lundi 23 juin 2014

La voie lumumbienne et son arme redoutée

le 19 juin 2014



« Mais cinquante ans après sa mort, Patrice Lumumba fait toujours peur… » H. GOLDMAN

Il arrive que certains d’entre nous disqualifient notre Héros national en prétendant avoir tout lu sur lui ; sans convaincre. Même mort, Lumumba fait peur. C’est terrible ! 

Patrice recourait à une arme redoutable : ‘’la force de la parole’’. Lumumba est en fait de la génération des leaders dont ‘’la parole’’ faisait peur aux impérialistes et aux colonialistes. Est-ce un hasard que ceux-ci président depuis longtemps à la fabrication du consentement à travers les médias dominants[1] ? Dieu merci. Les médias alternatifs existent.

Quand Lumumba indique ‘’la voie’’ pour l’unification des mouvements populaires et les partis politiques, il est en train de tenir un discours. Il participe à un Congrès, à une conférence internationale ‘’où l’on discute du sort de notre chère Afrique’’ en dehors de son Congo natal. 

Cela suppose qu’il considère la mobilisation par le discours comme l’un des moyens à emprunter pour unifier. Plusieurs d’entre nous oublient, petit à petit, que Lumumba a mené une action syndicale. Celle-ci peut aussi être considérée comme ‘’une voie’’ de mobilisation citoyenne. 

A Ibadan, Lumumba dit ceci : « C’est par ces contacts d’homme à homme, par des rencontres de ce genre que les élites africaines pourront se connaître et se rapprocher afin de réaliser cette union qui est indispensable pour la consolidation de l’unité africaine. »[2] 

N’y a-t-il pas là, décrite, ‘’la voie’’ à suivre pour unifier les mouvements populaires et les partis politiques africains ? 

Elle peut être insuffisante. Mais prétendre, comme le soutiennent certains d’entre nous, qu’il est possible de parcourir tous les écrits de Lumumba et de ne pas trouver des textes décrivant ‘’la voie’’ de l’unification nous paraît présomptueux. 

Lumumba ajoute aussi ceci : « En effet, l’unité africaine tant souhaité aujourd’hui par tous ceux qui se soucient de l’avenir de ce continent, ne sera possible et ne pourra se réaliser que si les hommes politiques et les dirigeants de nos pays respectifs font preuve d’un esprit de solidarité, de concorde et de collaboration fraternelle dans la poursuite du bien commun de nos populations. »[3]

Des contacts d’homme à homme, des rencontres universitaires où se rencontrent les élites africaines, la solidarité, la concorde et la collaboration fraternelle entre les hommes politiques et les dirigeants de nos pays, tels sont les moyens lumumbistes pour l’unification des mouvements populaires et les partis politiques. 

En les étudiant, nous arrivons à la conviction qu’ils peuvent inspirer nos luttes actuelles. Une conviction personnelle peut être une humble proposition à mettre dans le panier de la discussion démocratique sur ‘’les voies’’ à suivre pour sortir le Congo du bourbier. Elle peut être critiquée, rejetée ou ridiculisée. Elle a le mérite d’être proposée.

Pendant que certains compatriotes estiment que nous devons laisser Lumumba se reposer en paix, en Belgique, nous entendons de plus en plus d’autres sons de cloche. 

Certains rapprochent notre Héros National de Mandela. Un Belge, Henri Goldman, écrit : « Il (Mandela) était de ceux qu’on appelait ‘’terroristes’’. Il avait porté les armes. Puis l’histoire a tourné en faveur de la cause qu’il défendait.(sic) 

En 1993, son prix Nobel de la paix fut unanimement salué. Il est mort dans son lit en décembre 2013 et tous les grands de ce monde se pressèrent à ses funérailles. » 

Et il ajoute : « Il n’avait jamais porté les armes et ne prônait pas la lutte armée. Il fut pourtant lâchement assassiné en 1961 avec la complicité de la Sureté belge. A cette époque, son passage aux actualités dans les salles de cinéma provoquait immanquablement des huées. Il était de macque qui prétendait faire accéder son peuple à l’âge adulte sans demander notre permission. (…) 

Mais cinquante ans après sa mort, Patrice Lumumba fait toujours peur à la Belgique. On comprend pourquoi Lumumba, c’est ‘’notre Mandela’’. C’est lui qui a incarné la quête de la dignité des peuples du Congo dont ‘’nous’’ étions les maîtres. Mais on ne lui a pas laissé la chance de survivre à son arrestation. »[4] Comme quoi, ‘’nul n’est prophète dans son propre pays’’.

