Certains
soirs, j’ai l’habitude de m’asseoir dans un bar congolais de mon
quartier, en compagnie de deux ou trois amis, tous de la trentaine, avec
qui je partage des valeurs aussi nobles que l’amour de la bière et de
la viande, le plaisir de reluquer les belles serveuses congolaises, la
haine des dictateurs africains comme Blaise Compaoré, Paul Biya et les
petits résidus de moindre importance comme Faure Gnassingbé, Joseph
Kabila…
Nous passons, autour de notre table remplie de bouteilles de
Castel Beer, la nuit à parler politique, société, religion… et regarder
les hypocrites vieux mariés maliens, insatisfaits de leur carré de
femmes, s’infiltrer comme des musaraignes dans les chambres de passe,
derrière de petites adolescentes matérialistes.
Hier soir, un homme d’un âge avancé, qui avait passé un bon moment à suivre notre conversation, s’est approché de nous : « Jeunes
gens, j’ai suivi avec intérêt vos débats, et j’ai remarqué que vous
êtes tous célibataires. Laissez-moi vous dire que ce n’est pas du tout
normal. Vous êtes jeunes et vous avez la chance d’avoir trouvé du
travail, au moins quelque chose qui vous rapporte un revenu mensuel.
Pourquoi ne pas prendre ces jeunes filles de la vingtaine qui pullulent
un peu partout et qui n’attendent que vous, organiser avec elles vos
vies au lieu de traîner dans ces bars à chagrin, hein ? Mariez-vous et
cessez de fréquenter les bars, mes enfants. »
Adepte
de ce célèbre adage de chez moi qui stipule qu’ajouter un discours à un
discours n’est pas aussi difficile qu’ajouter un billet de dix mille à
un billet de dix mille, je voulus lui faire savoir que si c’était aussi
facile, le crabe devait avoir du sang dans sa coquille, et le crapaud
traîner une queue aussi longue que celle d’un rat, que si le mariage
était aussi simple qu’il le disait, je ne comprenais pas pourquoi lui
qui avait le double de notre âge végétait dans ce bar qu’il qualifiait
de crasseux, alors qu’il devait être à côté de sa femme et de ses
enfants à la maison.
Mais mes amis, conciliants, me demandèrent de me
calmer, pour qu’on lui explique pourquoi il est si difficile aujourd’hui
pour nous jeunes Africains de nous marier. Nous le fîmes asseoir à
notre table, lui offrîmes une bière et lui expliquâmes.
Avant,
ah, la belle époque, il était très facile aux jeunes Africains de se
marier parce que nos filles de l’époque savaient choisir entre deux
choses. La beauté et l’instruction. Celles qui étaient belles avaient la
courtoisie d’être très bêtes à l’école, et finissaient automatiquement
revendeuses de menues choses dans des marchés de seconde zone, ou
artisanes sans grande réussite.
Leur beauté était donc dévaluée par le
manque d’instruction, et elles étaient facilement épousables. Il
suffisait d’avoir un baccalauréat – même après quatre tentatives -,
travailler comme aide-comptable dans une société privée au capital
social de deux cent mille francs Cfa, pour qu’elles vous considèrent
comme l’homme le plus instruit de la Terre, elles qui n’avaient pas pu
passer le cap de l’école primaire.
Chaque soir, joyeuses, elles
accueillaient leurs grands maris-intellectuels-bacheliers, prenaient
leurs sacs où il n’y avait rien à part des reconnaissances de dettes, et
des fiches de prêts… Les maris bacheliers étaient pauvres, mais elles
se battaient pour les nourrir, les entretenir, elles ne voulaient pas
perdre leurs oiseaux rares.
Celles
qui, au contraire, étaient intelligentes à l’école avaient la
gentillesse d’être moches, laides et débraillées. Elles étaient les
marginalisées des groupes des filles de l’école, et n’avaient pour
compagnon que leurs cahiers.
Elles étaient donc condamnées, pour
exister, de courir derrière des diplômes, et quand elles finissaient,
elles se rendaient compte qu’elles avaient pris de l’âge, qu’elles
avaient des difficultés à attirer des damoiseaux, et acceptaient
facilement de se marier au prétendant acceptable. Elles n’avaient pas le
choix de chercher un oiseau rare.
