Un dictateur chez les démocrates
Depuis hier, le président angolais José Eduardo Dos Santos d’Angola, est en visite officielle de deux jours en France. Après un entretien avec son homologue français François Hollande, il a été invité à un déjeuner officiel à l’Elysée.
C’est la première visite en France du président Dos Santos, depuis l’affaire des ventes d’armes russes à l’Angola. L’« Angolagate » avait éclaté en France à la fin de l’année 2000, avec des poursuites judiciaires contre l’homme d’affaires franco-brésilien, Pierre Falcone.
Pour sauver la face, les autorités de Luanda avaient décidé de lui accorder le statut de conseiller diplomatique de leur délégation auprès de l’Unesco à Paris.
Le régime Dos Santos entendait ainsi protéger l’homme qui avait aidé l’Angola à acheter des armes, à un moment où le pays en avait besoin pour sa survie.
Luanda voulait également faire passer un message de fermeté aux autorités françaises, pour n’avoir pas tenu leurs promesses dans « l’Angolagate ».
Le dossier Falcone avait fini par crisper les relations entre les deux pays
Dans cette affaire, plusieurs personnalités politiques françaises, suspectées d’avoir été les bénéficiaires de commissions occultes, avaient été mises en cause. Mais, le président José Eduardo Dos Santos s’était personnellement impliqué pour demander le retrait des plaintes.
Déçu, le chef de l’Etat angolais s’était alors mis à bouder la France. Sur le plan économique, Luanda avait multiplié les menaces voilées concernant la poursuite du partenariat en matière de pétrole, sans pour autant prendre de mesures de rétorsion contre Total, le groupe français, qui demeure toujours dans ce secteur le deuxième partenaire de l’Angola.
Bref, le dossier Falcone avait donc fini par crisper les relations entre les deux pays. Des relations considérées comme difficiles, mais que la France du socialiste François Hollande entend bien changer !
Encore une fois, les faits donnent raison au Général De Gaule qui disait en substance que la France n’a pas d’amis, elle a des intérêts. Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir Paris « passer à une nouvelle étape ».
Durant cette visite officielle en France, le président angolais devait également s’entretenir avec le président de l’Assemblée nationale.
L’agenda prévoyait en outre des rencontres avec les patrons de grandes entreprises françaises, des hommes d’affaires, et des investisseurs représentant plusieurs secteurs d’activité.
C’est donc une visite historique que Dos Santos rend aux Français, après celle effectuée en 2000. Il vient sans aucun complexe, sûr de lui, et des énormes potentialités de son pays.
L’homme a l’avantage d’être discret, toujours reconduit par son parti qui reste majoritaire dans son pays. Successeur du légendaire Agostino Neto, le Chef de l’Etat angolais est bon stratège.
Il a toujours su bien user de la machine du MPLA pour écarter les brebis galeuses et se maintenir au pouvoir.
Cela lui vaut d’ailleurs des critiques acerbes. N’empêche, depuis la mort de son historique adversaire, Jonas Savimbi, une certaine stabilité règne en Angola.
Puissance économique régionale, ce pays est aussi parvenu à faire oublier le problème cabindais. Aidé en cela, il est vrai, par la maladresse des défenseurs de l’enclave eux-mêmes.
Ces derniers s’étaient, en effet, isolés de nombre d’Africains après les tueries perpétrées lors de la Coupe d’Afrique des Nations.
Les balles des rebelles indépendantistes cabindais avaient fait des victimes innocentes : des membres des délégations venues participer à la fête continentale du football, notamment des joueurs et officiels du Togo.
Un scandale qui aura finalement profité davantage à l’adversaire angolais. Le dossier cabindais s’est, du coup, vu renvoyer aux calendes grecques.
Très riche en pétrole et en divers autres minerais, l’Angola semble s’imposer aux Occidentaux, pour qui l’économie a depuis longtemps damé les pions aux principes et aux questions relatives aux droits humains, tout comme à l’alternance démocratique.
