le 28 mai 2012.
Après le Nord-Kivu où de violents combats opposent des troupes loyalistes aux rebelles du M23, les groupes armés de l’Ituri ont décidé à leur tour d’entrer dans la danse. Ils ont décidé de se coaliser au sein d’un mouvement, Coalition des groupes armés de l’Ituri (Cogai).
Parmi les revendications, l’érection de l’Ituri en province. Une demande qui cache bien d’autres.
La période d’accalmie observée dans le district de l’Ituri n’aura été que de courte durée. Comme dans le Nord-Kivu voisin, le district de l’Ituri, dont les principaux leaders ont toujours revendiqué son érection en province autonome, s’est finalement joint à l’actualité.
En effet, des groupes armés encore actifs dans le district ont décidé de s’unir autour d’une seule cause : la défense de leur district.
Des sources concordantes renseignent que quatre groupes armés de l’Ituri se sont joints au mouvement, dénommé Coalition de groupes armés de l’Ituri (Cogai). Sans d’autres précisions, les mêmes sources indiquent que le mouvement est piloté par un colonel dissident Matata Banaloki, alias Cobra.
Le mouvement ne cache pas ses ambitions. Dans leurs revendications, il réclame notamment au gouvernement congolais une amnistie en faveur de tous les miliciens opérant en Ituri et la reconnaissance de ce district comme province de la RDC. Ces miliciens réclament aussi la création d’une région militaire en Ituri dirigée par un originaire de ce district.
En dehors de la Force de Résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) de Cobra Matata, les autres groupes armés qui ont signé l’acte de création de la coalition sont : le Front populaire pour le développement durable de l’Ituri d’Eneko Kila ; la Force armée pour la révolution d’un certain Kabuli ; les Forces armées d’Intégration de l’Ituri d’un certain Charité Semire.
De même que dans le Nord-Kivu où des mutins du M23 sont entrés en rébellion avec les forces loyalistes, les milices membres du Cogai sont constituées pour la plupart, indique-t-on, des déserteurs des Forces armées de la RDC (FARDC).
ANGUILLE SOUS ROCHE
La résurgence de ces nouvelles tensions dans l’Ituri a certainement une explication. Longtemps en veilleuse, le volcan de l’Ituri vient d’entrer en ébullition. Par effet domino, l’Ituri a donc décidé d’emboiter le pas au Nord-Kivu. La proximité aura été pour beaucoup dans la création de cette nouvelle dynamique.
Par contre, le moment choisi soulève bien des interrogations. Pourquoi avoir entendu pendant si longtemps pour s’engager sur cette voie ? Sur quoi la Cogai, nouvelle coalition des groupes armés de l’Ituri, fonde-t-elle sa légitimité ? Autant des questions sur ce qui passe pour «l’hydre» de l’Ituri.
Car, depuis longtemps, les guerres de l’Ituri ont eu, entre autres, pour soubassement des divergences ethniques. C’est autour de cette identité culturelle que Hema et Lendu, deux ethnies majoritaires dans le district, se sont empoignés, sans au départ inclure des aspects politiques dans leurs revendications.
Aujourd’hui, la Cogai, qui entend défendre ce district, a inscrit clairement la dimension politique dans son combat. C’est notamment lorsqu’elle revendique l’érection de l’Ituri en une province – question pourtant réglée par la Constitution de la République. En plus, la coalition réclame une amnistie générale aux milices opérant dans le district. Véritable défi au Gouvernement central.
Autant des revendications qui font penser à un combat d’arrière-garde. Il y a certainement anguille sous roche. Et, comme dans le Nord-Kivu dès les premiers jours du M23, l’on devait s’attendre à la création d’un mouvement plus vaste, bien organisé qui, plus tard, devait se muer en une rébellion – telle qu’on en a connu bien avant dans cette partie de la République.
Ces interrogations en appellent également d’autres. Qu’est-ce qui fait finalement la spécialité de l’Ituri ? Pour autant qu’il est avéré aujourd’hui que les guerres à répétition dans l’Est ont toujours eu des ramifications dans le contrôle et l’exploitation des ressources naturelles de cette partie de la RDC.
Dans un document intitulé : « Le conflit en Ituri », Koen Vlassenroot et Tim Raeymaekers effleurent le problème. Ils rappellent qu’au-delà de vieux ressaisissements ethniques entre Hema et Lendu « la guerre de l’Ituri est une illustration parfaite du glissement vers un nouveau type de conflit dans lequel des armées nationales, des mouvements de libération et des idéologies politiques sont remplacés par des seigneurs de guerre, des réseaux économiques informels et des commandants d’armées rapaces ou cupides».
Comme problématique à leur analyse, ils sont partis de l’hypothèse que « l’irruption de la violence en Ituri doit être comprise comme le résultat de l’exploitation par des acteurs locaux et régionaux d’un conflit politique local profondément enraciné autour de l’accès à la terre, aux ressources économiques disponibles et au pouvoir politique ».
« Aujourd’hui, pensent-ils, la guerre est utilisée par ces acteurs comme un moyen de réorganiser l’espace socio-économique local et de contrôler la mobilité à l’intérieur et entre ces espaces ».
Ainsi, comme dans le Nord-Kivu, c’est encore et toujours autour des ressources naturelles que se justifie aujourd’hui la création d’une pseudo-coalition dans l’Ituri, soi-disant pour défendre les intérêts du district.
En fait, les vrais enjeux sont ailleurs. Ils ne sont pas ceux des populations locales, plutôt ceux des tireurs des ficelles, des multinationales tapies dans l’ombre, qui n’ont pour seule visée que l’exploitation des ressources naturelles de l’Ituri. Les revendications dont se réclame la Cogai ne sont pas identitaires. Ils sont essentiellement économiques et gravitent autour des puits de pétrole et des mines d’or de ce district.
Avec le regain des tensions en Ituri, Kinshasa aura à se battre sur deux fronts. D’un côté, il y a les rebelles du M23 qui lui réclament le respect de l’accord de Goma, et de l’autre, il y a la coalition des groupes armés de l’Ituri qui jurent de s’affranchir de la forte mainmise de Kinshasa en obtenant l’érection du district en province.
Quelle sera alors l’attitude de Kinshasa ? Le suspense reste encore entier. En attendant, le Gouvernement doit vite se ressaisir pour barrer la route aux aventuriers de tous bords qui s’évertuent depuis un temps à remettre en cause l’autorité de l’Etat.
Dans un article portant sur l’Ituri, International Crisis Group a, après avoir cerné le problème de l’Ituri, proposé des voies de sortie. Pour l’instant, notait-il, le processus de paix a surtout profité aux chefs de guerre et aux hommes politiques, sans traitement approfondi des causes profondes du conflit. Il est grand temps, préconisait-il, que l’ensemble des élus nationaux, provinciaux et leurs partenaires internationaux s’y attèlent, afin de prévenir toute reprise de la violence et consolider les gains de stabilité acquis pendant la transition.
Ainsi que du temps de Lubanga, l’ombre de Bosco Ntaganda plane encore sur ce qui se trame dans l’Ituri. Tant qu’il sera en liberté, Ntaganda restera un danger pour la stabilité de l’Est. A Kinshasa de s’activer pour le neutraliser le plus rapidement possible.
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