mercredi 7 mai 2014

Lutte pour la souveraineté : Les Congolais ont décidé de résister contre la résignation

19/01/2013


                                         Patrice LUMUMBA

Les Congolais(es) poursuivent leur lutte pour la souveraineté politique, économique et culturelle de leur pays en réfléchissant sur les voies et moyens de rompre avec la spirale de la violence et de la mort dans laquelle il est pris depuis plus de cinq décennies. 

Contre vents et marées, leurs minorités organisées et agissantes ont décidé de résister contre la résignation. C’est dans ce contexte qu’ils se sont rencontrés à Clichy, en France, ce samedi 12 janvier 2013. 

Et ils m’ont demandé de répondre à cette double question : « L’ONU est-elle crédible ? Comment rendre la Munusco plus efficace ? » 

Pour y répondre, j’ai choisi de revisiter notre histoire, convaincu, à la suite de Peter Dale Scott que « l’étude de l’histoire est l’un des moyens d’éviter sa répétition ».

Une semaine après l’indépendance du Congo, le 07 juillet 1960, notre pays est victime d’une agression extérieure. 

Pourquoi ? 

Cette indépendance met à mal les intérêts des capitalistes Belges. Ils ne supportent pas que la Belgique perde la place que l’accumulation des richesses produites dans sa colonie lui ont permis d’occuper au cœur du monde capitaliste.

Dans la Nouvelle Revue Internationale de mai 1961, Jean Terfve, un ancien ministre et un ancien député communiste (Belge) écrit : « L’effondrement du colonialisme belge marque un extraordinaire affaiblissement de la position de la Belgique sur le plan international. Depuis la seconde moitié du 19e siècle, la Belgique , grâce à son empire colonial a tenu sur le plan international un rôle disproportionné à l’exiguïté de son territoire et au nombre de ses habitants. »

Il continue : « Les richesses du Congo ont donné la possibilité au capitalisme belge de rivaliser dignement avec des Etats impérialistes des plus puissants. 

Après la guerre 40-45), l’uranium congolais, le cobalt, le cuivre et les métaux rares ont pris une place importante sur le marché capitaliste mondial. Les dividendes sont tombés par milliards dans les poches des actionnaires de la Société Générale.

On peut dire qu’en quelques années, le Congo a permis aux capitalistes belges d’occuper une place privilégiée dans l’arène mondiale. Il est clair que, dans ces conditions, la perte du Congo apparaît aux yeux des milieux dirigeants belges comme un élément très grave susceptible de ramener la Belgique au rôle de puissance mineure. [2]» La déstabilisation du Congo reste pour eux un choix incontournable.

Quand, sur la demande du gouvernement Lumumba, le Conseil de Sécurité va se réunir le 14 janvier 1960, il vote « une résolution invitant tous les Etats membres à donner aide et assistance au Gouvernement congolais pour lui permettre de repousser l’agresseur, affermir son autorité et sauvegarder l’intégrité de la jeune République. »

Quel est le prétexte auquel les capitalistes Belges vont recourir pour justifier l’intervention des parachutistes de notre ex-métropole chez nous ? 

La mutinerie de l’armée et les conflits ethniques Quand l’ONU explique les raisons de son intervention au Congo après ladite résolution, la question de la place de la Belgique dans l’arène capitaliste mondiale n’apparaît pas.

La crise katangaise est mise au premier plan. 

Dans une brochure intitulée « L’ONU et le Congo. Quelques faits essentiels », elle dit : « Environ une semaine après l’indépendance, l’armée congolaise s’est mutinée. Elle comptait 28.000 hommes bien armés. Par suite de cette mutinerie et pour protéger les nombreux ressortissants belges qui se trouvaient dans le pays, des parachutistes belges ont été à nouveau déployés dans le Congo, contre la volonté du Gouvernement congolais.

