vendredi 10 janvier 2014

Rwanda – Afrique du Sud : Point sur l’assassinat du colonel Patrick Karegeya

le 7 janvier 2014 

Mercredi 1er janvier 2014 le corps sans vie de l’ancien chef des services de renseignements extérieurs du Rwanda devenu un opposant au régime a été retrouvé dans une chambre du complexe hôtelier Michelangelo à Johannesburg. 


Le principal suspect est un dénommé Apollo Kiririsi Ismael, riche homme d’affaire vivant au Rwanda. Très vite les regards se sont tournés vers Kigali dont l’homme fort, Paul Kagame, a acquis ces dernières années la réputation de ne tolérer aucune opposition. 

Le lundi 6 janvier les premiers suspects, trois Rwandais dont le capitaine Francis Gakwerere, ont été arrêtés au Mozambique[1].

 


Rappel des faits

Patrick Karegeya avait été chercher Apollo Kiririsi Ismael à la gare de Gautrain le 29 décembre et l’avait emmené à l’hôtel Michelangelo où il avait réservé une chambre pour Apollo, à la demande de ce dernier. 


Les deux hommes se connaissaient de l’époque où Patrick Karegeya était encore chef des renseignements extérieurs rwandais. 

Apollo était alors un informateur qui avait été recruté par Patrick Karegeya lui-même. Ils sont restés en contact et sont devenus très proches selon des informations recueillies par RFI. 

« Il continuait de lui fournir des informations précieuses sur le régime », confie une source au sein du RNC au journal RFI. Cela peut expliquer pourquoi la famille ne s’est pas inquiétée lorsqu’après minuit le soir du réveillon celle-ci ne parvenait pas à joindre M. Karegeya sur aucun de ses trois téléphones portables.

Mercredi matin le corps de Patrick Karegeya est retrouvé par la police après avoir été alertée par le neveu. Le cou du défunt est enflé, une corde et un essuie entachés de sang sont retrouvés dans un coffre-fort de la chambre de l’hôtel.

Vendredi après-midi les trois téléphones de Karegeya qui avaient disparu ont été allumés et les messages envoyés après son décès étaient d’un coup mentionnés comme lus. 


Dans ces téléphones emportés par les assassins se trouvaient beaucoup de contacts du Rwanda et de l’étranger, dont le groupe d’experts des Nations Unies sur le Congo et des organisations de défense des droits de l’homme. 

Les membres de son parti le RNC ont manifesté leur inquiétude quant à la sécurité de certains de ces contacts. 

Un opposant gênant pour Kigali

Diplômé en droit à l’université de Makerere en Ouganda, Patrick Karegeya, a travaillé dans les services de renseignements ougandais avant d’être nommé directeur général des services de renseignements extérieurs du FPR en 1994. 


Fin stratège, il a travaillé dix ans aux côtés du général Kagame avant de tomber en disgrâce, suite à des désaccords sur la manière de gouverner de l’homme fort de Kigali – selon le disparu. Il est destitué de son grade de colonel en 2006 et forcé de s’exiler en Afrique du Sud où il vivait depuis 2007.

Ami d’enfance de Paul Kagame, Patrick Karegeya était devenu depuis 2007 son plus farouche opposant.  


Dans une interview accordée à RFI en juillet 2013, l’ancien chef des services de renseignement, confie avoir des preuves de la responsabilité de Paul Kagame dans l’assassinat de l’ancien président rwandais Habyarimana qui a été le point de départ du génocide rwandais de 1994

Il affirmait ne pas vouloir les divulguer aux médias car « cela aura des conséquences sur les gens » mais disait être prêt à apporter des preuves dans le cadre d’une enquête judiciaire.

Ayant côtoyé Kagame pendant près de 30 ans, Patrick Karegeya savait tout de lui, ses secrets et les magouilles du régime. Il est lui-même accusé d’avoir fomenté des assassinats d’opposants politiques durant ses années de services au sein du FPR. Il n’avait aucun doute sur le caractère hautement dérangeant de son personnage et des révélations qu’il se disait prêt à faire. 


« Malheureusement Kigali ne peut plus supporter aucune opposition. Certains d’entre nous qui ont fui pour s’exiler ne sont pas du tout en sécurité. Il y a un plan délibéré de tous nous tuer », avait confié l’ancien chef de services de renseignement au journal Wall Street l’année dernière.

Patrick Karegeya avait cependant refusé la protection rapprochée dont bénéficie le général Kayumba Nyamwasa après avoir été victime d’une double tentative d’assassinat en 2010 dont le Rwanda est, une fois de plus, le principal suspect. Il avait préféré garder sa liberté de mouvement tout en restant vigilant. 


Il choisissait avec précaution ses lieux de rencontre avec ses interlocuteurs. En effet le complexe Michelangelo est un des lieux hautement sécurisés et serait sous la surveillance des services secrets sud-africains. 

