vendredi 2 mai 2014

Les voleurs de révolutions

vendredi 2 mai 2014

Lorsqu’un peuple prend le pouvoir, ou du moins, lorsqu’il tente de le reprendre, que ce soit en Libye, en Algérie, en Syrie, en Iran, et dans tant d’autres pays, on s’aperçoit finalement que ce pouvoir échappe souvent à ceux qui s’étaient battus pour libérer leur pays. 



En Algérie, Bouteflika a été réélu dans un fauteuil malgré une jeunesse majoritaire dans le pays, qui voudrait plutôt changer de livre que de seulement tourner la page, mais le lobby présidentiel puissant de sa manne pétrolifère, arrose les plus méritants, les plus soumis, et tant qu’il restera du gaz et du pétrole, aura le potentiel de garder le pouvoir. lien

En Egypte, les frères musulmans avaient dans un premier temps récupéré la révolution, jetant le peuple dans la rue, lequel a finalement redonné le pouvoir à un militaire qui règle les comptes à sa façon, brutalement, condamnant à mort à tout va, tant dans le camp musulman, que dans celui des manifestants de la place Tahrir et récemment 700 pro-Morsi ont été condamnés à mort après un jugement pour le moins expéditif, alors que 15 000 autres contestataires s’entassent en prison.

le maréchal Sissi, ayant quitté l’uniforme pour endosser l’habit présidentiel, a interdit purement et simplement le mouvement du 6 avril, fer de lance de la révolte populaire qui avait chassé Moubarak, et Ahmed Maher, leader de ce mouvement vient d’être condamné à 3 ans de prison pour avoir manifesté sans autorisation. lien

En Libye, une coalition de 6 pays, emmenée par l’ex-président français, soupçonné d’avoir voulu effacer une dette, (lien) a chassé Kadhafi, (lien) faisant passer le pays brutalement de la dictature au désordre le plus total.

Les diplomates évoquent dans leur langue particulière « une surimposition de légitimités », pour ne pas dire la vérité toute crue, à savoir que le pays est livré à la loi des milices, les « autorités » ayant abandonné toute volonté de régulation.

Comme le dit avec lucidité l’historien africaniste Bernard Lugan « la démocratisation de la Libye est donc un tragique échec et la « croisade humanitaire » décidée par la France de Nicolas Sarközi a débouché sur un désastre, d’autant que le rêve démocratique qui fit se pâmer BHL n’est même pas celui des Libyens puisque le 20 février dernier, les élections destinées à élire les 60 membres du conseil chargé de rédiger la nouvelle constitution n’ont attiré que moins de 15% des électeurs ». lien

Il n’y a guère que la Tunisie à s’en sortir plutôt bien, puisque le pays vient de se doter d’une constitution, (lien) et se dirige doucement vers une démocratie apaisée, même si la situation reste fragile.


Les avancées démocratiques sont nombreuses : refus de la Charia, liberté d’association et de réunion, la torture devenant un crime imprescriptible, égalité entre femmes et hommes, et même si la peine de mort est maintenue, les Tunisiens attendent désormais le renouveau législatif. lien

L’immolation par le feu, le 17 décembre 2010, du jeune Mohamed Bouazizi de 26 ans n’aura donc pas été vaine. lien

La partie n’a pas été facile, car après lui, il y a eu entre autres l’assassinat de Chokri Belaïd, élu de l’opposition de gauche et secrétaire général du Mouvement des Patriotes Démocrates, qui comme d’autres ne voulait pas se laisser voler sa révolution. lien

L’Iran, sous le coup de sanctions internationales, fait apparemment profil bas, remettant à plus tard ses ambitions nucléaires, sous la pression d’un peuple qui subit, et voudrait bien pour nombre d’entre eux, se débarrasser du carcan religieux, souvent obscurantiste.

Au Yémen, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978 a finalement abdiqué, remettant ses pouvoirs au vice-président, lequel était chargé d’organiser une transition démocratique.

Cependant, celle-ci avance à vitesse réduite, et les autorités yéménites ont signé pour reculer d’une année l’échéance politique, faisant valoir des revendications sécessionnistes, des menaces terroristes, et l’instabilité politique.

Cependant, d’après de nombreux observateurs, le Yémen est engouffré dans un marasme politique qui pourrait ne pas tourner en faveur de la démocratie. lien

Au Bahreïn, Ghassan Sahran, membre d’Al-Waad, principal parti de gauche, constate au bout de 3 ans de mobilisations : « nous en sommes toujours au même point, rien n’a changé, et aucune solution politique ne se profile » mais il a décidé de « poursuivre pacifiquement sa contestation… ». lien

Au Maroc, devant la fronde citoyenne, le roi Mohamed VI avait lâché du lest, en réformant la constitution, mais 2 ans après, la déception est grande, (lien) et les marocains demandent a Abdelilah Benkirane d’engager réellement les réformes sociales, au moment ou 1 jeune sur 3 est au chômage et ou le déficit du PIB a atteint en automne dernier les 7%.

