A Abidjan, comme dans d’autres villes africaines ou dans les banlieues françaises, le tcha fait fureur. Tcha, c’est en nouchi (le français d’Abidjan), la dénomination du blanchiment de la peau.
Pélagie, 29 ans, le pratique de façon assidue depuis une dizaine d’années. Parce qu’elle trouve ça «joli», parce qu’elle se trouve «plus belle» et aussi «plus sûre d’elle» quand on la regarde dans la rue. «Quand on est claire, on a plus de dragueurs», lance t-elle avec candeur.
En Afrique, mais surtout en Asie, où des pays comme le Japon ou l’Inde, la blancheur est synonyme de réussite sociale.
A côté de ces cosmétiques légaux, on trouve sur un marché parallèle une armada de solutions qui ont la propriété de stopper la fabrication de la mélanine, responsable de la pigmentation qui protège la peau des agressions externes.
Elles sont fabriquées à base de mercure, de corticoïdes, d’hydroquinone (interdite dans l’Union européenne et en Chine) qui, appliquées en doses massives, provoquent des ravages.
A Abidjan, certaines esthéticiennes recommandent des méthodes beaucoup moins radicales, comme des régimes alimentaires à base de fruits et légumes (avocats, carottes, concombres, lait etc.), qui ne font guère recette en raison de la cherté de ces produits. Ou des huiles à base de plantes, qui ajoutées aux pommades blanchissantes, sont censées avoir un effet éclaircissant.
Et, nouvelle arnaque apparue ces derniers temps, des mixtures dont les vendeurs affirment qu’elles sont à base de plantes, refusant d’en dévoiler la composition pour ne pas se faire voler leur «secret». En fait, ces mélanges, d’un commerce très rentable, sont à base de produits chimiques.
Mais est-ce un phénomène purement africain lié à la colonisation de l’Afrique comme le soutiennent certains penseurs? On constate que l’éloge de la blancheur a été pratiqué de manière universelle dans toute l’histoire de l’humanité. Notamment dans les civilisations asiatiques, où elle est toujours en vogue mais moins décriée car la transition chromatique saute moins aux yeux qu’en Afrique.
Sur ce continent, les colons blancs ont propagé l’idéologie de l’infériorité de la race noire pour justifier l’asservissement et l’esclavage des populations locales. Mais, ils ne sont pas restés insensibles aux charmes des autochtones à la grande colère d’un père blanc qui, dès 1667, s’emportait contre la débauche de ses congénères aux Antilles:
Philippe Duval
SlateAfrique
Pélagie, 29 ans, le pratique de façon assidue depuis une dizaine d’années. Parce qu’elle trouve ça «joli», parce qu’elle se trouve «plus belle» et aussi «plus sûre d’elle» quand on la regarde dans la rue. «Quand on est claire, on a plus de dragueurs», lance t-elle avec candeur.
«Bien sûr, je sais que je ne serai jamais blanche. Mais si je peux ressembler à une métisse, ça ne sera pas mauvais parce que les métisses, même moches, ont la cote auprès des hommes et ne passent jamais inaperçues.»Les dangers de la dépigmentation volontaire (de l’acné aux vergetures en passant par le cancer de la peau), Pélagie en a entendu parler mais elle les ignore:
«Il faut laisser ça. Ce ne sont pas les produits de blanchiment qui vont me tuer. Ca peut arriver à quelqu’un qui n’a pas de chance, mais c’est rare. De toute façon on meurt toujours de quelque chose.»Et quand on lui demande si elle rejette la peau noire, elle rétorque:
«Et les blanches qui vont se noircir au soleil, elles renient leur race? L’homme n’est jamais satisfait de ce que Dieu lui donne. C’est ça qui est la vérité.»
Cataplasme de savon acide
«A la place de beauté, c’est problème que j’ai eu, soupire Nina, 32 ans, qui en a fini avec le blanchiment. D'abord mon teint n'était jamais uniforme, raconte t-elle. Et puis j'ai eu plein de boutons sur tout le corps, accompagnés de démangeaisons. Je ne parle pas des vergetures et de mes veines qu'on voyait sur ma peau. On aurait dit vers de terre. Finalement, c'est à l'hôpital que je me suis retrouvé.»Mais comment se blanchissent-elles la peau?
