jeudi 21 novembre 2013

Analyse: Étendre la paix en RDC après la défaite du M23

jeudi 21 novembre 2013


Photo: Guy Oliver/IRIN
 

Des soldats de la MONUSCO sur une colline de Goma. La capacité de la Mission à assurer la paix dans l’est de la RDC après le retrait du M23 reste à prouver

LES POINTS CLÉS


Mesures énergiques du nouveau commandant des FARDC contre le manque de discipline
Rôle crucial des forces des Nations Unies 


Nécessité de résoudre les causes sous-jacentes de l’instabilité et de la rébellion 


Les FDLR pourraient être la prochaine cibleNAIROBI, 14 novembre 2013 (IRIN) - Avec la défaite du groupe rebelle majoritairement tutsi du M23 et sa promesse de déposer les armes, l’attention se tourne vers la manière de renforcer et étendre la paix dans l’ensemble de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et d’apaiser les souffrances et les privations subies par des millions de civils depuis plusieurs dizaines d’années.

Depuis le 25 octobre, les troupes congolaises ont, avec le soutien d’une nouvelle brigade d’intervention des Nations Unies, chassé les combattants du M23 de leurs bastions fortifiés dans la province du Nord-Kivu, dans une série d’opérations étonnamment victorieuses.

Cette victoire a fait naître l’espoir d’un avenir meilleur pour cette région qui figure parmi les plus violentes du monde. Les civils de la région ont, semble-t-il, salué la défaite du M23


Martin Kobler, chef de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), a été filmé, triomphant, en train de serrer la main des habitants souriants des villages « libérés ».

Les observateurs appellent cependant à la prudence et signalent que la victoire militaire n’est qu’un premier pas vers la stabilité dans cette région longtemps livrée à l’anarchie et à la mauvaise gouvernance, marquée par les tensions ethniques et politiques, et victime d’une grande profusion d’armes.

« Le M23 n’est que l’un des nombreux groupes armés qui opèrent dans l’est de la RDC », a dit Stephanie Wolters, analyste à l’Institut d’études de sécurité (IES) de Pretoria. 


« Il y en a beaucoup d’autres qui, depuis longtemps, font de la vie de la population de cette région un vrai cauchemar et contre lesquels il faut encore prendre des mesures politiques et militaires. »

Force militaire

Selon les experts, les Forces armées de la RDC (FARDC) récemment réorganisées et la nouvelle brigade d’intervention des Nations Unies doivent continuer à travailler main dans la main pour pouvoir briser le cycle de la violence dans l’est de la RDC.

Le M23 n’est que le dernier-né d’un ensemble de milices tutsi sévissant dans les collines proches de la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda. Pas moins de 45 autres mouvements rebelles opèrent actuellement dans cette région sur laquelle le gouvernement de la RDC n’a que peu d’emprise.

Ces groupes extrémistes ont été accusés de violations flagrantes des droits de l’homme, dont des exécutions, l’usage du viol comme arme de guerre et l’enrôlement d’enfants-soldats. 


Les forces du gouvernement ont elles aussi été accusées d’atrocités. La violence et l’instabilité ont entravé l’offre de services essentiels tels que les soins de santé et freiné la lutte contre la pauvreté.

Le président de la RDC, Joseph Kabila, avait remanié le commandement de l’armée au vu du peu de résistance opposé par cette dernière lors de la prise de Goma, la capitale du Nord-Kivu, par les combattants du M23 en novembre 2012. 


Les rebelles s’étaient retirés quelques semaines plus tard, après avoir humilié le gouvernement et les Nations Unies, dont les Casques bleus s’étaient montrés tout aussi impuissants.


Photo: Jessica Hatcher/IRIN

 
Un soldat du M23 monte la garde à Goma, dans l’est de la RDC. Les rebelles ont promis de déposer les armes 


Selon Darren Olivier, analyste militaire, le nouveau commandant des FARDC au Nord-Kivu a pris des mesures fermes contre le manque de discipline de ses troupes, a remonté leur moral et a développé leurs capacités. Ces dernières étaient donc bien préparées et bien équipées pour leur attaque contre le M23, a-t-il dit.

