« Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre », lançait Winston Churchill à Neville Chamberlain qui venait de signer les accords de Munich avec Adolf Hitler.
C’est à peu près la sagesse que les autorités congolaises ont sûrement oublié de méditer en signant, comme ils viennent de le faire, une série d’engagements à Nairobi avec le M23, une organisation criminelle orchestrée par le Rwanda et l’Ouganda, et que les Congolais croyaient pourtant disparue.
Le déshonneur et la politique de la joue tendue
Le déshonneur pour le Congo est évidemment consommé. Aucun gouvernement au monde n’accepterait de se soumettre comme le régime de Joseph Kabila vient de le faire à Nairobi.
Et si un gouvernement est capable de se déshonorer à ce point, devant son peuple et devant la face du monde, il se met en situation de ne plus être pris au sérieux par personne, surtout pas les instigateurs des guerres à répétition qui dévastent le Congo depuis deux décennies.
Ainsi les combattants rwandais du M23 et leurs parrains (Museveni et Kagamé) auront fini par plier le Congo et obtenir pratiquement tout ce qu’ils exigeaient les armes à la main.
Car, faut-il le souligner, ces engagement de Nairobi reprennent le contenu des cauchemardesques accords du 23 mars 2009 dont se prévalait le M23, lesquels accords faisaient échos aux accords de Lemera du 23 octobre 1996, responsables des guerres à répétition contre le Congo et de la mort de plus de six millions de Congolais.
Les Congolais qui avaient cru, naïvement, que le M23 était fini vont devoir réapprendre à subir la présence de ces sinistres personnages. Car le régime de Joseph Kabila a pris l’engagement de reconnaître le M23 en tant que « parti politique légitime » (engagement n° 4).
Les accords de Nairobi vont plus loin en renouant avec la vieille tradition de l’impunité (engagement n° 1). En effet, une loi d’amnistie va être adoptée pour priver les victimes du M23 de la possibilité de porter plainte et d’obtenir réparation pour les dommages qu’elles ont subis.
Par ailleurs, le Congo n’a même pas la certitude que les auteurs de crimes graves seront extradés, sachant que le Rwanda et l’Ouganda qui les protègent ont déjà fait savoir qu’ils ne les extraderont jamais.
Ainsi un gouvernement, dont la population endeuillée n’a même pas fini de sécher ses larmes, aura manqué d’exiger au titre de préalable à toute discussion, des impératifs comme l’arrestation, l’inculpation et l’extradition des auteurs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. On croit rêver.
Il faudra par ailleurs que les Congolais acceptent l’arrivée massive de leurs agresseurs, par la grande porte, dans les mêmes villes qu’ils ont bombardées (Goma) pour cohabiter avec les mêmes populations qu’ils ont martyrisées.
Nombreux vont être réintégrés dans la même armée qu’ils ont plusieurs fois combattue en tant que mutins, « rebelles », soldats rwandais, ougandais ou burundais.
D’autres vont réintégrer les administrations où ils se sont illustrés de la pire de manière. Ceux qui sont en prison vont être libérés (engagement n° 3) et relâchés dans la nature, le processus DDR[1] au Congo n’étant pas réputé pour son efficacité.
Oublier, c’est mourir
Il faudra que les Congolais oublient qu’il s’agit bien des mêmes individus, animés des mêmes intentions, et dont la loyauté reste braquée sur Kigali et Kampala, et non Kinshasa, et qu’au premier mot d’ordre de Kigali et Kampala, ils reprendraient les armes comme d’habitude.
Winston Churchill dit, à ce propos, qu’« un peuple qui oublie son passé, se condamne à le revivre. » A Nairobi, les autorités de Kinshasa ont pu être frappées d’amnésie, mais les démons de Lemera étaient bel et bien sur place, et c’est désormais un nouveau cycle angoissant qui s’ouvre pour le Congo.
La date du 12 décembre, aux allures d’un compte à rebours (12 : 12), va désormais devenir une obsession pour les Congolais. Le scenario semble même assez clairement tracé.
En effet, dans un accord comme celui-ci, deux données importent vraiment : le rapport des forces et les garants de son application. Sur le rapport des forces, cela crève les yeux.
