mercredi 26 février 2014

Charles Onana :«On n’obtient pas de réconciliation à travers une inflation de lois d’amnistie»

le 25 février 2014



Réagissant à la promulgation de la loi d’amnistie en RDC

La loi d’amnistie pour faits insurrectionnels, faits de guerre et infractions politiques, promulguée le 11 février par le président de la RDC, Joseph Kabila, alimente encore les conversations dans l’opinion nationale et internationale. 

Interrogé à ce sujet, Charles Onana, journaliste d’investigation et l’un des meilleurs spécialistes de la région des Grands Lacs africains, donne son point de vue sur ce texte, l’un des engagements pris par le gouvernement congolais à l’issue de la guerre dans l’Est du pays contre le mouvement du M23, et considérée par une majorité des Congolais comme un chèque en blanc accordé aux rebelles.

En tant que journaliste d’investigation, vous travaillez beaucoup sur la situation dans la région des Grands Lacs et vous y avez consacré un certain nombre d’ouvrages. Avec l’éclairage qui est le vôtre, pourriez-vous dire aujourd’hui que la guerre est finie dans l’Est de la RDC avec la défaite du M23 ?

Au risque de vous décevoir, Non ! La guerre n’est pas finie et rien ne prouve que le M23 a disparu. Le nom du mouvement va probablement disparaître mais pas ceux qui l’ont créé, armé et financé. 

Ceux qui ont installé le RCD, le CNDP et le M23 n’ont pas encore disparu de la région. A chaque fois qu’ils sont débusqués, notamment par les rapports des experts de l’Onu, ils font le vide et remettent les compteurs à zéro en attendant de revenir sous un autre visage.

Que vous inspire la loi d’amnistie, promulguée en RDC, censée favoriser la réconciliation nationale en permettant la réinsertion sociale d’anciens rebelles ?

On n’obtient pas de réconciliation à travers une inflation de lois d’amnistie. Que signifie d’abord le terme « réconciliation » pour les Congolais aujourd’hui ? 

Est-ce l’urgence d’absoudre tous ceux qui ont commis des viols et des crimes contre l’humanité en RDC ? Est-ce le fait d’ignorer l’immense traumatisme causé au peuple congolais depuis 1998 ? 

Est-ce le fait pour eux d’oublier toutes les fraudes électorales précédentes pour des promesses d’un développement et d’une vie démocratique incertains ? 

Le terme de « réconciliation » est tellement galvaudé qu’il risque de plus signifier grand-chose aussi bien pour ceux qui l’emploient que pour ceux qui en sont les destinataires. 

Ce qui se passe en RDC est en dessous de toute rationalité. Pourtant, les institutions congolaises sont remplies de gens très rationnels et particulièrement intelligents. Mais bien des observateurs ont du mal à comprendre pourquoi certaines décisions ne reflètent pas cette intelligence.

Une écrasante majorité de Congolais ont le sentiment que cette loi a fait la part belle aux rebelles du M23, qui restent menaçants pour la paix et la sécurité dans l’Est de la RDC, à partir de leurs bases en Ouganda et au Rwanda. Partagez-vous ce sentiment ?

Je pense finalement que la rationalité est davantage du côté de cette écrasante majorité des Congolais. C’est dommage que cette majorité ne soit pas celle qui décide.

Les autorités congolaises ont-elles accordé un chèque en blanc au M23 ?

Il faut leur poser cette question, car les négociateurs ont certainement eu une feuille de route et tous ceux qui ont participé aux discussions doivent être en mesure de dire s’ils ont défendu les intérêts du Congo et du peuple congolais ou s’ils ont agi dans le sens contraire de ces intérêts.

D’aucuns disent que la communauté internationale a fait pression sur la RDC pour faire adopter cette loi à l’Assemblée nationale ? Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis un membre de la communauté internationale mais si j’en juge par mon expérience de ce qui passe au sein de l’Union européenne, il est évident que certains s’épuisent à faire constamment des pressions plutôt qu’à sanctionner les agents de déstabilisation de la RDC. 

Ils y trouvent probablement une grande satisfaction à maintenir le Congo et les Congolais dans une position de soumission à leur diktat.

