mercredi 8 janvier 2014

Mamadou Moustapha Ndala et Lumumba : une même double erreur fatale!

dimanche 5 janvier 2014 


 

« Pour éviter la (mauvaise) répétition de l’histoire, il faut l’étudier. » P. Dale Scott

Tout en pleurant notre jeune héros Mamadou Moustapha Ndala, prenons aussi le temps de poser certaines questions dérangeantes. Elles nous éviteraient de nous enfermer dans une émotion passagère. 


Elles nous aideraient aussi à examiner certaines erreurs communes à certains dignes fils et certaines dignes filles de notre peuple qui ‘’passent rapidement de l’autre côté’’ en tombant au front de la lutte pour une émancipation politique de notre Terre-Mère. 

Cela même si tout combattant de la liberté est toujours-déjà un mort en sursiset un vivant-à-jamais. Car les idées qu’il porte ou relaie ne meurent jamais. « On ne tue pas les idées », dirait Fidel Castro.

Nos larmes, après l’assassinat de notre compatriote Mamadou Ndala, coulent et couleront encore pendant longtemps. Nul ne pourra remettre en question son héroïsme. Ses discours sur les médias sociaux sont clairs et nets : il aimait son pays et tenait à redorer le blason de son peuple terni par plus de deux décennies d’humiliation, de traîtrise et de mort ignominieuse.

Hélas, ce patriotisme était-il suffisant pour porter les enjeux géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques au cœur desquels se trouve depuis toujours son pays ? 


Ce patriotisme était-il averti ? Il ne nous semble pas. 

A la suite de Lumumba, Mamadou Moustapha Ndala a cru dans la portion de nos populations qui l’acclamait (la masse) et la communauté internationale. Ce faisant, il n’a pas su comprendre, - qui aurait pu l’aider à le faire ?- que la guerre contre son pays fait partie des « guerres secrètes de la politique et de la justice internationales ».

Une française, porte-parole de la Procureure au Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Florence Hartmann, avait compris cela et publié un livre que plusieurs d’entre nous devraient lire ou relire[1]. 


Sur le même sujet, sa patronne, Carla Del Ponte, en collaboration avec Chuck Sudetie, a écrit une autobiographie[2] que plusieurs d’entre nous devraient aussi lire. 

Bien avant ces deux dames[3], deux Belges, « spécialistes des questions congolaises », ont écrit deux livres qui devraient être relus à l’heure actuelle. Le sous-titre du livre de l’une d’elles est éloquent : « Politique des puissances en Afrique centrale ».

Dans la foulée, des compatriotes, engagés à Kisangani dans la lutte pour le triomphe des droits de l’homme en RDC, ont mené des enquêtes sur une bonne partie de la guerre de basse intensité que le pays de Lumumba connaît depuis les années 90. Ils ont, tant bien que mal, réussi à en comprendre les logiques et en identifiés les alliés majeurs[4].

Quand, en 2010, Pierre Péan publie ‘’Carnages’’, le sous titre de ce livre, ‘’ Les guerres secrètes des puissances en Afrique ‘’ s’inscrit dans la ligne de ce que Florence Hartman avait déjà découvert en travaillant avec Carla Del Ponte. 


L’un des dénominateurs communs de tous ces livres est la possibilité qu’ils offrent de pouvoir identifier les acteurs externes et internes de la guerre sévissant en RDC (ainsi que leur réseautage) depuis plus de deux décennies, d’indiquer l’impuissance avouée ou complice des institutions juridiques et politiques internationales dans la recherche d’une issue juste, l’amateurisme ‘’des acteurs politiques congolais’’ et/ou leur bravoure, la capacité des acteurs externes de peser sur les choix politiques congolais, etc. Les noms y sont cités et les modes opératoires indiqués.

Un Task Force Congolais travaillant sur ces apports intellectuels aurait dû se constituer au pays (ou à l’extérieur) pour mettre à la disposition d’un plus grand nombre d’entre nous les résultats de toutes ces analyses ayant plusieurs points communs (accompagnés de preuves à l’appui). 


Malgré toutes les criques que les compatriotes peuvent formuler à l’endroit de nos deux « spécialistes belges », par exemple, leurs livres ont l’avantage de présenter certains faits, avec des dates et des acteurs à l’appui. Pierre Péan en fait de même.

Honoré Ngbanda dans ‘’crimes organisés’’ va plus loin en ‘’trahissant’’ certaines confidences. (Identifié comme proche de Mobutu,- ce que lui-même ne nie pas-, il n’a pas été lu par plusieurs d’entre nous.) Charles Onana constitue, lui-aussi, une référence importante pour aller assez loin dans la compréhension de ladite guerre.

Disons que du point de vue de l’organisation intellectuelle, plusieurs compatriotes ont renoncé à plusieurs sources du savoir et de connaissance qui auraient pu les aider à rompre avec ‘’la mauvaise répétition’’ de l’histoire. 


Ils ont préféré le colportage et ‘’la radio trottoir’’. Ils ont renoncé au savoir livresque, suffisamment documenté et sourcé. (Même si ‘’savoir n’est rien si ce que l’on sait ne devient pas son sang’’ et n’est pas mis en pratique.) 

