le 19 juillet 2012.
Bosco Ntaganda n’est pas un inconnu. Il ne l’est pas pour la Cour pénale internationale qui a délivré deux mandats d’arrêt contre lui: d’abord en 2006, puis une seconde fois le 13 juillet 2012.
Depuis une vingtaine d’années, il est impliqué dans les événements guerriers qui se déroulent en Afrique centrale, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Nombre de situations en RDC où il a été engagé, nombre d’épisodes de sa carrière ont été évoqués par les médias (agences de presse, New York Times, BBC, etc.), par des rapports (International Crisis Group, Human Rights Watch notamment), par des publications universitaires sur les guerres des Kivus (Gauthier de Villers, Jason Stearns, etc…) Tout cela est même déjà résumé par une notice de Wikipédia.
Pourquoi ajouter un post? Parce que ce personnage est typique. Je ne veux pas dire que c‘est un modèle, mais beaucoup d’hommes de guerre ont des carrières et des engagements (civils et militaires) comparables, en RDC et dans d’autres pays d’Afrique où des rébellions ont-ou ont eu- lieu (Somalie, Côte d’Ivoire par exemple).
Il arrive donc couramment que les intervenants humanitaires doivent traiter avec ce type d’hommes qui émergent dans des situations d’affaiblissement de l’État: en témoignent les études de cas présentés dans le livre Agir à tout prix? publié par MSF en 2011.
Voici donc quelques traits caractéristiques d’une carrière d’homme de guerres et d’affaires: il fait ses premières armes au début des années 1990 dans la rébellion rwandaise qui prend le pouvoir à Kigali en 1994.
Des années plus tard, à partir de 2002 et durant trois ans, il s’engage, en Ituri, au côté de Thomas Lubanga dans les forces de l’UPC (Union des patriotes congolais), dont il est nommé chef des opérations – ce mouvement fut successivement allié à l’Ouganda puis au Rwanda.
Les actions meurtrières de l’UPC ont été précisément documentées par Human Rights Watch et d’autres institutions.
Plusieurs rapports précisent le rôle du commandant Bosco. Thomas Lubanga, leader de l’UPC, a été arrêté en 2005, puis transféré à la CPI en 2006: en mars 2012, son procès s’achève, il est déclaré coupable de «l’enrôlement et la conscription d’enfants de moins de 15 ans» et condamné à 14 ans de prison.
En 2006, pour les mêmes motifs, un mandat d’arrêt a été délivré par la CPI contre le désormais général Bosco Ntaganda, qui est donc poursuivi depuis cette date pour crimes de guerre. Cela n’a en rien interrompu sa carrière.
A partir de 2006, il rejoint, au Nord Kivu, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), mouvement rebelle dirigé par Laurent Nkunda, qui lui aussi avait combattu dans les rangs du Front patriotique rwandais au début des années 1990.
Entre 2006 et 2008, les troupes du CNDP mènent plusieurs offensives victorieuses contre les Forces armées de la RDC (FARDC), elles arrivent même aux portes de Goma.
La justification principale donnée par Nkunda à son action est la protection des Tutsis du Congo contre le risque de génocide; en 2008 il déclare une nouvelle ambition: prendre le pouvoir à Kinshasa.
Durant ces années, Bosco Ntaganda monte en puissance et devient commandant des opérations militaires du CNDP. Au début 2009, associé à des hauts gradés de l’armée rwandaise, il participe à un complot contre Laurent Nkunda, qui est attiré au Rwanda où il est arrêté et emprisonné. Ntaganda devient alors le principal commandant militaire du CNDP – une faction fidèle à Nkunda lui résiste en vain.
Pour la période 2009-2012, la carrière, les affaires et les alliances de Bosco Ntaganda sont précisément documentés par les enquêtes que conduit annuellement un «groupe d’experts» des Nations unies sur les réseaux de soutien aux milices du Kivu, sur les ressources dont ces dernières (c’est-à-dire leurs chefs) disposent, sur leurs activités illégales. Des rapports très minutieux sont publiés chaque année.
Je dois ici résumer et schématiser. Le Nord Kivu est situé aux marges d’un État vaste et faiblement contrôlé: Ntaganda tire pleinement parti de cette faiblesse de l’État central.
De 2007 à 2012, il détient des fonctions de commandement dans l’armée officielle (FARDC), et en même temps continue d’exercer un pouvoir, une influence sur les hommes du CNDP qui sont progressivement intégrés aux FARDC (il contrôle des chaînes de commandement parallèles), enfin il dispose de «bataillons cachés», c’est-à-dire d’une puissante milice privée ayant accès à des caches d’armes.
Par ailleurs, selon les rapports des experts, Ntaganda continue d’exercer un pouvoir sur les anciens «fiefs» de Laurent Nkunda, c’est-à-dire impose des prélèvements en échange de sa protection.
