Les apparences sont trompeuses : si, dans la presse rwandaise, les informations en provenance du Congo sont reléguées dans les pages internationales et si les officiels assurent que les remous agitant leur grand voisin ne les concernent guère, la réalité est bien différente.
Mis en accusation par plusieurs rapports de l’ONU décrivant le soutien apporté aux militaires rebelles du M23, le Rwanda, aujourd’hui membre non permanent du Conseil de Sécurité, a été soumis à de fortes pressions et à des mesures de suspension de l’aide d’autant plus douloureuses que près de la moitié du budget est fournie par l’aide internationale.
C’est donc sans barguigner que le président Kagame, en même temps que dix autres chefs d’Etat de la région, a signé le 24 février dernier l’accord cadre d’Addis Abeba s’engageant à ne pas interférer dans les affaires des pays voisins et à ne pas y soutenir de mouvement armé.
C’est au lendemain de cette promesse que le mouvement M23, qui s’était brièvement emparé de Goma en novembre 2012 et n’avait accepté d’évacuer la ville qu’en échange de pourparlers de paix avec une délégation gouvernementale a commencé à se déliter.
Les rebelles se sont scindés en deux blocs antagonistes, chacun accusant l’autre d’avoir été « corrompu » par Kinshasa. Alors que l’aile militaire, menée par le colonel Sultani Makenga, se contentait d’exiger un retour aux conditions de l’accord précédent (signé en 2009) c’est-à-dire de meilleures conditions d’intégration au sein de l’armée congolaise et le retour des réfugiés tutsis vivant au Rwanda, l’aide « politique » menée par le pasteur Runiga, allait plus loin, dénonçant la mauvaise gouvernance, réclamant un changement de régime sinon la tête du président Kabila.
Runiga était soutenu par le général Bosco Ntaganda, qui, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, savait que toute mesure d’amnistie était exclue.
La suite est connue : des affrontements violents mirent aux prises les deux tendances du mouvement M23 jusqu’à ce que, vaincus sur le terrain, Runiga, Bosco Ntaganda et plusieurs centaines de leurs hommes soient obligés de traverser la frontière et de se réfugier au Rwanda.
Ntaganda, dans des circonstances encore mal élucidées, finit par se présenter à l’ambassade américaine à Kigali et demanda à être transféré à la Cour pénale internationale, préférant manifestement les lenteurs de la procédure judiciaire au risque de recevoir une balle dans la tête…
« Terminator » prit ainsi place à bord d’un vol spécial vers la prison de Scheveningen et devant la CPI il devra répondre de crimes contre l’humanité, commis dans l’Ituri en 2002 et 2003 et de recrutement d’enfants soldats.
S’ils se déclarent soulagés, les citoyens du Kivu se gardent cependant de pavoiser trop vite.
En effet, ils ont appris qu’un groupe rebelle pouvait en cacher un autre et que les causes des guerres à répétition étaient loin d’avoir disparu.
Aux appétits du Rwanda, qui a longtemps rêvé d’une sorte de « souveraineté partagée » sur le Nord et le Sud Kivu, d’un accès aux ressources et du maintien d’un glacis sécuritaire, s’ajoutent en effet de nombreux problèmes spécifiquement congolais : les lenteurs de la décentralisation, qui devrait accorder 40% des ressources aux provinces, le clientélisme, la corruption, le manque de fiabilité des forces gouvernementales qui ont été obligées d’intégrer de nombreux groupes armés et qui sont minées par les trahisons et les intérêts personnels, les frustrations politiques nées de la contestation des élections de novembre 2012….
Ce cocktail détonnant a failli, au début 2013, faire exploser le Sud Kivu lorsqu’un homme politique déçu par le résultat de élections, Gustave Bagayamukwe, ancien animateur de l’ADIB (Association pour la défense des intérêts de Bukavu) fonda l’ « Union des forces révolutionnaires du Congo », un mouvement politico militaire composé de civils et de politiques mais surtout de plusieurs groupes armés opérant dans la région, dont des combattants Mai Mai (guerriers traditionnels) dirigés par le quasi mythique combattant « Foca Mike » alias Albert Kahasha.
L’URFC envisageait de se lancer dans la lutte armée en appliquant le même modèle qu’un an plus tôt le M23 : attaquer le Sud Kivu le 12 février 2012 au départ de la ville de Fizi dans le Sud de la province, remonter sur Bukavu via Kamanyola (lieu d’une victoire historique des forces du président Mobutu dans les années 60).
Les combattants de ce mouvement se présentant comme « authentiquement congolais » étaient issus de plusieurs groupes ethniques du Sud Kivu, Bafuleros, Bembe, Bashis et ils capitalisaient sur la malaise social et politique ainsi que sur la baisse de popularité du chef de l’Etat.
Avant d’opérer, les dirigeants du mouvement s’étaient rendus au Nord Kivu, à Bunagana, un village situé sur la frontière entre le Rwanda et l’Ouganda, où ils avaient pris contact avec des dirigeants militaires du M23, dont Sultani Makenga et obtenu l’ouverture d’un couloir d’approvisionnement en armes via le Burundi.
Informées de ce complot, les autorités provinciales de Bukavu mirent M. Bagayamukwe aux arrêts deux jours avant le début de l’opération et l’homme politique fut immédiatement transféré à Kinshasa.
Interrogés par les services congolais, des transfuges accusèrent le Ministre de la Défense du Rwanda, James Kabarebe, d’avoir été « à la manœuvre » et d’avoir personnellement séjourné à Bunagana pour coordonner l’extension de la guerre au Sud Kivu et même au Maniéma.
Ils déclarèrent aussi que les combattants hutus FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) qui sèment la désolation dans la région depuis la fin des années 90 et ont toujours été présentés par le Rwanda comme une menace sécuritaire, étaient sur le point de regagner leur pays d’origine ou, au moins, d’y renvoyer leurs familles (une information confirmée par des sources locales).
Quant aux hommes les plus aguerris, peu désireux de retrouver la vie civile au pays des mille collines, ils seraient prêts à poursuivre des opérations militaires au Congo, à condition de trouver des commanditaires.
Ce qui ne devrait pas être bien difficile, alors que l’autorité de l’Etat peine toujours à s’imposer dans l’Est du pays.
A ces informations qui remontent à quelques semaines s’ajoutent d’autres constats, tout aussi inquiétants: à Bukavu, plusieurs personnalités en vue (des avocats et défenseurs judiciaires, un chef coutumier) ont été abattus à leur domicile par des hommes en armes non autrement identifiés tandis que d’étranges mouvements ont été enregistrés à Nyamukubi, un village sur le lac Kivu, où des hommes ont débarqué d’une pirogue et se sont dirigés les uns vers Bukavu, les autres vers les haut plateaux…
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