Plusieurs de nos militaires, de bonne foi, patriotes dans la moelle épinière, se retrouvent dans ce cas ; par leur propre faute, par la faute de ceux et celles qui les instrumentalisent ou simplement par leur appartenance à un système ayant renoncé au savoir et à la connaissance ; un système plombé par le culte de la personnalité des marionnettes du réseau transnational menant des ‘’guerres secrètes’’ dans notre pays.

La renonciation au savoir et à la connaissance historiques sourcés versent plus facilement dans les réactions émotionnelles conjoncturelles. Mbuza Mabe meurt, tout le monde crie et organise des marches. 


Deux ou trois mois après, l’émotion passe et la tension retombe. Mamadou Moustapha Ndala est assassiné, tout le monde pleure et s’arrache les cheveux ; des demandes sont formulées pour qu’un monument lui soit dédicacé. 

Mobutu, complice dans la mort de Lumumba, a aussi fini par le déclarer ‘’héros national’’ et lui fabriquer un monument. Comme ses ‘’sosies actuelles’’, ils construisent ‘’les tombeaux des prophètes qu’ils ont tués’’.

Attention ! Protester après le meurtre ou l’assassinat des ‘’meilleurs d’entre nous’’, cela nous semble être une réaction patriotique saine. A condition qu’elle ne soit pas un feu de paille ! 


A condition que nous en tirions des leçons pour recréer ensemble ‘’un vivre ensemble’’ et ‘’un avenir averti’’. D’où l’importance d’inscrire ces assassinats et meurtres dans des registres archivés, de chercher à en identifier les commanditaires et les exécutants sur le temps, de façon à leur demander des comptes un jour afin de briser la spirale de l’impunité.

Si nous avions archivé et enseigné de manière suivie la déception de Lumumba à l’endroit de la communauté internationale, nous aurions peut-être été nombreux à nous opposer contre la mise sous tutelle de notre pays sous tutelle par l’ONU au cours de l’une des phases de la guerre de basse intensité dont notre pays est victime.

Comme Lumumba, Mamadou Moustapha Ndala, plusieurs autres dignes filles et fils de notre pays sont assassinés au vu et au su de l’ONU. A qui la faute ? 


Aux alliés majeurs et mineurs dans cette guerre. Mais aussi à nous ou plutôt au mépris de l’histoire de certains d’entre nous. 

Hier, quand Lumumba sollicite l’aide de l’ONU pour désamorcer la crise congolaise créée par les acteurs majeurs de la colonisation et leurs nègres de service, il oublie que « l’ONU n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’humanité par la colonisation ; et chaque fois qu’elle est intervenue, s’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonisatrice du pays oppresseur. »[5] 

Et Frantz Fanon ajoute : « Il n’est pas juste de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles. En réalité, l’ONU est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute échoue. Les partages, les commissions mixtes, les mises sous tutelle sont des moyens légaux internationaux de torturer, de briser la volonté d’indépendance des peuples, de cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère. »[6] 

 Il n’y a qu’au Congo de Lumumba où cette carte se joue. Non. 

Les résolutions votées à l’ONU pour démocratiser et humaniser la l’Irak, la Libye , l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, la Centrafrique , le Mali etc., ont provoqué la désolation et l’anarchie. 

Au Congo, les masses sur lesquelles Lumumba croyait s’appuyer pour protéger l’indépendance n’étaient pas encore majoritairement mûres pour risquer leur vie afin que leur leader politique triomphe. Elles n’étaient pas encore devenues ‘’les démiurges’’ de leur propre destinée. 

Et en se tournant vers l’ONU, il put commettre l’une des erreurs qui lui furent fatales. 

(Contrairement à Lumumba, quand Hugo Chavez est victime d’un coup d’Etat en 2002, la synergie entre les masses populaires, les hommes et femmes politiques fidèles au ‘’Commandante’’ et les militaires a dû travailler d’arrache-pied et l’as remis au pouvoir. Le Venezuela, en ‘’pays averti’’, n’a pas eu recours à l’ONU.)

Quand, après la théâtralisation de la guerre contre le M23, Moustapha Mamadou Ndala se fait adoubé par les masses à l’est de notre pays, il signe son arrêt de mort. 


A travers les médias sociaux, il exprime son patriotisme et sa détermination[7] dans une guerre de basse intensité destinée à exterminer les Congolais(es) en dépeuplant les localités habitées et riches en ressources naturelles pour faire de la place aux clients des multi et des transnationales faisant fonctionner ‘’la bourse de Kigali’’. 

Pris dans le piège de cette théâtralisation de la guerre menée en réseau par une milice ougando-rwandaise téléguidée de l’extérieur, membre de ‘’la majorité présidentielle’’, il devient ‘’une chèvre’’ à abattre[8]. 

Il s’écarte du schéma des ‘’nouveaux leaders de la renaissance africaine’’ (par chaos organisé et destruction créatrice du nouveau désordre africain) pour s’appuyer sur ‘’ les BMV’’ déjà destinés à l’extermination. 