Le RNC et d’autres partis de l’opposition rwandaise accusent le Rwanda

Fondé en 2010 par Patrick Karegeya et trois autres dissidents du FPR, Kayumba Nyamwasa, Dr Therogène Rudasingwa et Gerald Gahima, le RNC (Rwandan National Congres) accusait déjà le Rwanda dès la connaissance du décès de leur compagnon. 


« Ce n’est ni la première fois ni la dernière fois. La plupart des opposants politiques du Président Paul Kagame sont en exil, en prison ou morts », rappelle Kayumba Nyamwasa au journal The Independent.

En effet l’homme fort de Kigali, Paul Kagame dirige le pays d’une main de fer et ne tolère aucune contradiction. Au cours des années ses opposants ont été traqués, intimidés, torturés, emprisonnés, décapités, victimes d’assassinat ou de tentative d’assassinat. Kigali semble ne reculer devant rien pour faire taire ses opposants potentiellement gênants.

Cela a notamment été le cas de Seth Sendashonga ancien ministre de l’Intérieur qui est tombé en disgrâce du pouvoir après avoir dénoncé l’abus des droits de l’homme par le FPR, en particulier les massacres de Kibeho – forcé de s’exiler au Kenya, il a été victime d’une première tentative d’assassinat en 1996, il sera abattu deux ans plus tard- et du colonel Théoneste Lizinde, tous les deux abattus dans les rues de Nairobi. Un modus operandi bien connu de Kigali. 


Les conséquences possibles de l’assassinat de Patrick Karegeya
Les conséquences diplomatiques

Le porte-parole de Jacob Zuma, Mac Maharaj, dit que les autorités sud-africaines ne discuteront pas de cette matière avec les Rwandais tant que l’enquête n’aura pas démontré l’implication du Rwanda.[2] 


L’on se souvient que les tentatives d’assassinat contre Kayumba Nyamwasa avaient provoqué une grave crise diplomatique entre le Rwanda et l’Afrique du Sud. Ce dernier avait rappelé son ambassadeur de Kigali et il n’y est retourné que deux ans après. 

Le mécontentement sud-africain était grand surtout que cette tentative avait eu lieu au moment où les caméras du monde entier étaient braquées vers ce pays qui organisait la première coupe du monde sur le continent africain et qui faisait tout pour convaincre qu’il pouvait garantir la sécurité des visiteurs.

À la différence de l’attentat contre Nyamwasa où les suspects ont été arrêtés sur le sol sud-africain, trois Rwandais et trois Tanzaniens qui sont en train d’être jugés actuellement , les suspects ont directement quitté le pays. Quelques heures après le crime, le premier suspect, Apollo, aurait déjà été de retour à Kigali


La justice sud-africaine le réclame. Kigali le livrera-t-il ? 

Si ce n’est pas le cas, ceci risque d’engendrer certainement des conséquences diplomatiques dont on ne peut mesurer l’étendue à l’heure actuelle.

Aussi, les relations déjà tendues entre le président Kagame du Rwanda d’une part et les présidents Jakaya Kikwete de Tanzanie et Jacob Zuma d’Afrique du Sud d’autre part, pourraient s’envenimer. 


En effet, d’une part, certaines sources affirment que Patrick Karegeya était un ami personnel du président tanzanien dont Paul Kagame avait déclaré dans un discours du 30 juin qu’il l’attendra au bon moment pour le frapper (sic). 

Il répondait alors à la proposition du président tanzanien de négocier avec les rebelles des FDLR basés à l’Est du Congo. D’un autre côté, sous le drapeau de l’ONU, les Tanzaniens et les Sud-Africains combattent les rebellions qui déstabilisent l’Est du Congo dont certaines sont soutenues en hommes et en armes par le Rwanda. 

Il faudrait donc s’attendre une réaction à cet assassinat qui peut être ressenti comme un affront de la part des Sud-Africains notamment dont l’ordre public a été troublé par un autre pays si cela se confirme par l’enquête. 

L’effet sur le RNC et l’opposition en général

Le Congrès National Rwandais (RNC) est indubitablement une composante importante de l’opposition politique rwandaise du fait surtout qu’il a été fondé par des anciens hauts cadres du FPR qui en savent beaucoup sur ses secrets et sa nature. 


Dr Rudasingwa, Coordinateur du RNC et ancien Secrétaire général du FPR puis chef de cabinet du Président Paul Kagame, rappelle que les intentions de Kagame sont de décapiter cette organisation et estimerait qu’en éliminant Patrick Kayegera, l’organisation pataugera et finira par s’effondrer. Pour l’ancien chef de cabinet, le Président se met le doigt dans l’œil.

Bien qu’ils n’aient pas de fonctions précises au sein du RNC, Nyamwasa et Karegeya étaient ensemble la pierre angulaire de cette organisation de par les fonctions exercées au sein du FPR et l’influence qu’ils ont eue en son sein. 