Des conflits entre tribus et des menaces de sécession ont été signalés dans plusieurs régions du pays. » 

Reproduisant un commentaire du texte de cette brochure publié dans « Remarques Congolaises » de 1963, Elie Bouras note ce qui suit : « Cet opuscule ne présente pas le drame véritable du peuple congolais mais essaie plutôt de le faire oublier par la mise en évidence de la crise katangaise seule, sans référence à la crise qui a commencé avant et continue après la fin de la crise katangaise ».

Quand les troupes de l’ONU vont être déployées au Congo, le Secrétaire Général de l’ONU, Dag Hammarskjoald , y pratiquera une politique anti-lumumbiste. Cette politique participera de la mort de notre héros national. Elle sera généralement occidentale et particulièrement américaine. 

« Durant la période où Hammarskjoald soutenait consciemment la politique anti-lumumbiste, il était clair, note Mwamba Mukanya, que les agissements du secrétaire général de l’ONU ne dépendaient pas des directives du Conseil de Sécurité, mais des tenants de la haute finance américaine qui faisaient pression sur l’administration et le Congrès des Etats-Unis. »

(RC 1963) Après l’assassinat de Lumumba, un gouvernement fantoche d’Adoula sera mis en place et porté à bout de bras par l’administration Kennedy. Celle-ci se livrera à un jeu subtil entre Adoula et Tshombe. 

« Pour contraindre le gouvernement Adoula à faire des concessions permanentes aux exigences américaines, l’administration Kennedy se présentera, tantôt comme protecteur de l’action des Nations-Unis, tantôt comme médiateur bénévole entre le gouvernement Adoula et les autorités rebelles du Katanga, médiation dont les accords de Kitona donnent le véritable style de la diplomatie américaine. » (RC 1963) 

En dessous de ce jeu subtil, il y a une guerre stratégique qui se mène : les USA tiennent à évincer les intérêts britanniques, belges et ouest allemands dans le Katanga. 

« De concert avec d’autres puissances capitalistes, l’administration Kennedy « champion du dénouement de la crise katangaise » spécula sur le déficit financier de l’opération des Nations Unies au Congo. Celle-ci, au lieu de chercher l’issue impartiale de cette situation se contente d’émettre les bons de trésor destinés à faire financer l’opération par les Etats-Unis qui ne demandent pas mieux. » (RC 1963).

Quelle est la conséquence de la place importante prise par les USA dans la gestion de cette crise ? « Par ces manœuvres, les USA se sont créé des monopoles sur le marché congolais dans tous les domaines.

Le fait le plus scandaleux dans ce jeu américain se manifeste dans le plan que l’administration Kennedy a fourni à l’ONU pour règlement éventuel de la crise congolaise, plan que l’on désigne communément sous le vocable « PLAN U THANT ». 

Ce plan qui consacre la balkanisation du Congo et dont l’objectif est, par le truchement du fédéralisme, de placer le larbin Tshombe à la tête de la République du Congo. » (RC 1963)

Assassiner un premier ministre élu au suffrage universel, travailler à la dissolution de son gouvernement et soutenir un gouvernement fantoche, manœuvrer la gestion de la crise congolaise pour gagner la guerre du marché capitaliste en évinçant leurs concurrents, tels ont été les objectifs non-avoués publiquement de l’implication des USA dans la gestion de la crise congolaise par l’ONU interposée.

Au fur et à mesure que les années passent, l’origine belgo-américano-capitaliste de cette crise et le recours des pays occidentaux qui y étaient impliqués à la politique du « diviser pour régner » ont été oubliés. 

Et quand, après la chute du mur de Berlin en 1989, les USA et leurs alliés recourent à « l’impérialisme intelligent » pour mener une guerre de basse intensité contre notre pays, toute cette histoire ne semble pas provoquer notre mémoire collective.

Et pourtant, les acteurs pléniers y demeurent à peu près les mêmes. 