«Quand les filles sont moisies (désargentées), elles peuvent utiliser des méthodes radicales, raconte Marie, pharmacienne à Abidjan. Comme le cataplasme de savon acide sur tout le corps avant la douche. Ou pire encore, l’eau de javel qui provoque des brûlures.»Sur le marché mondial des crèmes éclaircissantes qui draîne plusieurs milliards de dollars par an, il existe toute une panoplie de produits commercialisés par de grandes marques comme L’Oréal, Dior, Nivéa, Unilever…
En Afrique, mais surtout en Asie, où des pays comme le Japon ou l’Inde, la blancheur est synonyme de réussite sociale.
A côté de ces cosmétiques légaux, on trouve sur un marché parallèle une armada de solutions qui ont la propriété de stopper la fabrication de la mélanine, responsable de la pigmentation qui protège la peau des agressions externes.
Elles sont fabriquées à base de mercure, de corticoïdes, d’hydroquinone (interdite dans l’Union européenne et en Chine) qui, appliquées en doses massives, provoquent des ravages.
«Des vitiligos et tâches de dépigmentation sur la peau, des brûlures, des teignes, des dartres, des démangeaisons, des grosses varices, énumère Marie. Sans oublier les mauvaises odeurs corporelles et des conséquences encore plus graves, les risques de cancer, la peau qui ne cicatrise plus après une opération, et même des atteintes du système nerveux central ou d’organe vitaux.»On trouve ces substances en grande quantité sur le Web, ou, en Afrique, dans des pharmacies «par terre», qui écoulent des potions trafiquées à bon marché.
«Les “gos” (les filles) les plus riches ont recours aux injections qui blanchissent, dénonce Marie. Ce sont souvent des médicaments à base de corticoïdes tel que le kénacort80 ou le diprostène injectable dont le blanchissement fait partie des nombreux effets secondaires. Pour se procurer ces produits en pharmacie, où ils ne sont pas disponibles en vente libre, les utilisateurs passent par leurs amis ou parents médecins. Injectés à forte dose, ils ont un effet très décapant qui permet de passer rapidement d’une peau noire à la peau très blanche.»«Le niveau de blanchiment dépend de la quantité de corticoïdes injectés, poursuit Marie. Au bout d’une période plus ou moins longue, l’effet disparaît et on redevient noire. Il faut alors recommencer le processus. Jusqu’à ce que de gros problèmes de santé s’ensuivent.»
A Abidjan, certaines esthéticiennes recommandent des méthodes beaucoup moins radicales, comme des régimes alimentaires à base de fruits et légumes (avocats, carottes, concombres, lait etc.), qui ne font guère recette en raison de la cherté de ces produits. Ou des huiles à base de plantes, qui ajoutées aux pommades blanchissantes, sont censées avoir un effet éclaircissant.
Et, nouvelle arnaque apparue ces derniers temps, des mixtures dont les vendeurs affirment qu’elles sont à base de plantes, refusant d’en dévoiler la composition pour ne pas se faire voler leur «secret». En fait, ces mélanges, d’un commerce très rentable, sont à base de produits chimiques.
«Femme nue, femme noire, Vêtue de ta couleur qui est vie…»On connaît les vers du chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor, qui doit se retourner dans sa tombe en voyant la dépigmentation artificielle se propager comme feu de brousse.
Mais est-ce un phénomène purement africain lié à la colonisation de l’Afrique comme le soutiennent certains penseurs? On constate que l’éloge de la blancheur a été pratiqué de manière universelle dans toute l’histoire de l’humanité. Notamment dans les civilisations asiatiques, où elle est toujours en vogue mais moins décriée car la transition chromatique saute moins aux yeux qu’en Afrique.
L’ardeur de leur feu criminel
Sur ce continent, les colons blancs ont propagé l’idéologie de l’infériorité de la race noire pour justifier l’asservissement et l’esclavage des populations locales. Mais, ils ne sont pas restés insensibles aux charmes des autochtones à la grande colère d’un père blanc qui, dès 1667, s’emportait contre la débauche de ses congénères aux Antilles:
«On ne saurait mieux vérifier le proverbe qui dit que l’amour est aveugle, que dans la passion déréglée de quelques-uns de nos congénères qui se portent à aimer leurs négresses, malgré la noirceur de leurs visages, qui les rend hideuses, et l’odeur insupportable qu’elles exhalent, qui devrait à mon avis éteindre l’ardeur de leur feu criminel…»A voir le nombre d’orphelinats pour métis que les colons français ont laissé derrière eux, on peut en déduire que déjà, à cette époque, «black» était considérée comme «beautiful». Et que, parmi les nombreux dégâts produits par la colonisation, le «complexe de la peau noire» qui provoquerait aujourd’hui le blanchiment n’est pas le plus décisif.
Philippe Duval
SlateAfrique
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