‘’Nous, peuples du Sud, sommes l’avenir du monde’’. E. Morales
Des élites politiques du Sud défendent encore certaines ‘’causes perdues’’’ d’hier. Etudier la politique qu’elles mènent peut être porteur des surprises.
En marge du carcan de la communauté occidentale, elles participent à l’éclosion d’ ‘’un nouvel ordre mondial’’ du ‘’vivre bien’’. Les cœurs et les esprits mangés par ‘’la sorcellerie capitaliste’’ ont du mal percevoir cet autre monde qui naît.
Certains semblent être en tout et pour tout perdus en devenant des victimes consentantes du syndrome du larbin. La voie de ‘’la conversion-reconversion’’ leur reste toujours offerte. A condition qu’ils optent pour un apprentissage au quotidien dans une société où apprendre est fatiguant. ..
Quand dans certains milieux politiques Le Prince de Machiavel est un livre de chevet, que l’approche aristotélicienne de l’homme fait des émules, il est étonnant d’entendre des compatriotes de Patrice Lumumba qualifier ses idées de ‘’vieilleries’’.
S’agit-il là d’un dépit ou de ‘’la fatigue d’apprendre’’ ? Ou de tous les deux à la fois ?
Pourtant, il nous semble que « la culture d’une nation est ce qui permet à ses membres d’emprunter au passé régulièrement revisité la force de vivre paisiblement le présent et de préparer intelligemment le futur. »[1]
Le comble serait que la dictature de la pensée unique en vienne à interdire aux amis de Patrice Lumumba de revisiter sa pensée politique sous le prétexte qu’il n’en avait pas !
La culture de la tolérance palabrique demanderait que l’espace public soit ouvert au débat ; sans exclusive. Cette culture devrait respecter le principe du ‘’conflit maîtrisé’’ permettant aux débatteurs de s’opposer sans se massacrer au propre comme au figuré.
Revenons à Lumumba et à sa génération. Plusieurs Pères fondateurs des indépendances africaines furent à la tête et/ou partisans des partis nationalistes affirmant fortement le droit des peuples à l’autodétermination et le respect de la souveraineté des Etats-nations.
Ils croyaient fermement en ‘’la souveraineté nationale sur les ressources naturelles’’. Lumumba par exemple l’exprime en des termes très clairs quand il dit : « Le Créateur nous a donné cette portion de la terre qu’est le continent africain ; elle nous appartient et nous en sommes les seuls maîtres. C’est notre droit de faire de ce continent un continent de la justice, du droit et de la paix. »[2]
Nous avons bien lu : « Nous en sommes les seuls maîtres. » Tel est le type de discours qui ne pouvait en rien être supporté par ceux qui, bien qu’ayant adhéré au principe de l’autodétermination des peuples, à leur droit de disposer d’eux-mêmes, n’ont jamais voulu renoncer à leur statut officieux ‘’ des maîtres du monde’’.
L’hypocrisie consiste ici à adhérer rhétoriquement aux principes du droit international et à y renoncer officieusement en les considérant comme des ‘’objectifs vagues et irréels’’ et des ‘’slogans idéalistes’’.
Il est curieux que cette hypocrisie, dans une certaine inversion sémantique, soit qualifiée de ‘’réalisme’’ ou de ‘’pragmatisme’’ au lieu d’être tout simplement qualifiée de ‘’mensonge’’ !
Qu’elle en a été la pire des conséquences au cours de l’histoire ?
L’organisation d’une guerre perpétuelle pour assujettir ‘’les nations libres’’, voler leurs ressources naturelles, y perpétuer le chaos en vue de transformer la terre entière en un marché non-régulé géré par le 1% de sa population composée des oligarques d’argent et leurs nègres de service.
Dans ce contexte de ‘’la guerre perpétuelle’’, les Pères fondateurs des indépendances africaines, ces personnalités fortes et charismatiques, ont fait peur.
Plusieurs d’entre eux avaient étudié et partagé certaines idées de la Révolution de 1789 et celles de la Révolution d’Octobre 1917.
Bien qu’étant bourgeoise, « la Révolution française a détruit le système féodal dominé par l’esprit religieux, elle a installé un véritable Etat-nation mettant fin au morcellement des régions (…). »[3]
A la suite de la Révolution française, la Révolution d’Octobre est un tournant historique de taille. Une coalition d’ouvriers et de paysans réussit à renverser un tsar russe pour prendre le pouvoir en remettant en question la définition de l’Etat bourgeois.
« Evidemment, cet évènement inquiéta toutes les puissances impérialistes d’autant plus que sous l’impulsion de cette révolution bochévique, de nombreux partis communistes allaient émerger un peu partout dans le monde. »[4]
Tel est l’une des pages souvent occultées du ‘’péril rouge’’. Elle a inspiré plusieurs intellectuels[5] et partis nationalistes africains. Même si les puissances impérialistes ont fini par organiser une contre-révolution. Comment ? En coalisant.
En effet, « en été 1918, une coalition de quatorze Etats, comprenant la Grande-Bretagne, la France, le Japon et les Etats-Unis, intervint en Russie pour soutenir les troupes contre-révolutionnaires de l’armée blanche et restaurer l’autorité du tsar. »[6]
Le fascisme, la guerre perpétuelle et ‘’la démocratie bourgeoise’’ sont les différentes faces de la lutte contre-révolutionnaire tenant à effacer les traces de toutes les coalitions possibles et imaginables entre ‘’les damnés de la terre’’, pourtant majoritaires.