Leur mode opératoire n’a presque pas changé : par des marionnettes interposées, ils entretiennent la violence structurelle, la cupidité et la mort, ils gèrent la Monusco dont le responsable numéro un, Roger Meece est américain et les casques bleus sont payés en dollar, le FMI (aux ordres de la Réserve Fédérale ) oriente et contrôle la politique économique du pays (où tout ou presque se vend et s’achète en dollar), les oligopoles et les monopoles occidentaux et anglo-saxons ont entre leurs mains le marché des matières premières stratégiques, la question de l’émiettement du Congo est toujours à l’agenda officieux US ; d’ailleurs au Département d’Etat, les Kivus appartiennent au Rwanda, dixit Herman Cohen, etc.

Dans ce contexte, d’où pourrait venir la crédibilité de l’ONU ? De nulle part. 

Elle est le bras militaire et juridique de la mise sous tutelle de notre pays par les membres dominants du Conseil de Sécurité. Les différents rapports de ses experts, suffisamment documentés, citent rarement les acteurs pléniers de la descente de notre pays en enfer.

Dans ce contexte, comment faut-il faire pour que la Monusco puisse être efficace ? 

Ce n’est peut-être pas là la question. Il serait intéressant de réfléchir sur la façon dont procèdent ces membres influents du Conseil de Sécurité pour rendre l’ONU incontournable. 

Soucieux d’opérer dans l’ombre en mettant sur le devant de la scène des acteurs apparents, ils se servent de cette institution à l’aura internationale pour accomplir leurs forfaits. Au nom de la démocratie et des droits de l’homme.

Que faire pour rompre avec la spirale de la violence et de la mort dans laquelle notre pays est pris depuis plus de cinq décennies ? Accumuler un savoir encyclopédique sur notre histoire et les autres domaines de la vie.

Connaître profondément et maîtriser le mode opératoire des réseaux d’élites dominant le monde et le Conseil de sécurité. 

Il y a aussi des actions que dicte la pratique permanente de la résistance contre les forces de la mort. Il y a plus. Il faut parler à ces réseaux d’élites dominants à partir des contre-réseaux locaux, nationaux et internationaux. D’où l’importance d’un travail permanent de lobbying.

En relisant notre histoire, nous nous rendons compte que « la guerre est un moyen de s’approprier les richesses [3]» dont regorge notre pays. 

Une diplomatie congolaise efficace, formelle ou informelle, mènerait des contacts directs avec ces réseaux transnationaux ou avec les Etats qu’ils manipulent pour que les échangent commerciaux et économiques empruntent une autre voie que celle de la guerre.

L’ONU pourrait être contournée. C’est une tâche difficile. Elle mérite d’être étudiée sérieusement. Une autre action à mener serait celle d’organiser des cotisations inter-congolaises pour porter le poids de notre pays dans les différents domaines de sa vie.

Il n’est pas normal que les réseaux d’élite transnationaux qui nous pillent, financent les milices et les rébellions qui tuent et violent, puissent se présenter à nos populations en « pompiers » en essayant de financer l’humanitaire de notre mort collective. 

Un recensement des Congolais(es) de la diaspora et de ceux de l’intérieur du pays nous permettrait, avec un euro, un dollar ou leur équivalent par mois, de devenir « maîtres » des actions transformatrices de ce beau et grand pays qui est nôtre.

Finalement, il appartient à nos minorités organisées et agissantes de mener un travail permanent en synergie de façon qu’à court, moyen et long terme, nous devenions, avec nos masses critiques, les acteurs pléniers de notre propre histoire.

Le savoir, une bonne culture générale, le patriotisme, la fraternité, l’amitié et l’argent mis au service de notre communauté, peuvent être des armes redoutables contre l’ensauvagement dont souffre le Congo de Lumumba aujourd’hui.
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[Mbelu Babanya Kabudi]
Lumumba ou l’honneur de mourir debout

« L’opinion est fondée sur l’ignorance et l’ignorance favorise extrêmement le despotisme » J.-P. Marat

A la suite d’autres « intellectuels subversifs », Lumumba est allé consciemment et dignement à la mort. En relisant son approche de ce moment fatidique, il y a lieu de soutenir que Patrice Lumumba a laissé aux jeunes générations congolaises et africaines un exemple de sagesse. 

