L’artiste congolais signe un Travel Book dans lequel il dévoile sa vision de Paris. Rencontre.
Chéri Samba
est un homme passionné. Passionné et intarissable, lorsqu’il s’agit
d’évoquer son travail et sa vie. Il raconte tout, souvent jusque dans
les moindres détails, avec force gestes et de grands éclats de rire.
Lorsqu’il nous reçoit à Paris, dans les bureaux de son agent, le galeriste André Magnin,
Chéri Samba annonce tout de suite la couleur: son travail et sa vie
sont une seule et même chose.
Dans une longue évocation de ses nombreux
séjours dans la capitale française, il donne aussi le ton: ce qui
l’intéresse c’est de redonner de la couleur à la vie, sans pour autant
rien dénaturer, sans travestir la réalité.
Toute la magie de cet artiste congolais se trouve dans ce jeu
d’équilibriste. Une subtilité qu’il semble avoir voulu mettre en avant
dans l’ouvrage qu’il signe pour la toute nouvelle collection de carnets
de voyage de Louis Vuitton. Le travel book intitulé Paris par Chéri Samba retrace les déambulations du peintre à travers les rues et les quartiers de Paris.
Dans ce livre, Chéri Samba raconte les mystères parisiens avec
humour, et parfois avec un certain sarcasme. Il peint la ville telle
qu’il la voit et telle que les Congolais et les Africains qui ne la
connaissent pas peuvent l’imaginer.
Drôlerie et rêverie
Résultat, des couleurs vives et chatoyantes, lumières et zones
d’ombres, drôlerie et incompréhensions, admiration et étonnement se
dégagent de la centaine de séquences réalisées par le peintre dans la
trentaine de quartiers de Paris et ses environ qu’il a visités…
Ceux les plus courus par les touristes comme les Champs-Elysées,
Montmartre, le Trocadéro ou le Louvre. Ceux qui ne manquent pas non
plus d’attrait comme le canal saint Martin ou le parc Montsouris ou
encore le quartier d’affaires de la Défense.
«J’ai voulu montrer ce que Paris avait de plus beau, mais aussi
de plus secret. J’ai voulu raconter la ville à ma façon, avec ma liberté
et mes a priori, confie l’artiste qui ne découvre pourtant pas la Ville lumière. J’ai fait ce carnet avec l’esprit de quelqu’un qui vient à Paris pour la première fois.»
«Ce que j’ai constaté, en me baladant à travers les quartiers de
Paris et aussi dans le métro, c’est que la peur de l’autre, de la
différence, qui pousse quelques fois au racisme, est toujours présente», regrette celui dont le travail artistique s’est toujours confondu avec la satire sociale et engagement politique certain.
C’est d’ailleurs cette liberté de ton et l’audace qu’il met à décrire
des situations que l’on a souvent vite fait de taire qu’il acquiert une
dimension internationale.
Liberté et inventivité
C’est lors de l’exposition «Les magiciens de la Terre», en 1989, au
Centre Pompidou, à Paris, où il fait sensation, que Chéri Samba rentre
dans le saint des saints de l’art contemporain. Sur le continent, le
public l’érige en héros et les collectionneurs occidentaux se
l’arrachent, il devient vite l’un des «trésors» d’André Magnin. Chéri
Samba finira lui-même par se voir davantage comme un «peintre universel» que comme un «artiste de Kinshasa».
Kinshasa,
la capitale de la République démocratique du Congo, où il débarque en
1972, venant de son lointain village de Kinto M’vuila, pour travailler
comme peintre d’enseignes publicitaires. Il n’a que 16 ans.
Chéri Samba raconte:
«Je suis un autodidacte, je ne suis pas du tout un intellectuel.
D’ailleurs il me faut toujours du temps pour arriver à lire, je suis
lent. Alors, pour gagner du temps, j’invente sans cesse des astuces.
C’est aussi ce qui m’a amené à la peinture.»
On apprendra aussi que c’est cela qui l’a conduit à inventer cette
technique particulière de raconter ce qu’il peint. La peinture de cet
artiste de 57 ans est une peinture à textes.
«J’en suis arrivé à l’idée que le tableau à lui seul ne peut pas
suffire. Et puis ce que j’écris n’est pas forcément ce que l'on voit
dans l’image», prévient-il encore.
Mais ceci est une particularité qui s’ajoute à une autre. Chéri Samba
se met en scène dans toutes ses peintures, c’est sa touche, sa patte.
Narcissime? L’artiste soutient que non:
«Tout ça part d’un malentendu. J’avais mis en scène un
personnage qui s’est avéré très ressemblant avec la réalité. Et j’ai eu
de nombreuses complications à cause de cela. J’ai donc dû me résoudre à
me représenter, moi. Au moins comme cela, j’évitais les ennuis. Et c’est
resté.»
A l’entendre, ce serait donc pour mieux se protéger qu’il aurait
commencé à se mettre en avant dans ses toiles. Ainsi le retrouve-t-on
dans de nombreuses pages de l’ouvrage Paris par Chéri Samba. Il s’y met en scène de la première page à la dernière et dévoile un pan de son intimité.
Ses premiers pas en France, les désagréments de son séjour à Paris,
les nombreux moments de bonheur, ses rencontres. Il raconte aussi ses
débuts à Kin’, où il ouvre un atelier dès 1976 et où, de 1977 à 1981, il
décore un grand hôtel de la capitale de son pays.
Lorsque nous le rencontrons, il revient aussi sur ses rapports tumultueux avec le régime de l’ex-président Mobutu Sese Seko.
Chéri Samba a été arrêté à deux reprises pour ses prises de positions
tranchées et sa dénonciation de la corruption et de l’injustice sociale.
Autant de thèmes qui reviennent dans son œuvre ainsi que le récit de
la vie quotidienne dans son pays. Car Chéri Samba, c’est la fantaisie
dans le style, l’audace dans le ton et la provocation dans les formes
qu’il donne à découvrir au public.
Raoul Mbog SlateAfrique
[La sortie du carnet de voyage «Paris par Chéri Samba» est prévue le 2 mai 2013.]
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