dimanche 25 décembre 2011

Tshisekedi prête «serment» dans le chaos

Etienne Tshisekedi n’a jamais pu regagner le stade des Martyrs de Kinshasa pour «prêter serment» comme président autoproclamé de la RDC. Reportage.

De jeunes sympathisants d'Etienne Tshisekedi à Kinshasa, le 23 décembre. © Stringer/Reuters
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Le 9 décembre, l’opposant historique congolais, Etienne Tshisekedi, s’autoproclame «président élu»: la Commission électorale (Ceni) vient d’annoncer la réélection de Joseph Kabila avec 48,95% des voix, mais, lui, dénonce des «irrégularités», également constatées par des observateurs nationaux et étrangers. Une semaine après, le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), officiellement arrivé second avec 32,33% des suffrages, déclare qu’il prêtera «serment» le 23 décembre au stade des Martyrs de Kinshasa, le plus grand de la capitale. Mais le jour-J, les autorités estiment que la «farce» de l’opposant de 79 ans a assez duré. Les militants se sont heurtés à un lourd dispositif sécuritaire quand ils ont voulu se rendre au stade des Martyrs, que l’opposant autoproclamé «président élu» n’a jamais pu regagner.
«Nous avons reçu des instructions: les journalistes ne sont pas autorisés à couvrir ce qui se passe avant la manifestation», confie peu avant 7h du matin un colonel de police. Plusieurs dizaines de policiers quadrillent la zone de la résidence d’Etienne Tshisekedi, à Limete, une commune dans l’est de la capitale. Eux n’approchent pas de la résidence à proprement parler: d’autres policiers y sont postés pour assurer la sécurité du principal rival de Joseph Kabila. Quelques minutes plus tard, le colonel revient.
«J’ai une nouvelle. Il n’y aura pas de manifestation. Pas de déclaration», affirme-t-il.
Est-ce que l’ex-Premier ministre, puis farouche opposant du dictateur Mobutu Sese Seko pourra se rendre au stade des Martyrs? «Il est libre, personne ne l’empêche!», poursuit le colonel avec un léger sourire. Mais il n’atteindra jamais l’enceinte de 80.000 places.
«Il y a déjà un président élu qui a prêté serment (le 20 décembre, ndlr). On ne peut pas prêter serment à nouveau, c'est un acte de subversion. On doit empêcher cet acte contraire à la Constitution», déclare à l'AFP une source policière.

Il faut montrer patte blanche

Pendant ce temps, les allées et venues des habitants vivant aux alentours d’Etienne Tshisekedi sont contrôlées. En quittant le périmètre de la résidence, des pick-up de policiers dispersent, comme depuis plusieurs semaines, tout regroupement d’opposants ou présumés comme tels.
«Nous, nous allons au rendez-vous parce que nous revendiquons la victoire. Tshisekedi a gagné et nous avons besoin qu’il nous parle! Si Kabila a vraiment été élu, comment il peut faire ça?», se désole un partisan du «Sphinx de Limete» qui se dirige à pieds vers le stade des Martyrs.
Le ciel est gris, le soleil lourd et l’air, légèrement chargé de gaz lacrymogène. Des dizaines d’autres «combattants» prennent la même direction, veillant à ne pas attirer l’attention. Près du stade, quelques centaines de militants investissent des ruelles pour tenter une percée. Mais le dispositif sécuritaire est important et imposant. Les chars disposés depuis près d’une semaine aux abords de l’édifice sont débâchés, et des éléments de la Garde républicaine, affectés à la sécurité du chef de l’Etat, s’y tiennent debout. Et sur Triomphal, la grande artère passant devant le stade, des policiers à pied, en pick-up et en camions restent aux aguets face aux contestataires, pour certains équipés de grosses pierres.

Intimider les protestataires

«Des chars pour quoi faire? Nous ne sommes pas en guerre!», s’énerve un jeune homme. «Ils sont déployés à gauche à droite. Qu’ils envoient ça à l’Est, là où il y a la guerre!», enrage un autre. «C’est notre stade! Nous irons!», s’égosille une jeune fille.
Mais à chaque tentative, les forces de l’ordre interviennent. Elles arrivent à vive allure pour effrayer les protestataires, parfois elles pilent, descendent et se mettent en chasse d’opposants. Ceux qui sont attrapés sont jetés dans des pick-up, et parfois calmés avec des coups de pied et de crosse d’arme.
«Je ne veux pas que les gens soient blessés, explique un policier à la foule décidée à se rendre au stade. Retirez-vous! Les militaires sont armés et nous ne voulons pas qu’il y ait des morts. Nous ne le voulons pas!»
Les partisans applaudissent, se retirent un court instant en voyant les renforts arriver, puis ressortent et poussent des cris de joie. «Tshitshi président!» ou «Oh Etienne! Oh Etienne!», chantent-ils en s’arrachant un drapeau où apparaît le visage du leader de l’UDPS, qui briguait la magistrature suprême avec dix autres candidats.

Ne pas perdre la face

Cette fois, ce sont les militants qui entament le dialogue avec les policiers. «On est en train de se battre pour vous! Nous n’avons pas voté pour Kabila», disent-ils. Nouvelle arrivée de renfort, nouvelle fuite. Pendant l’accalmie, un vendeur d’eau en sachet hèle les potentiels clients, une jeune femme cire les chaussures d’un passant et une autre propose une manucure. «J’habite à côté. Ma fille est malade, laissez-moi partir», implore un homme interpellé brièvement. Puis un pick-up s’arrête à quelques mètres. Des policiers tirent en l’air.
Dans sa résidence de Limete, Etienne Tshisekedi capitule à moitié. Faute de stade, il prête «serment» chez lui devant quelques militants et cadres du parti.
«Je jure solennellement de respecter la Constitution et les lois de la République et de défendre son unité nationale et l'intégrité de son territoire», a-t-il dit, la main droite levée et la gauche sur une bible.
Dans une brève allocution, il déclare:
«Ce jour du 23 décembre 2011 représente pour le peuple congolais l'aboutissement de 30 ans de lutte pour la démocratie et l'Etat de droit. (…) Votre confiance ne sera pas déçue. Nous allons construire un pays, notre pays, plus beau qu'avant.»
Etienne Tshisekedi a promis de rendre prochainement public un «programme de gouvernement». Plusieurs de ses partisans le soutiennent encore, mais d’autres se lassent de la violence. A l’image de cet homme au polo noir rayé, devant un marché près du stade. «Nous avons voté Tshisekedi parce que nous avons besoin de changement», lance-t-il alors que le président Joseph Kabila promet une «révolution de la modernité», qui prévoit notamment des réformes sociales. «Mais nous voulons la paix! Surtout, nous voulons la paix!», conclut-il, les yeux rougis par le gaz lacrymogène.

Habibou Bangré, à Kinshasa
SlateAfrique

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