samedi 21 décembre 2013

La Lucha : Les Indignados de Goma

lundi, 16 décembre 2013 

Un mouvement civique d’un nouveau genre est apparu à Goma pendant le conflit entre l’armée congolaise et le M23. Le chercheur Kris Berwouts a rencontré les jeunes congolais révoltés et engagés de la Lucha.



Je ne me souviens plus très bien quand j'ai entendu parler de la Lucha pour la première fois. D’un coup, ils étaient là. Non pas comme une nouvelle organisation avec un leadership clair, des objectifs et des statuts bien précis, mais plutôt comme une sorte de « buzz permanent ». 


Vous saviez qu'ils étaient là quelque part, vous ne les voyiez pas, mais tout à coup, ils débarquaient, tous ensemble, captaient l’attention de tout le monde pendant un instant, puis, ils disparaissaient dans la nature. 

Des amis qui travaillaient sur le terrain me demandaient si j’en savais plus. On entendait parler de sit-ins, le gouverneur de la province Nord-Kivu, Julien Paluku, les aurait appelé « les terroristes de demain », quelqu’un avait été mis en prison… 

C’était clair que La Lucha était rapidement en train de se faire un nom, mais de quoi au juste ? 

Je n’arrivais pas à le capter à partir de chez moi, à 7.500 kilomètres de Goma. Heureusement, j’avais un peu de temps à y consacrer, lors de mon dernier passage dans le Nord-Kivu en décembre 2013.

Descendre dans la rue

D'abord, j’ai rencontré Micheline. Elle était là depuis le début. Bien plus, elle était parmi les initiatrice du mouvement.

"Tout a commencé il y a deux ans. Je me sentais très frustrée. Nous étions conscients du fait qu’il y avait des sommes d’argent énormes qui étaient investies dans le pays, mais tout semblait tourner en rond. On n’avait pas l’impression d’évoluer. 


Tout ce qu’on entendait dire autour des élections de novembre 2011, on l’avait déjà entendu en 2006 (la réélection de Joseph Kabila a été entachée de nombreuses irrégularités, Ndlr). 

Et en 2016, ça sera encore la même chose. Apparemment, les problèmes du Congo semblent insolubles. Et ceci, on ne pouvait pas l’accepter. Pourtant, il y avait partout des gens de bonne volonté. Je ressentais le besoin de faire quelque chose.

Alors on s’est rencontré avec quelques amis. La première réunion a eu lieu en mars 2012. On était six, tous des jeunes. Chacun de nous était engagé depuis plusieurs années dans différentes structures de la société civile. Certains avaient créé leurs propres associations. Mais on n’avait pas l’impression d’aboutir à quelque chose. 


Nous trouvions que le temps était venu d’agir. Des structures de réflexion et d’analyse, il y en avait partout, mais personne ne semblait vouloir faire quelque chose. Nous avons décidé de nous focaliser sur l’action.

Le 1er mai 2012, nous avons organisé notre première action, lors de la Fête du travail. On l’a d’ailleurs adaptée aux conditions d’ici et rebaptisée la « Fête du Chômage ». 


C’est ça la réalité que les jeunes vivent ici à Goma. On a tous mis nos maigres moyens sur la table pour acheter des marqueurs et le tissu pour faire des banderoles. L'action était un succès, de nombreux médias ont parlé de nous, même si nous n'avions même pas encore de nom.

Nous étions très satisfaits du résultat et on a commencé immédiatement à préparer une deuxième action pour la Fête de l’indépendance le 30 juin. On était là avec des messages sur la pénurie d’eau potable et le manque de sécurité. Nous demandions la démission du gouvernement : « vous avez échoué, dégagez ! ». A plusieurs endroits dans la ville de Goma, nous diffusions des feuilles avec nos messages.

C’était du jamais vu ici, comme modèle d’action. Alors on m’a arrêté et j’ai dû passer la nuit dans le bureau de la police. Deux amis sont restés avec moi, au Congo, vous ne pouvez pas laisser une fille seule dans les mains des forces d’ordre !

Dans d’autres actions, ils ont utilisé la violence pour nous disperser. Lors du sit-in de février 2013, par exemple. Nous étions en train de réclamer l’accès à l'eau potable pour tout le monde et on exigeait que les autorités reprennent la réhabilitation de la route principale en ville. Des travaux avaient été entamés, mais ils s’étaient interrompus depuis plusieurs mois Alors les autorités ont déployé une forte répression contre nous. Mais ils ont repris les travaux de la route quand-même."

Pas d’organisation, mais un mouvement

"Ce n’est qu’en janvier 2013 que nous avons choisi un nom. On était en train de boire un verre après une réunion et on toastait « A la lucha ! », à la lutte, en espagnol. Le nom est resté. Comme on ne donne pas un nom espagnol à une organisation congolaise, on a gardé le nom Lucha comme sigle pour la « Lutte pour le Changement ».

Mais nous n’étions pas une organisation et nous n’avons aucune ambition d’en devenir une. Encore moins une ONG. Les ONG ne se battent pas pour le changement, elles se battent pour l’argent. Dans une certaine mesure, la société civile est devenue une caste de (...)

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