Sous menace de mort et sous la protection des services de sécurité sud-africains, l’action de Nyamwasa s’est désormais beaucoup limitée. Le coup porté à RNC est donc très lourd, surtout que d’aucuns jugeaient Karegeya comme quelqu’un de charismatique malgré le fait qu’il ait lui-même dirigé la machine qui a mis fin à sa vie. 


Michelangelo Hôtel – source : Chimpreports

L’effet de cet assassinat pourrait néanmoins rapprocher l’opposition. Beaucoup d’acteurs de l’opposition, majoritairement hutue, ne font pas confiance au RNC car son leadership est composé par des anciens du FPR, organisation qui a commis beaucoup de crimes à caractère ethnique contre les populations hutues et congolaises au moment où cette élite était parmi les décideurs. 


Cet acte montre que quelque part le problème du Rwanda n’est pas (ou n’est plus) nécessairement ethnique. Beaucoup d’opposants ont été tués depuis que le FPR est au pouvoir. 

Les premières années c’était plutôt les personnalités hutues qui étaient la cible ; aujourd’hui ce sont surtout les Tutsi en discorde avec le FPR qui sont les cibles. 

De cette menace persistante et violente naitra-t-il enfin un idéal commun généralement admis à défendre, non contre un homme mais contre un système institué et qui s’est retourné contre ceux qui l’on institué ? 

Les conséquences au sein du FPR

« Tous ceux qui useront de l’épée périront par l’épée », telle était l’idée qui revenait souvent dans les commentaires des internautes lecteurs d’un journal en ligne rwandais.[3] 


Non pour dire que lui-même a usé de l’épée et donc devait partir de cette manière mais plutôt que ses assassins eux aussi périront de la même manière. Mais, n’est-ce pas que le même raisonnement tiendrait du point de vue des victimes des escadrons de la mort qu’il a lui-même dirigés ? 

Ce qui est certain en tout cas c’est que beaucoup de Rwandais ont été touchés par la mort de la victime – malgré ce qui lui est reproché en tant qu’ancien patron des renseignements du FPR.

De son côté, à une question d’un internaute qui voulait connaître la position du gouvernement rwandais par rapport à la mort de l’ancien chef des services de renseignement, la ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo sur son compte Twitter, a déclaré « la question n’est pas comment tu commences mais comment tu finis. Cet homme s’était déclaré ennemi de mon gouvernement et de mon pays, vous espérez la pitié ? » (« It’s not about how u start, it’s how u finish. This man was a self-declared enemy of my Gov & my country, U expect pity ? »). 


Toujours sur le réseau Twitter, à la question du fils du défunt, Elvis Karegeya, de savoir si tout « ennemi » du gouvernement méritait d’être étranglé jusqu’à la mort, la même ministre a répondu que « ce qui arrive aux ennemis du gouvernement rwandais ne devrait pas empêcher ce dernier de dormir ». 

Le Premier ministre Dr Pierre-Damien Habumuremyi a quant à lui exprimé le même fond de ces messages précédents en ces termes « trahir les gens et le pays qui ont fait de vous un homme doit toujours avoir des conséquences sur vous ».

Par ailleurs, les trois téléphones de la victime ont été emportés. Plusieurs personnes à Kigali et ailleurs dans le monde sont désormais exposées à la vengeance du régime. 


Patrick Karegeya, de par son charisme et de son côté sociable, était la personne qui avait le plus d’affinités au sein des services de renseignements rwandais mais aussi dans l’armée et qui continuait à les entretenir. 

Toutes ces personnes doivent désormais se justifier de tout contact qu’elles auraient eu avec le défunt colonel. Les auditions auraient même commencé. 

En effet, certaines sources affirment que le général Karenzi Karake, l’actuel chef des services de renseignement serait en résidence surveillée, et que James Kabarebe, ministre de la Défense, qui est régulièrement accusé d’avoir aidé Patrick Karegeya et Kayumba Nyamwasa à s’enfuir, serait suspecté d’avoir continué le contact avec ces « ennemis » du gouvernement FPR.

L’assassinat de Karegeya risque de créer un enchainement de mécontentements qui pourront faire éclater le FPR qui est déjà désagrégé et dont l’unité apparente semble ne plus tenir qu’à la crainte de l’épée d’un homme.
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Pacifique Habimana et Irène Nyenyeli



[1] (en Kinyarwanda) http://www.inyenyerinews.org/politiki/umwicanyi-capt-gakwerere-francis-na-bandi-babiri-mu-maboko-ya-police-ya-mozambique/

[2] (http://online.wsj.com/news/articles/SB10001424052702303640604579295930567720894)

[3] Lire (en Kinyarwanda) http://igihe.com/amakuru/muri-afurika/article/patrick-karegeya-yiciwe-muri

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