Laisser Lumumba reposer en paix pourrait conduire à la mise entre parenthèse de son arme redoutée et redoutable : sa verve oratoire ; sa meilleure arme de mobilisation ! 

Lumumba doit être de la race de ceux qui ont compris et expérimenté ‘’la force de la parole’’[5]. Cicéron, Danton, De Gaulle, Kennedy, Luther King, Sékou Touré, Modibo Keita, etc. en savent quelque chose. Sa ‘’force de la parole’’ était portée par ‘’une certaine élégance et une force de conviction’’. 

Le film de sa prise de parole improvisé le 30 juin en dit long. ‘’Mais on ne lui a pas laissé la chance de survivre à son arrestation.’’ « Son armé c’est la parole disait de lui le poète antillais Aimé Césaire, ‘’il est l’homme du verbe’’. »[6] 

Lumumba savait mettre les masse debout par ‘’la parole’’. Mobiliser par ‘’la parole’’ et créer des espaces de discussions démocratiques ou de ‘’la palabre africaine’’, c’est engager une procédure enrichissant pour le processus d’unification. 

Et une unification rationnelle et raisonnable doit pouvoir questionner sa matrice organisationnelle ; c’est-à-dire ses soubassements, ses fondements. 

Ils peuvent être sociaux ; c’est-à-dire imprégnés d’un esprit de solidarité, de concorde et de collaboration fraternelle en vue du bien commun des populations ou d’un esprit de concurrence et de compétitivité pour les profits des ‘’petites mains du capital’’. 

Lumumba n’a pas eu le temps de faire en sorte que ‘’son verbe prenne chair’’ sur le long terme. A ce handicap, il y a lieu d’ajouter d’autres fragilités. 

Césaire en ajoute une : « (…) un trop-plein d’imagination, ‘’des qualités de poète » qui l’emportent trop loin des réalités immédiates d’un pays sans véritables élites autochtones, qui rêve son émancipation sans l’avoir pensée, sans l’avoir préparée. »[7]

Aujourd’hui où le nombre de véritables élites autochtones n’est pas à comparer à celui des années 1960, il y aurait un devoir de mémoire pour certaines d’entre elles de donner réellement ‘’chair’’ à l’imagination et aux rêves de Patrice Lumumba tout en ayant l’humilité de reconnaître que ‘’la voie lumumbienne’’ est ‘’une des voies’’ d’émancipation sociopolitique et économique afro-congolaises.

Connaissant ‘’la force de la parole’’ de certains acteurs politiques et sociaux, les maîtres du monde et leurs ‘’négriers des temps modernes’’ leur privent l’accès à l’espace public. 

Les médias dominants multiplient les prises de parole de leurs maîtres au détriment des celles des prophètes de notre temps. Au Congo de Lumumba, Diomi Ndongala, le Pasteur Kuthino, Gabriel Mokia, etc. ont connu ou connaissent la prison à cause (entre autres) de leur capacité de recourir à ‘’la force de la parole’’. 

Les médias sont muselés. Les meetings populaires sont interdits à certains partis politiques pour des ‘’raisons de sécurité’’. Les maîtres du monde, leurs ‘’négriers des temps modernes y passent par les médias dominants pour lobotomiser nos populations et fabriquer leur consentement autour des questions engageant notre devenir collectif. 

Dieu merci ! Une autre race de Congolais(es) est en train de naître et les médias alternatifs de la diaspora l’aide à avancer dans sa lutte contre vents et marées. Elle crée ses dynamiques et ses synergies sans tout dévoiler sur Internet. Au grand dam des ‘’nègres de service’’ et des ‘’négriers des temps modernes !
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Mbelu Babanya Kabudi


[1] Lire N. CHOMSY et H. HERMAN, La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Paris, Agone, 2002.

[2] « Africains, levons-nous ! » Discours de Lumumba prononcé à Ibadan (Nigeria), 22 mars 1959, Paris, Points, 2010, p.9.

[3] Ibidem, p.9-10.

[4] H. GOLDMAN, Le macaque et le prix Nobel, dans La Libre Belgique. Grand angle Belgique-Rwanda-Congo, du 02 juin 2014, p. 7.

[5] Lire La force de la parole. Les grands discours politiques, dans Le Point, Novembre-décembre 2013.

[6] Ibidem, p. 8.

[7] Ibidem.

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