jeudi 26 septembre 2013

Bangui victime des seigneurs de guerre

le 25/09/2013



REPORTAGE - La Centrafrique est à l'agenda de l'ONU, où François Hollande a lancé un « cri d'alarme » pour sauver le pays.

Baudoin Damaï est un garçon du genre vindicatif. Devant une buvette, une cabane en planches pompeusement appelée Le Royal, il raconte à grand renfort de gestes les malheurs qui se sont abattus sur lui et les siens. 


La date du début des ennuis: le 24 mars, le jour de l'entrée dans Bangui de la Séléka, une coalition de rebelles venue pour renverser le pouvoir vermoulu du président François Bozizé et installer son successeur, Michel Djotodia.

«Depuis, on ne vit plus. On a peur d'être tué ici», assure Baudoin. Ici, c'est Boy-Rabe, un quartier de la capitale centrafricaine réputé favorable au pouvoir déchu. 


«Les Séléka font des opérations hiboux. Ils viennent la nuit et ils enlèvent des jeunes que l'on ne revoit plus.» 

Autour de lui, on acquiesce et on s'énerve en agitant des verres vides par habitude. Nul n'a plus le premier franc CFA pour se payer à boire, et de toute façon il n'y a pas grand-chose. «Tout a été pillé», se lamente Frank Wakian, le gérant.

Le pillage orchestré par les nouveaux maîtres de la ville est généralisé. Avec une préférence pour les voitures, les matelas et l'électroménager. «Ils sont venus chez moi en juillet. Ils ont cassé la porte puis ont pris ma télé et mon frigo. 


J'ai essayé de m'opposer, mais ils m'ont mis un coup de crosse sur la tête», affirme Julice Diforo, qui porte haut un tee-shirt aux couleurs de François Bozizé. Cette scène, tous ou presque en ont été les victimes ou les témoins.

«Les Séléka font des opérations hiboux. Ils viennent la nuit et ils enlèvent des jeunes que l'on ne revoit plus.» 

Assis sous un arbre dans sa cour de terre, comme il sied à son rang, Camille Mandaba, le chef de quartier, n'essaie même plus d'apaiser les choses. Lui aussi a été menacé «avec un fusil sur la tempe» et tous ses biens ont été volés. 


L'incompréhension est totale entre les habitants et ces miliciens de la Séléka, des hommes venus du nord, souvent tchadiens ou soudanais, ne parlant ni français ni la langue locale, le sango. L'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, parle même d'«occupation».

«Ils volent tout le monde sauf leurs frères musulmans à qui ils vendent ce qu'ils nous prennent», crache Lucas Youphenin. Ce chômeur, comme beaucoup de ses amis chrétiens, refuse de faire la différence entre les soldats et la minorité musulmane de la ville. «Ils sont ensemble. 


On ne peut pas faire confiance à un musulman.» «Il y a maintenant un vrai risque d'affrontements religieux en Centrafrique», analyse un diplomate.

La mission de désarmement tourne à l'immense razzia

D'autant que la colère du quartier de Boy-Rabe s'est muée en haine depuis le 20 août. Ce jour-là, les hommes de la Séléka ont organisé une vaste opération. Officiellement, un «désarmement» du quartier. 


La mission a immédiatement tourné à une immense razzia. «Ils sont entrés à 15 heures en tirant partout et ont tout ratissé en volant, volant, volant…», se souvient Jésus Wale. 

Les habitants se sont insurgés, lançant des pierres. Le lendemain, la Séléka s'abattait sur Boeing, une autre zone de Bangui, avec les mêmes effets. 

La population exaspérée s'est soulevée avant de fuir en masse vers l'aéroport de M'Poko sous le contrôle de l'armée française. «Ces deux opérations ont été un véritable désastre», reconnaît Guy-Simplice Kodégué, le porte-parole du président autoproclamé Djotodia. 

Elles auront au moins eu le mérite de permettre au nouveau pouvoir de prendre conscience que l'insécurité ravageant le pays risquait de l'emporter.

En réaction, mi-septembre, le président a dissous par décret la Séléka. Puis, il a limogé quelques dignitaires et nommé Josué Binoua à l'Intérieur, au terme d'un retournement tout centrafricain. 


Volubile, charmeur, le nouveau ministre de la Sécurité exerçait déjà la fonction sous Bozizé. «Les choses changent. Moi je suis là pour servir mon pays et nous allons le désarmer», explique ce pasteur dans un éclat de rire. 

Pour ce faire, il s'est associé à un autre ancien proscrit, le général Moussa Asimeh.

Celui que tous désignaient, il y a peu, comme un citoyen soudanais et grand ordonnateur des exactions. «Je dis la vérité. 


Sur le Livre, je suis centrafricain et je ne veux pas que mon pays saigne», jure en arabe cet homme au sourire et à la politesse qui sentent les sables du Darfour. Il avoue d'ailleurs sans mal avoir été colonel dans l'armée soudanaise.

L'étrange équipage a eu quelques résultats. Dans les rues de Bangui, les policiers et les gendarmes ont remplacé les miliciens désormais discrets, mettant un peu terme à l'anarchie. 


Comment les barons de l'entourage pléthorique de Michel Djotodia réagiront à cette reprise en main? Personne n'ose le prévoir.

Un pays hors de contrôle

À quelques kilomètres de Bangui, le pays est donc totalement hors de contrôle. Et dans les quartiers de la capitale, les généraux autoproclamés et les colonels continuent de régner. 


Ces seigneurs de guerre, qui se vouent souvent une haine mutuelle, n'entendent pas rejoindre facilement les casernes ou lâcher «leurs» armes, source de leur puissance. «On ne leur laissera pas le choix», dit le général Moussa. La tâche sera complexe. 

«Le problème vient de ces généraux. C'est leurs soldats qui sèment les troubles. Beaucoup à la Séléka ne sont pas venus pour construire un État mais pour prendre un butin», analyse un bon connaisseur du pays.

Pour remplir le vide sécuritaire, le gouvernement compte sur les troupes de la Micopax, une mission de sécurisation africaine. Quelque 2 400 soldats, congolais, gabonais, camerounais et tchadiens sont déployés. Mais résoudre l'équation centrafricaine n'est pas simple. Il faut des soutiens. 


Or les Africains n'ont pas les moyens de se financer et la communauté internationale rechigne à apporter sa contribution. Mardi, à la tribune de l'Onu, François Hollande a lancé un «cri d'alarme» et réclamé un renforcement de la force panafricaine existante. 

Ce mercredi, en marge de la conférence des Nations unies, la France organise une réunion sur ce thème. 

Dans son bureau obscur, le premier ministre centrafricain, Nicolas Tiangaye, semble épuisé par cette situation qu'il qualifie lui-même de «catastrophique». 

Imposé par la communauté internationale pour tenter de contrôler Michel Djotodia, il sait que rien ne pourra être fait sans un minimum de sécurité. «Il faut que l'étranger nous aide, sinon on ne pourra rien faire.» 

Tanguy Berthemet
Le Figaro.fr 

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