Au pied de Montmartre, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le quartier de Château-Rouge est un véritable carrefour des cultures africaines.
Metro Château Rouge at Night by Milliped via Wikicommons
C’est pratiquement un carrefour, différentes origines se rencontrent.
La descente du métro n’est pas aisée. Il y a du monde à la porte de sortie. Un bouchon.
Deux dames, Caddies remplis en main, tentent d’entrer par la porte de sortie. Visiblement, elles n’ont pas leur titre de transports. Elles ne sont pas les seules. A la porte d’entrée, une autre s’emporte parce que son titre de transport n’est pas validé. Elle traîne et une queue se forme derrière elle.
De l’autre côté de la barrière, trois agents de contrôle de la RATP (Régie autonome des transports parisiens) sont en poste. Bras croisés, l’un d’eux rigole de la scène. Deux jeunes gens sont arrêtés, ils sont passés sans titre de transport.
«D’habitude, les gens n’aiment pas payer à cette station de métro. On va essayer de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat», lance un contrôleur.Deux longues filent se forment aux distributeurs des tickets et un autre au guichet. Après un peu plus d’une demi-heure, ils lèvent l’ancre.
«On va à Barbès pour que l’argent puisse aussi entrer dans cette station. Au revoir et bonne soirée», poursuit un autre agent alors qu’ils ravalent les escaliers pour prendre le métro.Ouf de soulagement! Certaines personnes n’attendaient que le départ de ces agents. Jeunes gens et femmes, même des personnes âgées, passent par-dessus les tourniquets, alors qu’on leur tient la porte de l’autre côté. Les plus petits passent en dessous.
A peine sortie du métro:
«Mayi chaud, mayi chaud», crie un vendeur. Entendez, maïs chaud.Chacun son affaire. Le registre alimentaire n’est pas en reste. «Cinq safu à deux euros, deux euros…» Ces vendeurs à la sauvette et ambulant traînent leurs marchandises dans des Caddies. D’autres les portes soit autour de la taille ou au dos comme des bébés.
«Ceinture, ceinture. Montre de marque à 30 euros», poursuivent d’autres.
Une femme, avec scarification au visage, henné aux pieds, un bébé au dos, remballe précipitamment ses maïs dans un sachet qu’elle enfonce dans le Caddie.
C’est parti!
La police dépassé
Elle presse le pas pour échapper aux policiers municipaux qui viennent de se garer. «Vous êtes contents de voir ce désordre qu’il y a ici?», demande l’un des policiers accompagné de sa collègue. «Non. On est là pour remettre de l’ordre. On ne peut pas toujours laisser faire», lâche-t-il.C’est la chasse aux vendeurs à la sauvette qui est lancée.
«Les policiers sont un peu dépassés, vu le manque d’effectifs et ils en ont un peu marre de jouer au chat et à la souris», estime Antoine, un habitant du quartier.Non loin, un fourgon banalisé est stationné comme si de rien n’était. Une vendeuse se fait surprendre. Sa marchandise est saisie, alors qu’elle a pu s’échapper des mains des policiers en tenue civile. Elle déboule comme une athlète qui saute une haie pour éviter les cartons qui jonchent la rue Poulet.
Certains vendeurs utilisent des bennes à ordures comme étalage. «Carolight, carolight», murmure une vendeuse qui descend la rue Poulet avec de fréquents arrêts. Le Carolight est une gamme de produits éclaircissants. Elle alerte d’autres vendeurs distraits que la police est déjà là.
Sur le trottoir d’en face, un homme se fait prendre, sa marchandise avec.
«Regarde bien ce qu’il y a dans son sac, s’énerve un policier. Vous n’avez pas le droit de vendre ici».Mathilde, dans la vingtaine, n’est pas de l’avis des policiers.
«Pourquoi s’en prennent-ils à des gens qui ne cherchent qu’un moyen de vivre? Au lieu de ça, ils n’ont qu’à lutter contre les prostituées qui nous envahissent le soir, peste cette étudiante. Le soir, il y a plein de filles (d’origine africaine), qui ne vont pas loin avec leur client. Il n’est pas surprenant d’entendre des gémissements et ça peut couiner pas loin de cette grille.»Les rues environnantes, Poissonnier et Marcadet, n’échappent pas à ce phénomène.
Milieu interculturel
Ce quartier de Paris grouille de monde d’origine diverse, surtout d’Afrique. Africains du Nord, de l’Ouest et de l’Afrique centrale se côtoient.Quelques Français aussi sont visibles dans le coin.
L’un d’eux, Antoine, qui porte sa fille trouve que vivre à Château-Rouge, «au delà du fait d’être une minorité, c’est un beau milieu de culture, parce qu’il y a plusieurs cultures, un brassage où beaucoup de cultures qui se mélangent».
Parfois, dans ce quartier qui n’est rouge que de nom, Antoine et son voisin d’immeuble semblent accuser le poids des regards étrangers comme certains Africains, minoritaires, en France.
«A l’inverse de certaines minorités qui se sentent un peu isolées en France, en vivant dans ce quartier, on se sent un peu isolé. Mais, je n’aime pas utiliser le mot envahi», explique-t-il.Certaines frictions peuvent urvenir du fait des différences culturelles.
«On est parfois stigmatisé. Par exemple, si tu fais un reproche à quelqu’un qui pisse dans la rue, parce que certains le font, tu vas te faire traiter de sale blanc ou de raciste», poursuit-il.
Quartier des commerces africains
Certaines rues à Château-Rouge ressemblent à des marchés à ciel ouvert et rappellent des marchés en Afrique, comme celui de Kinshasa, République démocratique du Congo, comme Gambela, ou le Grand-marché du centre ville.Les boutiques des produits exotiques se succèdent.
«Si tu cherches n’importe quoi ailleurs, il faut aller à Château rouge, tu trouveras», confie une dame qui vient chaque semaine y faire ses emplettes.A côté de ces boutiques, bars et magasins de vente de musique africaine sont présents. L’un des commerçants dans cette manufacture de musique, a mis sa musique à fond. Les baffles crachent la musique d’un artiste Congolais. En face de lui, un autre rivalise avec la musique ouest-africaine, de part les sonorités.
Les vendeurs des cartes de communication vers l’Afrique ont aussi des clients. «Je peux avoir une carte pour la Cô-d’ivoire», demande un client, qui a avalé le te, de la Côte d’Ivoire. La gamme de choix est large. Plusieurs cartes permettent d’appeler des pays d’Afrique à un prix réduit.
«Avec le désordre des boutiques et des commerçants, c’est un peu un no man’s land», se plaint Antoine. Chacun fait ce qu’il veut et ne regarde pas plus loin que son nez, fait sa règle, c’est le joyeux bordel.»Les salons de coiffure se taillent aussi une place. Vu leur grand nombre et la clientèle qui est parfois difficile, certains responsables de salons envoient des rabatteurs à la porte du métro pour intéresser les clients potentiels. Dans d’autres, les files d’attentes sont longues et les jetons sont distribués à ceux qui attendent.
Avec l’été et le soleil qui s’annonce, mieux vaut ne pas avoir la phobie du monde.
«Il suffit d’ouvrir la fenêtre pour voir beaucoup de monde et beaucoup de passages. Comme il y a beaucoup de boucheries dans le coin, les odeurs qui montent dérangent souvent, avec des bruits de couteaux. Malgré tout, chacun fait sa vie. On se sent bien.»Pendant ce temps, les cantonniers de la mairie sillonnent les rues pour tenter de donner un peu de propreté à ce quartier où voir la crasse semble presque normal.
Jacques Matand
SlateAfrique
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