Un milliardaire américain, Warren Buffet, l’affirme sans ambages quand il soutient que la lutte des classes entre les pauvres et les riches se poursuit et que ce sont eux, les riches, le 1%, qui sont en train de la gagner. (Serait-il marxiste ou marxisant ?...)
Dieu merci ! Là où les Lumumba, Nkrumah, Nasser, Sékou Touré inspirés de près ou de loin par ‘’le péril rouge’’ ont lutté pour le triomphe des règles fondamentales du droit international, les Chavez, Morales, Correa, Mujica, etc. sont en train ‘’défendre les causes perdues’’.
Après les Pères fondateurs des indépendances africains, les pauvres et leurs intellectuels organiques n’ont pas croisé les bras. Le philosophe Slavoj Zizek lit par exemple dans l’aboutissement de l’action politique d’Hugo Chavez un renversement de rapports de forces important (malgré sa fragilité).
Il écrit : « Même si Chavez respecte encore la règle électorale démocratique, il est clair que le sens de son engagement fondamental et la source de sa légitimité en résident pas là, mais bien plutôt dans ses rapports privilégiés avec les dépossédés des favelas.
Telle est la « dictature du prolétariat » sous la forme de la démocratie. »[7] Après Chavez, Maduro en est déjà à ‘’la démocratie par la rue’’ et à ‘’la démocratie communale’’. Ce n’est pas tout.
Le 14 juin 2014, pendant que plusieurs d’entre nous sont ‘’occupés’’ par la coupe du monde de football, un sommet du G77 plus la Chine[8] a eu lieu en Bolivie (Amérique Latine) ; un sommet Sud/Sud.
Ce sommet a eu lieu à l’occasion du cinquantième anniversaire de la création du groupe des 77 pays, membres des Nations Unies, en 1964. (Actuellement, il compte 133 membres). Quatre membres des BRICS, la Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud, y étaient présents. Le président bolivien Evo Morales a demandé que la Russie puisse les rejoindre.
De ce sommet est sortie une déclaration dans laquelle certaines idées partagées par les Pères fondateurs des indépendances africaines sont reprises.
La déclaration ‘’pour un nouvel ordre mondial pour ‘’vivre bien’’ s’inscrit dans la droite ligne des objectifs du millénaire tels que définis par l’ONU. Les membres du G77 plus la Chine tiennent à éradique la pauvreté à l’horizon de l’année 2030.
Ils affirment ‘’la primauté de la souveraineté nationale sur les ressources naturelles’’. Ils travaillent à l’émergence d’un nouvel ordre financier international réduisant le pouvoir du Fonds monétaire International.
L’hôte de ce sommet, le président bolivien, Evo Morales, exige la suppression du Conseil de sécurité des Nations Unies. Des utopies, n’est-ce pas ? Peut-être !
En Amérique Latine, plusieurs pays ne sont plus soumis aux programmes d’ajustement structurel du FMI et une Banque du Sud y est mise en place petit à petit.
La Chine et la Russie sont sur le point d’effectuer tous leurs échanges économiques en leurs propres monnaies locales. Le monde unipolaire made US est en train de s’effondrer.
Les médias dominants n’en parlent pas. Les nègres de service et les négriers des temps modernes voudraient toujours nous faire croire qu’il n’y a de salut que dans le partenariat ‘’réaliste’’ et ‘’pragmatique’’ avec le 1% de la communauté occidentale, adepte de ‘’la guerre perpétuelle’’ !
Ils ont de la peine à voir que certaines ‘’causes perdues’’ d’hier sont en train d’être défendues avec pertinence au Sud du monde aujourd’hui! Ils ont les cœurs et les esprits tellement mangés par ‘’la sorcellerie capitaliste’’ qu’ils ont du mal à voir ‘’un autre monde qui naît’’, en marge de l’hégémonie occidentale frigide.
Il est temps de rompre avec la paresse intellectuelle et d’apprendre. D’apprendre aussi des autres. De cette autre diaspora africaine qui, en Amérique Latine, croit fermement à la possibilité de ‘’vivre bien’’, dans la solidarité et la coopération, sans ‘’les bombes humanitaires’’.
Elle ne croit pas simplement dans le ‘’vivre bien’’. Elle y travaille et prouve qu’un autre monde est possible.
Apprendre exige un effort. Même si, « apprendre –tout comme s’informer- dans une société devenue paresseuse apparaît désormais trop fatiguant à la plupart de nos congénères. »[9] Mais l’effort vaut la peine d’être déployé. L’effort fait des forts, dit-on.
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Mbelu Babanya Kabudi
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[1] Y. FIEVET, De la fatigue d’apprendre. Crise de l’école, crise de la culture, dans Le Grand Soir Info, du 23 mai 2013.
[2] Africains, levons-nous ! » Discours de Patrice Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria), 22 mars 1959, Paris, Points, 2010, p.13.
[3] M. COLLON et G. LALIEU, La stratégie du chaos. Impérialisme et islam. Entretiens avec Mohamed Hassan, Bruxelles, Investig’Action, 2011, 22.
[4] Ibidem, p. 434.
[5] Les œuvres de Frantz Fanon, par exemple, en portent la marque. Surtout Les damnés de la terre quand l’auteur y invite les masses populaires (et paysannes) à devenir leurs propres démiurges.
[6] Ibidem, p. 435.
[7] Q. ZIZEK, Pour défendre les causes perdues, Paris, Flammarion, 2008, p.222.
[8] http://www.legrandsoir.info/sommet-du-g-77-chine-un-pas-en-avant-dans-la-cooperation-sud-sud.html
[9] Y. FIEVET, art. cit.
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