Savoir mourir pour une cause juste la tête haute et le cœur fier est un acte de noblesse que le monde décivilisé ne connaît pas. Oui, c’est vrai. 

Rendre les pratiques des « maitres » transparentes coûte souvent la vie. Ils ont peur de la lumière du jour. Ce n’est pas pour rien qu’ils aiment opérer dans l’ombre. Souvent, l’opinion publique ne le sait pas. Elle est manipulée.

Le 17 janvier 1961 est la date de l’assassinat de notre héros national, Patrice Emery Lumumba. Et le 14 décembre 2012, Marie-France Cros écrivait : « Près de cinquante-deux ans après l’assassinat de l’ex-Premier ministre congolais Patrice Lumumba et de deux de ses compagnons, dans la nuit du 17 janvier 1961 au Katanga, à la lumière de phares d’auto, le parquet fédéral belge a été autorisé à enquêter sur huit Belges liés à ce crime et encore vivants. 

Mercredi (12 décembre 2012), la chambre des mises en accusation de Bruxelles a, en effet, admis certains points de la thèse des parties civiles - la famille Lumumba - selon laquelle l’assassinat est intervenu durant un conflit armé et pourrait constituer un crime de guerre, non couvert par la prescription. » 

Cinquante-deux ans après, la vérité finit par triompher sur le mensonge, le cynisme, l’arrogance et la ruse ! 

Le temps a paru trop long ! 

Mais c’est le temps de la vérité. Il n’est pas à confondre avec la précipitation avec laquelle le mensonge et la ruse manipulent l’opinion en la roulant dans la farine. (Espérons que la vérité judiciaire sur nos millions de morts, sur l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2001 ne mettra pas cinquante-deux ans avant d’éclater au grand jour. 

Les témoins vivants ont déjà parlé et nous pensons que dès que nous aurons un gouvernement légitime au Congo de Lumumba, un procès juste sera mené sur cette tragédie collective et cet odieux assassinat comme sur ceux de Floribert Chebeya, d’Armand Tungulu, de Fidèle Bazana, de Serge Maheshe, de Bapuwa Muamba, etc.)

L’assassinat de notre héros national fut l’une des preuves de la décivilisation du colonisateur et de ses « nègres de service ». 

Cette tragédie nous invite, à la suite d’Aimé Césaire, à « étudier comment la colonisation (ou la néo-colonisation) travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viet-nâm une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés (…), il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent (…). [1]» 

Le réveil de ces instincts enfouis et le relativisme moral qu’il entraîne ont conduit le colonisateur à refuser la main tendue de l’amitié de Patrice Emery Lumumba pour privilégier les rapports de sujétion et de subordination. (Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge !)

Aujourd’hui, il est aussi important de situer l’assassinat de notre héros national dans le contexte un peu plus large de la rencontre de notre continent avec l’Europe de la finance. 

En effet, « le grand drame de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont de contact a été opéré : que c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industries les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est « propagée » (…) [2]» 

Mais cette Europe n’aurait pas triomphé sans la complicité de « tous les féodaux indigènes » comme le note si bien Aimé Césaire. 

Il écrit que « l’Europe a fait fort bon ménage avec tous les féodaux indigènes qui acceptaient de servir ; ourdi avec eux une vicieuse complicité ; rendu leur tyrannie plus effective et plus efficace, et que son action n’a tendu à rien de moins qu’à artificiellement prolonger la survie des passés locaux dans ce qu’ils avaient de plus pernicieux. [3]»

Aujourd’hui encore cette complicité est à la base de la création du réseau transnational de prédation entretenant la violence structurelle sur fond da la matrice organisationnelle capitaliste génératrice des politiques de gauche et de droite presque partout en Occident. 