Il a malheureusement cru en la propagande mensongère et au double langage du ‘’cheval de Troie’’ de ces leaders opérant à partir des institutions congolaises.

Comme Lumumba en 1961, Moustapha Ndala doit avoir commis la deuxième erreur reprochée à notre Héros National par Frantz Fanon : il a cru en l’appui des forces africaines sous le mandat de l’ONU. 


En 1961, « il fallait bien sûr envoyer des troupes (…), mais pas dans le cadre de l’ONU. Directement. Du pays ami au pays ami. Les troupes africaines au Congo ont essuyé une défaite morale historique. 

L’arme au pied, elles ont assisté sans réagir (parce que troupes de l’ONU) à la désagrégation d’un Etat et d’une nation que l’Afrique entière avait pourtant salué et chanté. Une honte. »[9] 

Au jour d’aujourd’hui, la Brigade africaine d’intervention (de l’ONU) donne inutilement l’impression de faire mieux ! La preuve, les Congolais(es) et leurs héros meurent au quotidien. Mamadou Moustapha Ndala est un exemple éloquent.

Contrairement à plusieurs d’entre nous, « les petites mains expertes » du capital ont de la suite dans leurs idées. Elles ont vu, le 02 août 1998, Laurent-Désiré Kabila, appuyé par les masses congolaises et d’autres alliés ponctuels, imposer un cuisant échec aux velléités de mainmise de ses alliés rwando-ougandais ‘’aux longues dents’’ sur le pays de Lumumba. 


Rapidement, au mois de novembre 1999, une mission onusienne ‘’pour la paix et la sécurité ‘’ fut mise en place au Congo. 

Depuis lors, ‘’la carte juridique’’ des ‘’maîtres du monde’’ est jouée dans ce pays et essaie de briser toute résistance populaire possible et imaginable en prenant appui sur les marionnettes congolaises du système néolibéral.

Comment éviter la reproduction de ces deux erreurs fatales (et de bien d’autres) dans le chef de nos ‘’futurs héros’’, tout en sachant qu’il n’y a que ceux qui n’agissent pas qui n’en commettent pas ? 


Comment est-ce que les autres ont fait pour éviter d’être les jouets de ‘’la communauté internationale’’ ?

Plusieurs leaders sud-américains ont essayé d’étudier en profondeur leur véritable histoire, d’alphabétiser leurs masses populaires à partir de cette histoire pour les transformer en masses critiques. 


Les transformations structurelles et institutionnelles ont permis à certains d’entre eux de ‘’gouverner à partir de la rue’’ afin de promouvoir une démocratie participative, seule capable d’une responsabilisation citoyenne digne de ce nom. 

D’autres, charismatiques comme Fidel Castro, ont su mobiliser une centaine de patriotes résistants contre le pouvoir colonial et s’en défaire après une guérilla de quelques mois ; malgré le soutien inconditionnel dont bénéficiait ce pouvoir auprès des impérialistes[10]. 

Castro a prouvé qu’un leadership collectif déterminé et visionnaire, même s’il est minoré, peut entraîner les masses dans une révolution qui leur soit tant soit peu bénéfique ; contre vents et marées. 

D’autres encore (si pas tous) ont bénéficié d’une longue tradition de la résistance transmise de génération en génération. Plusieurs d’entre eux avaient profondément compris qu’il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation. 

Ils ont éduqué et/ ou entraîné leurs masses populaires au courage, à l’esprit d’abnégation et à la persévérance. Ils les ont engagés sur la voie de la dignité et de la fierté d’être soi. Même s’ils ont encore du chemin à faire.

Il y a toujours moyen d’apprendre avec eux et à partir de l’histoire propre au Congo. Il est urgent qu’un Congo Plan soit mis sur pied pour ce travail à cours, moyen et long terme. 


Les minorités organisées en conscience ne doivent ni sommeiller ni dormir. La maison Congo brûle ! A moins d’un miracle, les pyromanes actuels ne seront jamais des pompiers. Les Congolais(es) sont averti(es).
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Mbelu Babanya Kabudi


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[1] F. HARTMANN, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales, Paris, Flammarion, 2007.

[2] C. DEL PONTE, La traque, les criminels de guerre et moi. Madame la Procureure accuse, autobiographie tr. de l’anglais par Isabelle Taudière, Paris, Héloïse d’Ormesson, 2009.

[3] M.-F. CROS et F. MISSER, Géopolitique du Congo (RDC), Bruxelles, Complexe, 2006 et C. BRAECKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003.

[4] J.-.P. BADIDIKE, Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regard du Groupe Justice et Libération, Paris, L’Harmattan, 2009.

[5] F. FANON, Œuvres, Paris, La découverte, 2013, p.875.

[6] Ibidem.

[7] https://www.youtube.com/watch?v=8KTeM73Vvpg

[8] Une écoute attentive de cette vidéo peut être instructive à ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=LQXAO30bufE#t=531

[9] F. FANON, O. C., p. 877.
[10] S. LAMRANI, 50 idées sur Fidel Castro, dans Le Grand Soir Info du 03 janvier 2014.

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