« Cela signifie beaucoup concernant la capacité potentielle des FARDC à maintenir un monopole de la force dans l’est de la RDC », a écrit M. Olivier sur le site Internet African Defense Review.

Intervention des Nations Unies

Établir un tel monopole devrait être plus facile avec l’aide de la brigade d’intervention des Nations Unies, l’unité forte de 3 000 soldats déployée cette année comme preuve de la détermination de la communauté internationale à briser le cycle de la violence dans l’est de la RDC. 


Contrairement à la plupart des missions des Nations Unies, cette brigade a pour mandat de mener des offensives ciblées pour aider les forces gouvernementales à éliminer les groupes armés.

Selon M. Olivier, la force des Nations Unies a joué un rôle crucial dans la bataille contre le M23 en permettant aux troupes gouvernementales de combattre simultanément sur trois fronts, divisant et affaiblissant ainsi les rebelles qui tentaient de défendre leurs bastions au nord de Goma.

Selon Mme Wolters, de l’IES, la défaite du M23 et l’impact de la brigade des Nations Unies (composée de troupes de Tanzanie, d’Afrique du Sud et du Malawi) envoient un message fort aux autres groupes armés.

« Cela pourrait les inciter à considérer les avantages d’une négociation sur une campagne militaire interminable. Si Kinshasa veut vraiment la paix, il devra réagir rapidement pour mettre cela à profit et entreprendre de solides négociations pouvant réellement mettre un terme à la violence », a dit Mme Wolters.

Négociations et réformes

Les mesures prises par Kinshasa à l’égard du M23 peuvent donner une idée de son éventuelle volonté de faire des concessions envers les autres groupes rebelles au nom de la réconciliation nationale.

La RDC s’est engagée, dans le cadre d’un accord multilatéral signé en mars sous l’égide des Nations Unies et de l’Union Africaine, à mener un programme de réformes de grande envergure visant à résoudre les causes sous-jacentes de l’instabilité et de la rébellion.

« Le M23 n’est que l’un des nombreux groupes armés qui opèrent dans l’est de la RDC. Il y en a beaucoup d’autres qui, depuis longtemps, font de la vie de la population de cette région un vrai cauchemar et contre lesquels il faut encore prendre des mesures politiques et militaires. » 


Le gouvernement a non seulement fait des promesses en matière de réconciliation et démocratisation, mais il s’est également engagé à faire des efforts pour remanier ses forces de sécurité, consolider l’autorité de l’État dans l’est et empêcher les groupes armés de déstabiliser les pays voisins. 

Le plan adopté prévoit des critères de référence à l’échelle nationale, régionale et internationale pour mesurer les progrès réalisés.

Les pourparlers de paix menés avec le M23 à Kampala, la capitale de l’Ouganda, traînent cependant depuis des mois et ont même été complètement bloqués quand l’offensive militaire a changé la donne sur le terrain.

Russ Feingold, envoyé spécial des États-Unis pour la région, a dit le 6 novembre qu’un accord entre le gouvernement et le M23 toujours en attente d’être signé comportait des dispositions détaillées concernant le désarmement et la démobilisation des rebelles et leur protection contre les autres groupes armés.

Le représentant permanent de la France auprès des Nations Unies, Gérard Araud, a dit que les négociateurs congolais étaient réticents à signer « une sorte d’accord d’égal à égal » après avoir écrasé la rébellion.

Le Parlement congolais n’a toujours pas adopté de programme national d’amnistie. Les diplomates occidentaux insistent fortement pour que les personnes accusées de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, comme c’est le cas de plusieurs commandants du M23, ne soient pas amnistiées et répondent de leurs actes.

