12/05/2014
La mobilisation internationale s'intensifie pour aider le Nigeria à retrouver plus de 200 lycéennes enlevées mi-avril par le groupe islamiste armé Boko Haram.
Qu'est ce mouvement? Constitue-t-il un réel danger pour la population? Est-il voué à perdurer? Marie-France Cros, spécialiste Afrique de LaLibre, apporte son analyse.
Qu'est-ce que Boko Haram?
Au départ, c'est un groupe légal. Il est né à la fin des années 90 autour du leader salafiste Mohamed Yusuf, à l'époque de la fin de la dictature militaire nordiste au Nigeria.
Avec le retour du pouvoir aux civils et la démocratisation, la répression des intégristes musulmans s'est allégée et une douzaine d'Etats fédérés du nord (à dominante musulmane) du Nigeria ont choisi d'étendre l'application de la charia des seules matières civiles (mariage, divorce, etc…) à une série d'autres domaines.
Ce n'était cependant pas suffisant pour Mohamed Yusuf et ses fidèles, qui refusent que la Constitution nigériane ait une primauté sur la charia (des condamnations de femmes "adultères" à être lapidées à mort ont ainsi été interdites en vertu de la Constitution fédérale).
Ils pronent une modification du régime politique pour revenir au califat du Sokoto (19è siècle), avant la colonisation britannique.
"Boko Haram" signifie "les livres (boko vient de book) sont mauvais", soit "l'éducation occidentale est mauvaise".
Boko Haram constitue-t-il un réel danger pour la population? Est-elle bien structurée?
L'organisation était bien structurée, sous la conduite de Mohamed Yusuf, jusqu'à la liquidation de ce dernier par la police, sans procès, en 2009.
La mort du chef a fait éclater le mouvement en plusieurs sous-groupes, qui n'obéissent plus à une autorité centrale et qui sont entrés dans la clandestinité. Il est donc plus difficile de négocier avec Boko Haram et de le poursuivre.
Leurs attaques visent essentiellement ceux qu'ils estiment être de mauvais musulmans (parce qu'ils ne sont pas assez intégristes), ainsi que la police et l'armée nigérianes, qui mènent la répression contre Boko Haram.
Les attaques de chrétiens sont plutôt le fait d'un autre groupe islamiste armé, Ansaru, qui est, lui, affilié à Al Qaïda, contrairement à Boko Haram.
Depuis un an, l'état d'urgence a été instauré dans les trois Etats fédérés qui sont le fief de Boko Haram, au nord-est du pays: Borno, Yobé, Adamawa.
L'armée y mène une terrible répression tous azimuts, bombardant des villages et occasionnant beaucoup de morts chez les villageois.
Elle utilise aussi des villageois en milices pour participer à la traque de Boko Haram.
Résultat: Boko Haram s'en prend de plus en plus à des localités entières, où tout le monde est massacré pour avoir "collaboré" avec l'armée.
L'organisation a enlevé, le 14 avril, 276 lycéennes. Pourquoi?
Parce que ce sont des adolescentes musulmanes qui vont à l'école de type occidental. Le rapt de masse (une cinquantaine de jeunes filles ont réussi à s'échapper sans aide) a été revendiqué par la principale branche de Boko Haram, commandée par Shekau.
Ce dernier a annoncé dans une vidéo qu'il allait les "vendre" comme des "esclaves".
Auparavant, des informations en provenance de la population locale avaient signalé que certaines des jeunes filles (elles ont de 16 à 18 ans) avaient été mariées de force à des membres de Boko Haram, contre une dot d'environ 10 euros.
Par la suite, des islamistes armés (d'un autre sous-groupe de Boko Haram?) ont enlevé 11 adolescentes de 12 à 15 ans dans deux villages. Sans différencier, là, les lycéennes et les autres; il n'était donc pas question d'éducation occidentale. Ce rapt n'a pas été revendiqué.
Boko Haram a diffusé ce lundi une vidéo montrant une centaine de jeunes femmes, affirmant qu'il s'agit des lycéennes "converties à l'islam" qu'il propose d'échanger contre des islamistes emprisonnés.
Ce mouvement est-il voué à perdurer?
Dans l'immédiat, oui, en raison de l'attitude du gouvernement fédéral nigérian. Il a choisi la seule répression, faisant capoter tous les projets de négociation.
Et la répression ne marche pas: l'armée peine à obtenir des résultats malgré la violence de sa répression, parce qu'elle n'obtient apparemment pas assez de renseignements pour mener des attaques efficaces contre Boko Haram - ce qui en dit long sur son impopularité dans la zone affectée.
Le président Goodluck Jonathan, se laisse influencer par des fondamentalistes chrétiens évangélistes, favorables à une guerre de religions.
On a remarqué que le rapt des lycéennes avait été accueilli avec indifférence à Abuja. Ce n'est que lorsque les Obama s'y sont intéressés que le président Jonathan a promis d'agir.