Ce réseau poursuit l’œuvre décivilisatrice en faisant davantage de victimes en Afrique et dans plusieurs autres coins du monde. 

Face à elle, Lumumba a accepté de mourir la tête haute en passant le relais. 

Lumumba est allé à la mort consciemment. Thomas Kanza en témoigne quand il écrit ceci : « Avant de quitter sa résidence pour aller à Stanleyville, voyage qui lui fut fatal, Patrice Lumumba me répéta trois fois au téléphone quand j’essayai de le dissuader de partir : « Je dois être arrêté, je dois mourir afin que les impérialistes et nos compatriotes, traitres à l’Afrique, réalisent le pouvoir selon la volonté du peuple congolais. [4]» (Cette complicité est toujours d’actualité.)

En marge de ses erreurs tactiques, Patrice Lumumba, en bon autodidacte, avait réussi à identifier les véritables agresseurs (ou ennemis) du Congo et de l’Afrique : les impérialistes et les colonialistes ; il avait maîtrisé leur mode opératoire et il en parlait. Comme il était écouté par les masses, il constituait « un danger » pour l’impérialisme, le colonialisme et leurs « nègres de service ». 

Il savait que tôt ou tard, il allait payer de sa vie. Cette hypothèse est plausible dans la mesure où, en relisant l’histoire, nous nous rendons compte que « les intellectuels subversifs » ou les prophètes ont souvent payé de leur vie leur engagement au service de l’humain. Socrate, Jésus, Kimbangu, Julian Apaza, alias Tupac Katari, etc. peuvent être cités comme exemples.

Pourquoi « ces intellectuels subversifs » sont-ils souvent dans la ligne de mire des « maîtres du monde » ? Ils ont compris qu’ « informer, rendre transparentes les pratiques des maîtres est la tâche première de l’intellectuel. [5]» 

Ils doivent avoir aussi compris que « les vampires craignent comme la peste la lumière du jour.[6] » Rendre transparentes leurs pratiques coûtent souvent la vie. Et ce n’est pas pour rien qu’ils s’accaparent les médias, l’école, l’université et certaines églises. Ils doivent contrôler l’opinion en la fondant sur le mensonge et la manipulation[7]. 

Ces « intellectuels subversifs » sont encore plus dangereux puisqu’ils peuvent « revenir » en des millions d’individus. 

Le jeune résistant indien Julian Apaza, avant son exécution le 15 novembre 1781, aurait dit ceci à ses bourreaux : « Vous ne faites que me tuer : mais je reviendrai et je serai des millions. » Et « aujourd’hui, sur les hauts plateaux andins de l’Equateur, du Pérou et de la Bolivie, bien des gens sont persuadés qu’Evo Morales Aïma (l’actuel président de la Bolivie) est la réincarnation de Tupac Katari. [8]» 

Jésus est toujours vivant et ses disciples se comptent par millions. Kimbangu vit à travers son église ; Socrate à travers les philosophes socratiques.

L’assassinat des « intellectuels subversifs » n’est pas un phénomène du passé. 

« Le 16 novembre 1989, il y a eu un terrible massacre au Salvador. Parmi les victimes se trouvaient six (jésuites) grands intellectuels latino-américains, dont le directeur de la principale université du pays. Ils ont été exécutés à bout portant par un commando d’élite entraîné par l’armée américaine. Ce commando de mercenaires (la Brigade Atlacat) était une composante particulièrement brutale des forces responsables de nombreux massacres dans le pays, notamment du meurtre de l’archevêque Romero et du massacre de dizaine de milliers de paysans.[9] » 

Il ne serait pas exclu que l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2001 soit aussi lié à son passé et ses orientations politiques plus ou moins proches de celle de Lumumba et de Pierre Mulele.

Revenons à Lumumba. 

Il va à la mort en disant ce qu’il y a eu. Il laisse un testament dans lequel il dit sa confiance trahie et le refus des forces colonialistes de répondre au rêve d’autodétermination des Congolais(es). 