M. Feingold a opposé cette approche à l’accord de paix du 23 mars 2009, qui s’est soldé par un échec et a donné son nom au mouvement du M23. Si l’accord de 2009 « a amnistié des personnes qui avaient commis des crimes graves [...] il n’y a pas d’impunité cette fois-ci », a-t-il dit. « L’objectif ici est de faire en sorte que cela ne puisse pas se reproduire. »

Selon lui, si les pourparlers de Kampala sont couronnés de succès, cela pourrait ouvrir la voie à un dialogue de fond entre les pays de la région. « Dans le cas contraire, il est peu probable que ces efforts mènent à une résolution des causes sous-jacentes [du conflit]. »


Photo: Sylvain Liechti/MONUSCO

 
Les violences dans l’est de la RDC ont fait plus d’un million de déplacés
Certains craignent cependant qu’en raison de sa victoire contre le M23, Kinshasa se sente moins contraint d’honorer ses obligations en vertu de l’accord-cadre et de mettre en oeuvre les réformes promises, dont l’instauration de tribunaux spéciaux.

La défaite du M23 pourrait permettre à M. Kabila de « se libérer de la pression lui imposant de mener des réformes nationales et il serait soutenu par la popularité qu’une telle victoire lui apporterait certainement », a dit Jason Stearns, ancien expert des Nations Unies sur la RDC.

Des voisins inquiets

Si les capacités renforcées des FARDC et des Nations Unies ont joué un grand rôle dans la défaite du M23, certains analystes avancent que la capitulation des rebelles est également due à la décision du Rwanda de ne plus les soutenir face à une intense pression de la part de la communauté internationale.

Certains soupçonnent le Rwanda d’avoir obtenu l’assurance que la prochaine intervention de l’armée en RDC viserait les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), composées de Hutus qui ont fui le Rwanda après le génocide de 1994.

« Ils auraient du faire cela il y a des années. J’espère que cette fois ils vont s’attaquer aux FDLR. Ils doivent le faire », a dit Eugène Gasana, ambassadeur du Rwanda auprès des Nations Unies.

Si Kigali se sent lésé, les analystes avertissent qu’il pourrait réactiver le M23 ou armer une autre milice tutsi qui agirait pour son compte en RDC afin de protéger sa sécurité et ses intérêts économiques.

Le représentant de la France auprès des Nations Unies, M. Araud, a dit le 7 novembre que les FDLR étaient « en première ligne » des prochains mouvements rebelles à éliminer. 


Les diplomates ont également désigné l’Alliance des forces démocratiques, un mouvement islamiste opposé au gouvernement ougandais, comme une autre priorité.

Le Rwanda a accusé les forces de RDC de collaborer avec les FDLR, ce que Kinshasa a démenti. Des experts des Nations Unies ont à leur tour accusé le Rwanda de soutenir le M23, ce que nie le gouvernement de Kigali.

Sur le terrain

Certains observateurs alertent sur le fait que les communautés tutsi du Kivu resteront un terreau fertile pour de futures rebellions tant qu’une place plus grande ne leur sera pas accordée dans la vie sociale et politique du pays et que les questions de territoire et de citoyenneté qui se posent depuis longtemps ne seront pas résolues.

Un programme strict de DDR (désarmement, démobilisation et réintégration), incluant le rapatriement des combattants étrangers, est vital dans le Kivu et ailleurs, a dit Christoph Vogel, un universitaire congolais.

Cette semaine, Oxfam s’est inquiété de ce que la place laissée par les forces défaites du M23 soit reprise par d’autres rebelles.

Sur le court terme, le gouvernement et les Nations Unies souhaitent restaurer le contrôle civil dans les zones qui étaient sous la mainmise du M23. Pour prouver leur bonne volonté, les autorités de la province se seraient engagées à ne pas prélever de taxes avant l’année prochaine.

« C’est au gouvernement de prendre ses responsabilités et de développer l’économie et l’Administration », a dit M. Kobler lors de sa visite des anciens bastions rebelles.

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