Deux jours auparavant, son épouse avait mis le rapt en doute, ajoutant cependant que s'il avait existé, c'était aux autorités locales de s'en occuper…
___________
Jonas Legge
La mobilisation internationale s'intensifie pour aider le Nigeria à retrouver plus de 200 lycéennes enlevées mi-avril par le groupe islamiste armé Boko Haram.
Qu'est ce mouvement? Constitue-t-il un réel danger pour la population? Est-il voué à perdurer? Marie-France Cros, spécialiste Afrique de LaLibre, apporte son analyse.
Qu'est-ce que Boko Haram?
Au départ, c'est un groupe légal. Il est né à la fin des années 90 autour du leader salafiste Mohamed Yusuf, à l'époque de la fin de la dictature militaire nordiste au Nigeria.
Avec le retour du pouvoir aux civils et la démocratisation, la répression des intégristes musulmans s'est allégée et une douzaine d'Etats fédérés du nord (à dominante musulmane) du Nigeria ont choisi d'étendre l'application de la charia des seules matières civiles (mariage, divorce, etc…) à une série d'autres domaines.
Ce n'était cependant pas suffisant pour Mohamed Yusuf et ses fidèles, qui refusent que la Constitution nigériane ait une primauté sur la charia (des condamnations de femmes "adultères" à être lapidées à mort ont ainsi été interdites en vertu de la Constitution fédérale).
Ils pronent une modification du régime politique pour revenir au califat du Sokoto (19è siècle), avant la colonisation britannique.
"Boko Haram" signifie "les livres (boko vient de book) sont mauvais", soit "l'éducation occidentale est mauvaise".
Boko Haram constitue-t-il un réel danger pour la population? Est-elle bien structurée?
L'organisation était bien structurée, sous la conduite de Mohamed Yusuf, jusqu'à la liquidation de ce dernier par la police, sans procès, en 2009.
La mort du chef a fait éclater le mouvement en plusieurs sous-groupes, qui n'obéissent plus à une autorité centrale et qui sont entrés dans la clandestinité. Il est donc plus difficile de négocier avec Boko Haram et de le poursuivre.
Leurs attaques visent essentiellement ceux qu'ils estiment être de mauvais musulmans (parce qu'ils ne sont pas assez intégristes), ainsi que la police et l'armée nigérianes, qui mènent la répression contre Boko Haram.
Les attaques de chrétiens sont plutôt le fait d'un autre groupe islamiste armé, Ansaru, qui est, lui, affilié à Al Qaïda, contrairement à Boko Haram.
Depuis un an, l'état d'urgence a été instauré dans les trois Etats fédérés qui sont le fief de Boko Haram, au nord-est du pays: Borno, Yobé, Adamawa.
L'armée y mène une terrible répression tous azimuts, bombardant des villages et occasionnant beaucoup de morts chez les villageois.
Elle utilise aussi des villageois en milices pour participer à la traque de Boko Haram.
Résultat: Boko Haram s'en prend de plus en plus à des localités entières, où tout le monde est massacré pour avoir "collaboré" avec l'armée.
L'organisation a enlevé, le 14 avril, 276 lycéennes. Pourquoi?
Parce que ce sont des adolescentes musulmanes qui vont à l'école de type occidental. Le rapt de masse (une cinquantaine de jeunes filles ont réussi à s'échapper sans aide) a été revendiqué par la principale branche de Boko Haram, commandée par Shekau.
Ce dernier a annoncé dans une vidéo qu'il allait les "vendre" comme des "esclaves".
Auparavant, des informations en provenance de la population locale avaient signalé que certaines des jeunes filles (elles ont de 16 à 18 ans) avaient été mariées de force à des membres de Boko Haram, contre une dot d'environ 10 euros.
Par la suite, des islamistes armés (d'un autre sous-groupe de Boko Haram?) ont enlevé 11 adolescentes de 12 à 15 ans dans deux villages. Sans différencier, là, les lycéennes et les autres; il n'était donc pas question d'éducation occidentale. Ce rapt n'a pas été revendiqué.
Boko Haram a diffusé ce lundi une vidéo montrant une centaine de jeunes femmes, affirmant qu'il s'agit des lycéennes "converties à l'islam" qu'il propose d'échanger contre des islamistes emprisonnés.
Ce mouvement est-il voué à perdurer?
Dans l'immédiat, oui, en raison de l'attitude du gouvernement fédéral nigérian. Il a choisi la seule répression, faisant capoter tous les projets de négociation.
Et la répression ne marche pas: l'armée peine à obtenir des résultats malgré la violence de sa répression, parce qu'elle n'obtient apparemment pas assez de renseignements pour mener des attaques efficaces contre Boko Haram - ce qui en dit long sur son impopularité dans la zone affectée.
Le président Goodluck Jonathan, se laisse influencer par des fondamentalistes chrétiens évangélistes, favorables à une guerre de religions.
On a remarqué que le rapt des lycéennes avait été accueilli avec indifférence à Abuja. Ce n'est que lorsque les Obama s'y sont intéressés que le président Jonathan a promis d'agir.
Deux jours auparavant, son épouse avait mis le rapt en doute, ajoutant cependant que s'il avait existé, c'était aux autorités locales de s'en occuper…
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Jonas Legge
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