Les prétendants les épousaient, en
fermant les yeux bien sûr, avec pour seule consolation devant les
amis : « Bah, écoutez, vous la voyez comme ça mais elle est super
intelligente, elle a toujours été la première de toutes ses classes,
elle a obtenu son Bac à seize ans, sa maîtrise à vingt ans… »
Mais depuis que Rama Yade -
et maintenant Najat Vallaud-Belkacem – ont appris à nos filles qu’elles
peuvent être belles et intelligentes, intelligentes et belles, nos
belles cherchent par tous les moyens à s’instruire au maximum, et nos
laideronnes à s’embellir en plus de leur intelligence.
Les filles de la
vingtaine et de la trentaine, nos potentielles femmes, à nous jeunes,
sont toutes devenues des mélanges de Jessica Alba et Koffi Anaan.
Filmables et audibles. Trop jolies, trop instruites et donc trop chères
pour nous.
Et Dieu seul sait qu’une jeune fille africaine jolie et
instruite est aussi difficile à épouser et à gérer que maintenir Faure
Gnassingbé dans un séminaire loin des femmes, aussi délicate qu’une
partie de Zouk Love entre Georges Bush et Ben Laden, aussi pleine de
risques que réciter le Pater Noster dans un bar au Nord du Nigeria – tu
t’en sors avec un corps découpé en rondelles sur un barbecue de Boko
Haram.
Et
avec ces vieux septuagénaires libidineux qui n’ont même plus
l’honnêteté et la bonne foi de reconnaître et assumer leur faiblesse
sexuelle, qui se bourrent de Viagra et d’aphrodisiaques – la production
de masse de la Chine aidant – pour nous les arracher en
les trompant avec des chèques exorbitants !
Tu te plies en quatre pour
donner cinquante mille francs à celle que tu appelles ta copine ou ta
fiancée pour sa robe et ses bijoux, croyant lui faire plaisir, elle le
trouve insignifiant, risible, lorgnant le chèque de quatre-cent mille
que lui fera un vieux.
Derrière ton scooter chinois acheté à crédit et
dont tu es si fier, elle lorgne les vieux aux volants des grosses
Mercedes. Ta vigueur de jeune homme au lit, tout ce qui te reste, elle
s’en balance, pensant aux performances roccosiffrediennes de son vieux
dopé de Viagra et excité par des cochonneries chinoises.
Et elles sont
devenues aussi réalistes que même quand tu leur racontes des « Mignonne allons voir si la Rose… » et autres ronsarderies à l’eau de rose, elles savent que c’est des baratins.
J’ai
failli pleurer le jour où j’ai appris que le président gambien Yaya
Jameh s’est marié à une fille de vingt-et-un ans. Il avait arraché, sans
le savoir, la future femme d’un jeune Gambien.
Devons-nous désormais
aller chercher nos femmes dans les crèches, leur changer les couches
jusqu’à ce qu’elles grandissent pour qu’on les épouse?
2011.
Un aéroport africain, celui de Lagos, je pense. La jeune fille était
assise dans la salle d’embarquement quand je rentrai. Belle, élégante
dans une robe légère fleurie, les pieds croisés, un Smartphone en main.
Je m’approchai d’elle, convaincu que vu sa beauté, elle ne devait pas
être une super diplômée, n’ayant pas eu le temps de concilier
l’entretien de son corps et de ses cahiers. Comme à mon habitude, je
brandis devant elle, comme un trophée, mon titre d’enseignant que
certains lycéens et collégiens ont encore l’étonnante naïveté de
vénérer.
« Ah, vous êtes enseignant de marketing, c’est super, je
suis dans le marketing aussi, je prépare cette année un master
spécialisé en Marketing politique à Londres, j’ai déjà fait un DESS en… »
Avant qu’elle ne termine l’encyclopédie de ses diplômes, je m’étais
assis, euh, effondré dans la siège derrière elle. Vaincu. Celle que je
pensais être au mieux une lycéenne au pire une commerçante pouvait être
mon professeur.
Ma honte se transforma en révolte quand, dans l’avion,
quelques minutes après, je la vis assise dans l’un des premiers
fauteuils de la Classe Affaires, alors qu’avec frénésie je me dirigeais,
poussé dans le dos par des passagers trop pressés, vers mon éternelle
Classe Economique.
Belle, plus instruite que moi, plus riche que moi…
Mon Dieu, cherchez-moi une revendeuse de noix de cola !
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