On traite sans scrupules avec les tenants du pouvoir. On écoute à peine l’opposition angolaise devenue comme aphone !
Il y a loin désormais, du discours de La Baule aux puits de pétrole, sans oublier l’or et les diamants, et tout ce qui permet de faire face aux impératifs du progrès technologique, et aux défis de l’emploi.
L’Occident a réellement mal à sa récession, et il lutte pour en sortir. Honni donc qui mal y pense ! De moins en moins, les grands chevaliers des droits de l’Homme se montrent choqués par ce qui se passe en Angola. Pourtant, les dossiers ne manquent pas.
Très peu de dirigeants africains peuvent se vanter d’être encore des modèles de vertu et de patriotisme
La visite du président angolais en France mobilise les ONG. L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) demande aux autorités françaises d’aborder avec les autorités angolaises la situation critique des droits de l’Homme dans ce pays.
Il est question, entre autres, des violences sexuelles à l’encontre des Congolaises expulsées du Nord [du pays] depuis décembre 2003...
Pour Clément Boursin, responsable Afrique à l’ACAT, « François Hollande et Laurent Fabius ne doivent pas sacrifier la question des droits de l’Homme en faveur des bonnes relations économiques. »
Mais peut-on infléchir Hollande qui lutte aujourd’hui pour redorer son blason ? Au plus bas dans les sondages, le chef de l’Etat français cherche des solutions aux questions de l’emploi qui taraudent l’esprit de plusieurs de ses concitoyens.
Le scrutin présidentiel n’est plus très loin. La real politik tend donc à l’emporter.
François Hollande, qui pense déjà à sa réélection en 2017, saura probablement fermer les yeux sur certains dossiers.
Nul doute alors que les amis socialistes angolais du MPLA voudront lui donner un coup de main, en ouvrant davantage les vannes du pétrole, comme pour favoriser le plein emploi.
Pourquoi donc s’échiner à fâcher des amis à l’écoute de vos problèmes, ou susceptibles de vous aider à les résoudre ?
De ces maquisards patriotes qui nous restent de l’Afrique combattante d’hier, il y a beaucoup à redire. Victime de la boulimie du pouvoir, combien sont-ils aujourd’hui, à pouvoir servir de référence à nos jeunes qui cherchent des repères ?
En tout cas, longtemps, on chantera les louanges du Président Aristides Pereira du Cap Vert qui, le premier, a eu la sagesse d’ouvrir l’alternance démocratique après le discours de la Baule en renonçant au pouvoir de son plein gré.
Après lui, très peu de dirigeants africains, même parmi ceux forgés dans la lutte de libération, peuvent se vanter d’être encore des modèles de vertu et de patriotisme.
A croire que les luttes anti-coloniales n’auront servi qu’à ouvrir la voie à des ambitieux, désireux plutôt de s’accaparer des richesses du pays, aux dépens de la majorité des populations !
Dos Santos, dont la fille demeure l’une des femmes les plus fortunées d’Afrique, vaut-il mieux que Mugabé du Zimbabwe, dont on critique sévèrement la gestion ? Assurément non.
Quelles différences entre l’Angola du MPLA et l’Algérie du FLN, qui puisent tous les deux l’argumentaire de la pérennité au pouvoir dans la légitimité historique, toute chose qui ne fait point l’affaire des générations montantes ?
Bien révolu, le temps de la critique et de l’autocritique qui auraient pourtant pu aider bien des héros de la guerre de libération à faire leur mutation !
Comment alors ne pas s’émouvoir de voir Dos Santos d’Angola arpenter sans soucis les marches de l’Elysée à Paris ? Tout un symbole !
La France de la démocratie et des Droits de l’Homme, semble bien s’accommoder de dérouler le tapis rouge à un grand homme du passé, devenu aujourd’hui un des grands dictateurs du continent, à qui le vocable alternance donne de l’urticaire.
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Le Pays
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