Le Congo s’est totalement rabaissé à tel point que sa victoire militaire apparait désormais comme ayant été pour l’essentiel une sorte de « match arrangé ».
Le M23 étant la création du Rwanda et de l’Ouganda, selon plusieurs rapports des experts de l’ONU, les ONG et les chercheurs, c’est tout un gouvernement qui se sera rabaissé au niveau de marionnettes des Etats voisins.
Il en faudra du chemin pour que Kinshasa atteigne le niveau de respectabilité des pouvoirs de Kampala et Kigali pour envisager des discussions d’Etat à Etat.
Quant aux garants des accords de Nairobi, les Congolais n’ont pas à se bercer d’illusion sur leurs intentions. Elles sont nocives. L’Américain Russ Feingold a déjà exprimé le fond de sa pensée.
Il ne considère pas le Congo comme étant une « nation souveraine[2] » et a dernièrement évoqué la question taboue du tracé des frontières[3]. Il reprenait ainsi les deux discours de Pasteur Bizimungu, l’ancien Président rwandais, qui, en 1996, parlait de Berlin II, c’est-à-dire la révision des frontières actuelles du Rwanda pour en étendre le territoire sur le Kivu.
L’Ouganda de Yoweri Museveni n’est guère plus rassurant puisqu’il nourrit les mêmes prétentions territoriales et n’a pas hésité à s’emparer du territoire congolais de Mahagi, en octobre dernier, au moment où l’armée rwandaise, sous couvert du M23, bombardait la ville de Goma et massaient les troupes de l’autre côté de la frontière à Giseny.
Ces deux pays vont donc s’associer à la mise en œuvre des accords de Nairobi, notamment au sujet du retour des réfugiés (engagement n° 6).
Ce sont donc là les garants des accords de Nairobi qui, naturellement, pourront, un jour ou un autre, décider arbitrairement que le Congo exécute ou n’exécute pas ses engagements.
Dilapider la liberté de son peuple est un suicide
En gros, ces accords consacrent un acte de renonciation à la liberté. Les Congolais avaient acquis une certaine liberté après la reprise du contrôle du territoire national par l’armée. Avec les « accords de Nairobi », cette liberté n’est plus aussi certaine.
Le gouvernement espère garantir la sécurité du peuple congolais en sacrifiant la liberté de sa population obligée de subir, à nouveau, la présence du M23.
Ce qui donne à méditer cette pensée de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni la liberté ni la sécurité, et finit par perdre les deux. »
Les Congolais n’avaient pas à signer les accords de Nairobi, mais ils l’ont fait. Comme avant eux, d’autres Congolais signèrent les accords de Lemera.
L’histoire fut impitoyable pour de millions de Congolais qui avaient cru, naïvement, qu’il ne s’agissait que d’un papier banal, emportés qu’ils étaient dans l’euphorie d’une chute certaine de Mobutu. Tout comme ils le sont aujourd’hui dans l’euphorie de la « victoire » des FARDC, sûrement trop magnifiée.
L’histoire, après les accords de Lemera, ne fut pas seulement impitoyable pour la population congolaise (massacres, viols, pillages, exodes, exil,…). Elle le sera aussi pour les « politiciens » qui avaient personnellement apposé leurs signatures sur le document.
En l’espace de quatre ans, tous avaient péri de mort violente[4] ou avaient disparu de la circulation[5].
________________
Boniface MUSAVULI
[1] Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). Le processus de DDR est un ensemble de missions de l’ONU en matière d’efforts de consolidation de la paix après un conflit. Il s’inscrit dans le cadre des mandats confiés aux opérations de maintien de la paix.
[2] http://www.rfi.fr/afrique/20131028-...
[3] http://www.rfi.fr/afrique/20131206-...
[4] Laurent-Désiré Kabila du PRP (Parti de la Révolution populaire), André Kisase Ngandu du CNRD (Conseil National de Résistance pour la Démocratie), Anselme Masasu Nindaga du MRLZ (Mouvement Révolutionnaire pour la Libération du Zaïre).
