selon l’opposant, a confirmé ces chiffres. Mais le «Sphinx de Limete», du nom de sa commune à Kinshasa, les a jugé «fantaisistes» et s’est autoproclamé «président élu».
Ses militants le soutiennent. Devant sa résidence, quelques centaines d’entre eux, pour la plupart jeunes, sont en liesse. Certains portent de fines branches feuillues, faute de feuilles de palmier, signe de fête et de joie.
«Tshisekedi président! Tshisekedi président!», chantent-ils à pleins poumons, alors que les policiers chargés de sa sécurité peinent à contenir la foule d’où émergent des mains faisant le «V» de la victoire.
 «Ici, c'est un peu comme un quartier présidentiel», conclut un habitant de Limete qui observe la scène de loin.
Face à la presse, Etienne Tshisekedi rappelle que plusieurs pays ont émis des doutes sur la véracité des résultats, et que des «observateurs étrangers et nationaux ont tous taxé ces résultats de faux». Des conclusions du Centre Carter et de l’Union Européenne, notamment, évoquent des «irrégularités» plus ou moins graves, sans estimer ou indiquer que leur ampleur est de nature à changer l’ordre d’arrivée des candidats.
Pour obtenir gain de cause, Etienne Tshisekedi compte sur l’appui de la communauté internationale et explique que les Congolais doivent garder leur «calme» et leur «sérénité» car «quelqu'un qui est vainqueur ne s'agite pas, ne se trouble pas, au contraire il reste serein».
Interrogé sur un appel ou non à manifester, il répond:
«Je n'appelle pas. Je n'ai pas besoin de les appeler».
Mais il précise que ses compatriotes peuvent «manifester leur sentiment de la manière qu'ils veulent».

Un pays pour deux présidents

A quand l’investiture? Etienne Tshisekedi révèle qu’il va «prêter serment le vendredi prochain devant le peuple congolais réuni au stade des Martyrs» de Kinshasa, enceinte de 80.000 places où quatre chars de combat étaient postés dans l’après-midi. L’annonce déclenche une salve d’applaudissements.
Et tandis que tout regroupement d’opposant est directement dispersé, parfois violemment, plusieurs militants se disent prêts à se rendre au stade.
«C’est Tshisekedi le président élu du peuple. Et les militaires sont d’accord avec lui. Combattants jusqu’à la mort! Même s’il y a la police, on va y aller seulement», débite une jeune fille de 23 ans.
 «Nous allons protester contre ce hold-up électoral!», crie un autre partisan.
Les applaudissements sont également nourris quand le discours d’Etienne Tshisekedi se durcit à l’endroit du «fauteur en eaux troubles» Joseph Kabila.
«Je vous demande à vous tous de rechercher ce monsieur partout où il est dans le territoire national et de me l'amener ici vivant» et «ligoté», lance-t-il en promettant une «récompense très importante», et sur un ton dont on ne sait pas s’il est vraiment sérieux.
Enthousiasme encore lorsqu’il annonce que «le gouvernement de monsieur Kabila est démis depuis ce jour», et appelle les officiers, sous-officiers, caporaux, soldats, les policiers et les fonctionnaires à «n'obéir qu'à l'autorité légitime» afin que le «Congo puisse à jamais quitter la voie du désordre, de la corruption et des antivaleurs pour s'engager définitivement sur la voie du développement».
A la majorité présidentielle (MP) on ne mâche pas ses mots.
«C'est une énième scène de la vaste blague de monsieur Etienne Tshisekedi. (…) En soi fatigué politiquement, il est en train d'exercer une réelle rébellion contre les institutions de la république établies», déclare le secrétaire général de la MP, Aubin Minaku, qui doute que le leader de l’UDPS mobilisera de nombreux habitants.
«Tshisekedi recherche un déferlement populaire afin qu'il y ait des bévues du côté de la police. Ça, ça ne se fera pas parce que nous avons pris des dispositions. La police ne tombera pas dans ce piège. Tshisekedi voudrait qu'il y ait un chaos afin qu'il puisse prendre le pouvoir», commente Aubin Minaku, avant de réaffirmer la loyauté des forces de l’ordre et de dénoncer l’appel «infractionnel, criminel» de l’opposant.
Ce climat ne rassure guère l’habitant de Limete.
«On vit dans la peur. [Depuis quelques semaines] il y a les barricades des militants, et des gaz lacrymogènes et des balles crépitent quand des policiers affectés ailleurs viennent les disperser. Le problème dans cette histoire, c’est qu’on sait comment ça commence, mais pas comment ça se termine.»
Habibou Bangré, à Kinshasa
SlateAfrique

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