Pourquoi les Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) ne bénéficieraient-elles pas du même traitement que le M23, selon vous ?

Parce qu’ils ne sont pas si importants que ça ! On fatigue les Congolais avec les FDLR. Tout le monde sait que ce groupuscule de Rwandais n’a pas les moyens d’entretenir une guerre longue, coûteuse, traumatisante contre la RDC. 

C’est l’alibi qui a été trouvé depuis dix ans pour entretenir le mensonge sur le drame de l’Est du Congo. Je connais le poids de ce mouvement et même celui de ses membres en Europe. Ils n’ont ni la valeur, ni le pouvoir qu’on veut absolument leur donner.

Combien de fois nous a-t-on dit qu’on démantelait les FDLR ? Kagame avait dit qu’il fallait les éradiquer. Kinshasa semblait aussi partager cette position. Où en est-on avec ce projet d’éradication des FDLR ? 

En vérité, s’il n’y a plus le nom des FDLR en RDC, on sera obligé de parler de vrais gangsters de la région. Pour ne pas avoir à en parler, il faut faire vivre les fantômes, c’est rassurant pour certains !

N’y aurait-il pas un risque, en RDC, que d’autres inciviques se lancent dans des aventures criminelles identiques à celles du M23 pour être eux aussi récompensés ?

C’est déjà le cas. C’est pour cela qu’on parle de démantèlement du M23 ou des FDLR même si, pour moi, ces deux mouvements ne sont pas à mettre au même niveau de nuisance ou de criminalité en RDC. 

Mais le discours envahissant sur ces mouvements évite de parler de façon exhaustive de vrais prédateurs, y compris les nouveaux. On essaie, par ce procédé, de faire croire que la situation est figée depuis des années et qu’elle tourne uniquement autour du M23 ou des

FDLR. Que cette présentation de choses est commode !

Comprenez-vous la différence faite par la CPI entre « crimes ethniques » et « crimes contre l’humanité » à propos des accusations portées contre Jean-Bosco Ntaganda, mercenaire rwandais, nommé général au sein des FARDC ?

L’arrestation de cet individu a été vécu avec beaucoup d’enthousiasme par certains à l’époque. Mais son passage dans une « cellule de dégrisement » ou de « débriefing » à l’ambassade des Etats-Unis, à Kigali, semble avoir donné la direction vers laquelle son procès allait s’acheminer : nulle part. Ce serait d’ailleurs intéressant de savoir si Kinshasa participe activement à la collecte des preuves contre Ntaganda, ex-CNDP et ex-général des FARDC.

En tant que spécialiste de la région des Grands Lacs, que préconisez-vous comme solution pour mettre un terme à la crise qui secoue la partie Est de la RDC depuis bientôt vingt ans ?

Il y a d’imminentes personnalités à la tête de la RDC payées par le contribuable congolais et agissant en son nom. Ce sont ces personnalités qui doivent trouver des solutions à la crise du Congo. Elles ont la légitimité ou le pouvoir d’agir. 

Si elles ne trouvent pas de solution depuis vingt ans, c’est un peu surprenant et c’est même très étonnant. Si elles n’ont pas d’idées, il faut donc organiser un référendum pour demander aux Congolais quelles mesures faut-il prendre contre les prédateurs nationaux ou étrangers de la RDC et contre les auteurs et responsables des crimes contre l’humanité au Congo. 

Il est certain qu’en moins de 24 heures, les imminentes personnalités qui peinent depuis une décennie auront l’embarras du choix dans la liste des mesures urgentes que leur proposera le peuple congolais. 

Je suggère donc qu’en cas de difficulté majeure à trouver la solution, le peuple congolais pourrait la trouver très rapidement et ce serait certainement plus efficace.

A qui profite le désordre en RDC ?

A tous ceux qui n’agissent pas pour que ça s’arrête. Mais aussi à ceux qui racontent des sornettes pour faire illusion. Ils s’opposent farouchement à la vérité et refusent de voir le peuple congolais debout et digne.
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PROPOS RECUEILLIS PAR ROBERT KONGO, CORRESPONDANT EN FRANCE
Le Potentiel

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