[5] Déogratias Bugera de l'ADP (Alliance Démocratique des Peuples) et Bizima Karaha.
C’est à peu près la sagesse que les autorités congolaises ont sûrement oublié de méditer en signant, comme ils viennent de le faire, une série d’engagements à Nairobi avec le M23, une organisation criminelle orchestrée par le Rwanda et l’Ouganda, et que les Congolais croyaient pourtant disparue.
Le déshonneur et la politique de la joue tendue
Le déshonneur pour le Congo est évidemment consommé. Aucun gouvernement au monde n’accepterait de se soumettre comme le régime de Joseph Kabila vient de le faire à Nairobi.
Et si un gouvernement est capable de se déshonorer à ce point, devant son peuple et devant la face du monde, il se met en situation de ne plus être pris au sérieux par personne, surtout pas les instigateurs des guerres à répétition qui dévastent le Congo depuis deux décennies.
Ainsi les combattants rwandais du M23 et leurs parrains (Museveni et Kagamé) auront fini par plier le Congo et obtenir pratiquement tout ce qu’ils exigeaient les armes à la main.
Car, faut-il le souligner, ces engagement de Nairobi reprennent le contenu des cauchemardesques accords du 23 mars 2009 dont se prévalait le M23, lesquels accords faisaient échos aux accords de Lemera du 23 octobre 1996, responsables des guerres à répétition contre le Congo et de la mort de plus de six millions de Congolais.
Les Congolais qui avaient cru, naïvement, que le M23 était fini vont devoir réapprendre à subir la présence de ces sinistres personnages. Car le régime de Joseph Kabila a pris l’engagement de reconnaître le M23 en tant que « parti politique légitime » (engagement n° 4).
Les accords de Nairobi vont plus loin en renouant avec la vieille tradition de l’impunité (engagement n° 1). En effet, une loi d’amnistie va être adoptée pour priver les victimes du M23 de la possibilité de porter plainte et d’obtenir réparation pour les dommages qu’elles ont subis.
Par ailleurs, le Congo n’a même pas la certitude que les auteurs de crimes graves seront extradés, sachant que le Rwanda et l’Ouganda qui les protègent ont déjà fait savoir qu’ils ne les extraderont jamais.
Ainsi un gouvernement, dont la population endeuillée n’a même pas fini de sécher ses larmes, aura manqué d’exiger au titre de préalable à toute discussion, des impératifs comme l’arrestation, l’inculpation et l’extradition des auteurs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. On croit rêver.
Il faudra par ailleurs que les Congolais acceptent l’arrivée massive de leurs agresseurs, par la grande porte, dans les mêmes villes qu’ils ont bombardées (Goma) pour cohabiter avec les mêmes populations qu’ils ont martyrisées.
Nombreux vont être réintégrés dans la même armée qu’ils ont plusieurs fois combattue en tant que mutins, « rebelles », soldats rwandais, ougandais ou burundais.
D’autres vont réintégrer les administrations où ils se sont illustrés de la pire de manière. Ceux qui sont en prison vont être libérés (engagement n° 3) et relâchés dans la nature, le processus DDR[1] au Congo n’étant pas réputé pour son efficacité.
Oublier, c’est mourir
Il faudra que les Congolais oublient qu’il s’agit bien des mêmes individus, animés des mêmes intentions, et dont la loyauté reste braquée sur Kigali et Kampala, et non Kinshasa, et qu’au premier mot d’ordre de Kigali et Kampala, ils reprendraient les armes comme d’habitude.
Winston Churchill dit, à ce propos, qu’« un peuple qui oublie son passé, se condamne à le revivre. » A Nairobi, les autorités de Kinshasa ont pu être frappées d’amnésie, mais les démons de Lemera étaient bel et bien sur place, et c’est désormais un nouveau cycle angoissant qui s’ouvre pour le Congo.
La date du 12 décembre, aux allures d’un compte à rebours (12 : 12), va désormais devenir une obsession pour les Congolais. Le scenario semble même assez clairement tracé.
En effet, dans un accord comme celui-ci, deux données importent vraiment : le rapport des forces et les garants de son application. Sur le rapport des forces, cela crève les yeux.