La décision royale de gracier un pédophile espagnol coupable d’avoir violé des mineurs âgés de 4 à 15 ans, et condamné à 30 ans de prison a largement contribué à dégrader l’image du Roi, à tel point qu’il a été obligé de faire machine arrière, affaiblissant d’autant son autorité. lien

Mais c’est surtout en Syrie que les yeux se tournent tant les avis divergent sur le sujet.

Certains y voient la volonté russe de s’opposer aux ambitions américaines…d’autres n’y voient qu’un dictateur sanguinaire jusqu’auboutiste prêt à tout pour conserver le pouvoir.

Quid de ces jeunes qui quittent l’Europe pour rejoindre la lutte contre Assad ?

Quid des atermoiements européens s’interrogeant sur les possibilités d’action, prêts peut-être à valider le tyran en place puisque celui-ci a décidé de se faire élire le 3 juin avec succès sans aucuns doutes.…

Quid de ces armes chimiques dont la destruction n’est pas terminée, d’autant qu’une enquête récente porte à croire que le pouvoir syrien aurait utilisé du chlore au moins à 9 reprises depuis le début de l’année contre les habitants de Kafar Zita. lien

Pour répondre à ces questions, il fallait écouter l’analyse précise et argumentée du chercheur et politologue Ziad Majed, sur l’antenne de France Culture, le 28 avril 2014, dans l’émission « du grain à moudre » sous le titre de « la communauté internationale a-t-elle perdu la guerre ? » en présence de Manon Nour Tannous, chercheuse en relations internationales, et de Fabrice Balanche, géographe et spécialiste de la Syrie. lien

Le bilan provisoire des 3 ans de cette guerre est accablant : 150 000 morts, 2,6 millions de réfugiés, 6,5 millions de déplacés, 200 000 prisonniers dans les geôles libyennes, 11 000 d’entre eux ayant été torturés à mort, ce qui est prouvé par 55 000 photos, avec en contrepoint une communauté internationale qui a manifestement manqué à son devoir.

Il faut reconnaitre que le double véto, celui des russes, et celui des chinois complique singulièrement la tâche, d’autant que l’Iran et la Russie soutiennent el-Assad, avec force armes et experts militaires. lien

Les américains, après le bourbier irakien, ne sont pas prêts à mettre le nez dans le conflit, et la France et l’Angleterre après « l’affaire libyenne » sont dans l’expectative…

Mais comme le conclut Manon Nour-Tannous, Bachar el-Assad ne pourra gagner véritablement, il est trop contesté dans son propre pays, responsable de trop de morts, et la politique de la terre brulée menée par les assaillants assombrit le tableau, le pouvoir syrien étant condamné à bombarder sans fin, tel un avion qui ne pourrait jamais atterrir, pour garder la main.

Ceci dit, la France n’a pas de leçons à donner si l’on veut bien se rappeler comment a commencé, et s’est terminé, la révolution française.

La fable colportée par Michelet est aujourd’hui discréditée, et l’on sait que la bourgeoisie, pour punir le Roi de s’être débarrassé de Necker, avait armé le petit peuple, puis moyennant finance avait repris les armes des révolutionnaires une fois la Bastille prise, ainsi que le raconte le grand historien Henri Guillemin, expliquant comment les nouveaux riches ont « agité » le peuple pour déposséder le roi de son pouvoir. lien

Comme le rappelle l’historienne Bénédickte Kibler, 13 ans avant la révolution, pourtant le Roi avait manifesté son désir de réforme en déclarant :: « en forçant le pauvre à entretenir seul les routes, en l’obligeant à donner son temps et son travail sans salaire, on lui enlève l’unique ressource qu’il ait contre la misère et la faim pour le faire travailler au profit des riches ». lien

En réalité, le pouvoir appartenait déjà aux roturiers qui, par les contrôleurs généraux, et les intendants tenaient déjà les rênes de l’état.

La vraie révolution viendra en 1792…puis Napoléon, l’homme qui pourtant détestait les français, a pris le pouvoir, après avoir déclaré : « féroces et lâches, les français joignent aux vices des germains ceux des gaulois, c’est le peuple le plus hideux qui n’ait jamais existé ». lien

Puis l’eau a coulé sous les ponts et on voit comment aujourd’hui nous sommes gouvernés dans cette démocratie qui n’en aura bientôt plus que le nom, puisque les résultats des référendums y sont ignorés, et les promesses trahies, d’où la colère lucide chantée par Keny Arkana. vidéo

Comme dit mon vieil ami africain : « il est plus facile de tromper les gens que de les convaincre qu’ils l’ont été ».

L’image illustrant l’article vient de « rmtnews.wordpress.com »

Merci aux internautes de leur aide précieuse
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Olivier Cabanel

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