Les enquêteurs dressent la liste des activités dont proviennent les ressources de Ntaganda: prélèvement d’une partie des taxes locales et douanières, des impôts collectés sur les routes, implication dans l’extraction, le commerce et la contrebande de minerais, dans le négoce des bois d’œuvre, trafic d’or, contrôle de passages clandestins entre la RDC et le Rwanda, possession d’un hôtel à Goma (le Kivu Light), propriétés foncières et élevage dans le territoire de Masisi (Nord Kivu).
Les enquêteurs établissent une liste extrêmement détaillée, mettent en lumière les alliances et les réseaux qu’entretient le général Bosco Ntaganda pour conduire et développer ces affaires.
En avril 2012, à la suite d’initiatives prises par le gouvernement central pour affaiblir les chaînes de commandements parallèles au sein des FARDC et supprimer les privilèges attachés aux fonctions de plusieurs ex-commandants du CNDP, le général Ntaganda s’attend à son arrestation, les pressions internationales s’accentuent en ce sens, prenant appui sur le mandat d’arrêt délivré par le procureur de la CPI en 2006; Ntaganda s’enfuit dans son ranch au Masisi (7 avril).
Les affrontements entre mutins et FARDC éclatent le 24 avril dans le Masisi. La mutinerie est mise en échec, Ntaganda et ses fidèles se replient vers une zone frontalière du Rwanda et de l’Ouganda. Depuis lors, c’est un autre officier, longtemps fidèle au général Nkunda, qui occupe le devant de la scène des mutins, le colonel Sultani Makenga.
Il crée un nouveau groupe rebelle, le M23, qui, depuis le 6 juillet, avec l’appui du Rwanda (selon une enquête des Nations unies rendue publique fin juin 2012), conduit des offensives victorieuses contre les forces gouvernementales.
Les principales contraintes qui pèsent sur les mutins proviennent non de l’État mais d’institutions internationales, la CPI d’une part, les intervenants civils et militaires mandatés par les Nations unies d’autre part.
Ce récit d’événements et le cas particulier du général Ntaganda illustrent une situation où une partie du pouvoir militaire échappe au contrôle civil, où des chefs de guerre s’approprient sur un territoire les pouvoirs de l’État, en l’occurrence le monopole de la force, le prélèvement de ressources sur la population, le contrôle d’une frontière.
© Reuters/Stringer
Par Marc Le Pape, sociologue, membre du Crash
Bosco Ntaganda n’est pas un inconnu. Il ne l’est pas pour la Cour pénale internationale qui a délivré deux mandats d’arrêt contre lui: d’abord en 2006, puis une seconde fois le 13 juillet 2012.
Depuis une vingtaine d’années, il est impliqué dans les événements guerriers qui se déroulent en Afrique centrale, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Nombre de situations en RDC où il a été engagé, nombre d’épisodes de sa carrière ont été évoqués par les médias (agences de presse, New York Times, BBC, etc.), par des rapports (International Crisis Group, Human Rights Watch notamment), par des publications universitaires sur les guerres des Kivus (Gauthier de Villers, Jason Stearns, etc…) Tout cela est même déjà résumé par une notice de Wikipédia.
Pourquoi ajouter un post? Parce que ce personnage est typique. Je ne veux pas dire que c‘est un modèle, mais beaucoup d’hommes de guerre ont des carrières et des engagements (civils et militaires) comparables, en RDC et dans d’autres pays d’Afrique où des rébellions ont-ou ont eu- lieu (Somalie, Côte d’Ivoire par exemple).
Il arrive donc couramment que les intervenants humanitaires doivent traiter avec ce type d’hommes qui émergent dans des situations d’affaiblissement de l’État: en témoignent les études de cas présentés dans le livre Agir à tout prix? publié par MSF en 2011.
Voici donc quelques traits caractéristiques d’une carrière d’homme de guerres et d’affaires: il fait ses premières armes au début des années 1990 dans la rébellion rwandaise qui prend le pouvoir à Kigali en 1994.
Des années plus tard, à partir de 2002 et durant trois ans, il s’engage, en Ituri, au côté de Thomas Lubanga dans les forces de l’UPC (Union des patriotes congolais), dont il est nommé chef des opérations – ce mouvement fut successivement allié à l’Ouganda puis au Rwanda.
Les actions meurtrières de l’UPC ont été précisément documentées par Human Rights Watch et d’autres institutions.
Plusieurs rapports précisent le rôle du commandant Bosco. Thomas Lubanga, leader de l’UPC, a été arrêté en 2005, puis transféré à la CPI en 2006: en mars 2012, son procès s’achève, il est déclaré coupable de «l’enrôlement et la conscription d’enfants de moins de 15 ans» et condamné à 14 ans de prison.