Le Congo s’est totalement rabaissé à tel point que sa victoire militaire apparait désormais comme ayant été pour l’essentiel une sorte de « match arrangé ».
Le M23 étant la création du Rwanda et de l’Ouganda, selon plusieurs rapports des experts de l’ONU, les ONG et les chercheurs, c’est tout un gouvernement qui se sera rabaissé au niveau de marionnettes des Etats voisins.
Il en faudra du chemin pour que Kinshasa atteigne le niveau de respectabilité des pouvoirs de Kampala et Kigali pour envisager des discussions d’Etat à Etat.
Quant aux garants des accords de Nairobi, les Congolais n’ont pas à se bercer d’illusion sur leurs intentions. Elles sont nocives. L’Américain Russ Feingold a déjà exprimé le fond de sa pensée.
Il ne considère pas le Congo comme étant une « nation souveraine[2] » et a dernièrement évoqué la question taboue du tracé des frontières[3]. Il reprenait ainsi les deux discours de Pasteur Bizimungu, l’ancien Président rwandais, qui, en 1996, parlait de Berlin II, c’est-à-dire la révision des frontières actuelles du Rwanda pour en étendre le territoire sur le Kivu.
L’Ouganda de Yoweri Museveni n’est guère plus rassurant puisqu’il nourrit les mêmes prétentions territoriales et n’a pas hésité à s’emparer du territoire congolais de Mahagi, en octobre dernier, au moment où l’armée rwandaise, sous couvert du M23, bombardait la ville de Goma et massaient les troupes de l’autre côté de la frontière à Giseny.
Ces deux pays vont donc s’associer à la mise en œuvre des accords de Nairobi, notamment au sujet du retour des réfugiés (engagement n° 6).
Ce sont donc là les garants des accords de Nairobi qui, naturellement, pourront, un jour ou un autre, décider arbitrairement que le Congo exécute ou n’exécute pas ses engagements.
Dilapider la liberté de son peuple est un suicide
En gros, ces accords consacrent un acte de renonciation à la liberté. Les Congolais avaient acquis une certaine liberté après la reprise du contrôle du territoire national par l’armée. Avec les « accords de Nairobi », cette liberté n’est plus aussi certaine.
Le gouvernement espère garantir la sécurité du peuple congolais en sacrifiant la liberté de sa population obligée de subir, à nouveau, la présence du M23.
Ce qui donne à méditer cette pensée de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni la liberté ni la sécurité, et finit par perdre les deux. »
Les Congolais n’avaient pas à signer les accords de Nairobi, mais ils l’ont fait. Comme avant eux, d’autres Congolais signèrent les accords de Lemera.
L’histoire fut impitoyable pour de millions de Congolais qui avaient cru, naïvement, qu’il ne s’agissait que d’un papier banal, emportés qu’ils étaient dans l’euphorie d’une chute certaine de Mobutu. Tout comme ils le sont aujourd’hui dans l’euphorie de la « victoire » des FARDC, sûrement trop magnifiée.
L’histoire, après les accords de Lemera, ne fut pas seulement impitoyable pour la population congolaise (massacres, viols, pillages, exodes, exil,…). Elle le sera aussi pour les « politiciens » qui avaient personnellement apposé leurs signatures sur le document.
En l’espace de quatre ans, tous avaient péri de mort violente[4] ou avaient disparu de la circulation[5].
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Boniface MUSAVULI
[1] Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). Le processus de DDR est un ensemble de missions de l’ONU en matière d’efforts de consolidation de la paix après un conflit. Il s’inscrit dans le cadre des mandats confiés aux opérations de maintien de la paix.
[2] http://www.rfi.fr/afrique/20131028-...
[3] http://www.rfi.fr/afrique/20131206-...
[4] Laurent-Désiré Kabila du PRP (Parti de la Révolution populaire), André Kisase Ngandu du CNRD (Conseil National de Résistance pour la Démocratie), Anselme Masasu Nindaga du MRLZ (Mouvement Révolutionnaire pour la Libération du Zaïre).
[5] Déogratias Bugera de l'ADP (Alliance Démocratique des Peuples) et Bizima Karaha.
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