Sa lettre à son épouse Pauline est très claire sur ce testament. Il y dit ceci :« Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront, et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout le long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. » 

Et il dit comment cette lutte a été compromise par une alliance entre les impérialistes, les colonialistes et les fonctionnaires de l’ONU : « Mais ce que nous voulions pour notre Pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts-fonctionnaires des Nations Unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance, ne l’ont jamais voulu. » 

Cette alliance a eu recours à la corruption des compatriotes pour torpiller la vérité. Et face à cette évidence, Lumumba accepte le sort qui lui est réservée en relativisant sa personne et privilégie la cause pour laquelle il s’est battu. 

Il écrit : « Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils en ont acheté d’autres, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. 

Que pourrai-je dire d’autre ? 

Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. »

Tout en relativisant sa personne, Lumumba s’affirme comme « un homme digne » en refusant de demander la grâce de ses bourreaux. C’est comme si la préciosité de la cause défendue lui interdit de se rapetisser devant une meute de menteurs, de cyniques, de décivilisés et de leurs « nègres de service ». 

Il reste debout, égal à lui-même. Face à la mort prochaine, sa foi dans cette cause reste inébranlable. Il dit : « Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. »

En tuant Lumumba, les impérialistes, les colonialistes et leurs « nègres de service » ont trahi « les principes sacrés » d’humanisation. Ils se sont disqualifiés ; ils ont perdu toute autorité morale et ne peuvent, en « bons ensauvagés [10]», servir de référence pour les générations appelées à poursuivre la lutte et l’écriture de « l’histoire de gloire et de dignité » du Congo et de l’Afrique.

En tuant Lumumba, ils ont prouvé que ces principes ne guident pas « l’Etat profond [11]» de la finance et de services secrets qui les portent. 

Les générations appelées à poursuivre la lutte de Lumumba et leurs médias alternatifs devraient en prendre acte et apprendre à travailler en réseau et en équipes pour faciliter le passage de relais. 

Mais aussi, pour apprendre à mourir debout, la tête haute et le cœur fier au nom de la défense des « principes sacrés » et de l’évitement de l’ensauvagement dont l’impérialisme intelligent et les néocolonialistes de tout bord sont aujourd’hui les propagandistes. 

Ce n’est pas demain qu’ils vont renoncer à la décivilisation. Ils vont encore lâchement tuer « les intellectuels subversifs » au nom de la lutte contre « les terroristes » qu’ils fabriquent au quotidien.
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Mbelu Babanya Kabudi
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[1] A. CESAIRE, La colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, dans Le point, Hors-série, n° 22, Avril-mai 2009, p. 59. Nous soulignons.

[2] Ibidem.

[3] Ibidem.

[4] T. KANZA, Les nationalistes n’ont pas perdu l’espoir, dans Remarques Congolaises et Africaines, n° 240, du 14 avril 1965, p. 13.

[5] J. ZIEGLER, L’empire de la honte, Paris, Fayard, 2005, p. 320.

[6] Ibidem.

[7] Lire N. CHOMSKY et E. HERMAN, La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, trad. de l’anglais par Dominique Arias, Marseille, Agone, 2009.

[8] J. ZIEGLER, La haine de l’Occident, Paris, Albin Michel, p. 211.

[9] N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretiens avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, trad. de l’américain par Jacqueline Carnaud, Paris, Arènes, 2001, p. 26-27.

[10] Lire T. DELPECH, L’ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIe siècle, Paris, Grasset, 2005.

[11] Lire P. D. SCOTT, La route vers le nouveau désordre mondial. 50 ans d’ambitions secrètes des Etats-Unis, trad. de l’américain par Maxime Chaix et Anthony Spaggiari , Paris, Demi- Lune, 2011. 

Ce livre aide à comprendre comment fonctionne « l’Etat profond » en identifiant ses créateurs et en indiquant ses alliances compromettantes avec le terrorisme. 
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© KongoTimes

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