En 2006, pour les mêmes motifs, un mandat d’arrêt a été délivré par la CPI contre le désormais général Bosco Ntaganda, qui est donc poursuivi depuis cette date pour crimes de guerre. Cela n’a en rien interrompu sa carrière.
A partir de 2006, il rejoint, au Nord Kivu, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), mouvement rebelle dirigé par Laurent Nkunda, qui lui aussi avait combattu dans les rangs du Front patriotique rwandais au début des années 1990.
Entre 2006 et 2008, les troupes du CNDP mènent plusieurs offensives victorieuses contre les Forces armées de la RDC (FARDC), elles arrivent même aux portes de Goma.
La justification principale donnée par Nkunda à son action est la protection des Tutsis du Congo contre le risque de génocide; en 2008 il déclare une nouvelle ambition: prendre le pouvoir à Kinshasa.
Durant ces années, Bosco Ntaganda monte en puissance et devient commandant des opérations militaires du CNDP. Au début 2009, associé à des hauts gradés de l’armée rwandaise, il participe à un complot contre Laurent Nkunda, qui est attiré au Rwanda où il est arrêté et emprisonné. Ntaganda devient alors le principal commandant militaire du CNDP – une faction fidèle à Nkunda lui résiste en vain.
Pour la période 2009-2012, la carrière, les affaires et les alliances de Bosco Ntaganda sont précisément documentés par les enquêtes que conduit annuellement un «groupe d’experts» des Nations unies sur les réseaux de soutien aux milices du Kivu, sur les ressources dont ces dernières (c’est-à-dire leurs chefs) disposent, sur leurs activités illégales. Des rapports très minutieux sont publiés chaque année.
Je dois ici résumer et schématiser. Le Nord Kivu est situé aux marges d’un État vaste et faiblement contrôlé: Ntaganda tire pleinement parti de cette faiblesse de l’État central.
De 2007 à 2012, il détient des fonctions de commandement dans l’armée officielle (FARDC), et en même temps continue d’exercer un pouvoir, une influence sur les hommes du CNDP qui sont progressivement intégrés aux FARDC (il contrôle des chaînes de commandement parallèles), enfin il dispose de «bataillons cachés», c’est-à-dire d’une puissante milice privée ayant accès à des caches d’armes.
Par ailleurs, selon les rapports des experts, Ntaganda continue d’exercer un pouvoir sur les anciens «fiefs» de Laurent Nkunda, c’est-à-dire impose des prélèvements en échange de sa protection.
Les enquêteurs dressent la liste des activités dont proviennent les ressources de Ntaganda: prélèvement d’une partie des taxes locales et douanières, des impôts collectés sur les routes, implication dans l’extraction, le commerce et la contrebande de minerais, dans le négoce des bois d’œuvre, trafic d’or, contrôle de passages clandestins entre la RDC et le Rwanda, possession d’un hôtel à Goma (le Kivu Light), propriétés foncières et élevage dans le territoire de Masisi (Nord Kivu).
Les enquêteurs établissent une liste extrêmement détaillée, mettent en lumière les alliances et les réseaux qu’entretient le général Bosco Ntaganda pour conduire et développer ces affaires.
En avril 2012, à la suite d’initiatives prises par le gouvernement central pour affaiblir les chaînes de commandements parallèles au sein des FARDC et supprimer les privilèges attachés aux fonctions de plusieurs ex-commandants du CNDP, le général Ntaganda s’attend à son arrestation, les pressions internationales s’accentuent en ce sens, prenant appui sur le mandat d’arrêt délivré par le procureur de la CPI en 2006; Ntaganda s’enfuit dans son ranch au Masisi (7 avril).
Les affrontements entre mutins et FARDC éclatent le 24 avril dans le Masisi. La mutinerie est mise en échec, Ntaganda et ses fidèles se replient vers une zone frontalière du Rwanda et de l’Ouganda. Depuis lors, c’est un autre officier, longtemps fidèle au général Nkunda, qui occupe le devant de la scène des mutins, le colonel Sultani Makenga.
Il crée un nouveau groupe rebelle, le M23, qui, depuis le 6 juillet, avec l’appui du Rwanda (selon une enquête des Nations unies rendue publique fin juin 2012), conduit des offensives victorieuses contre les forces gouvernementales.
Les principales contraintes qui pèsent sur les mutins proviennent non de l’État mais d’institutions internationales, la CPI d’une part, les intervenants civils et militaires mandatés par les Nations unies d’autre part.
Ce récit d’événements et le cas particulier du général Ntaganda illustrent une situation où une partie du pouvoir militaire échappe au contrôle civil, où des chefs de guerre s’approprient sur un territoire les pouvoirs de l’État, en l’occurrence le monopole de la force, le prélèvement de ressources sur la population, le contrôle d’une frontière.
© Reuters/Stringer
Par Marc Le Pape, sociologue, membre du Crash
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